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Une zone de conflit que l’homme dispute à l’animal

A bullet-scarred sign marks the entrance to a national park in DRC Lisa Clifford/IRIN
Ce vendredi, à la prison centrale de Goma, dans l’est de la République démocratique du Congo (RDC), 25 prévenus crottés et nu-pieds, accusés de pêche illicite dans le lac Edouard, comparaissent devant trois juges ; ces derniers viennent une fois par semaine juger les accusés détenus dans cet édifice, qui n’a pas été rénové depuis la colonisation belge.

La plupart des accusés avouent immédiatement. L’un explique qu’il avait faim. Un autre avait besoin d’argent pour s’acquitter de frais de scolarité. « La vie est dure. C’est pour cela que j’ai fait cela », dit un troisième homme.

Ces hommes sont accusés d’avoir pêché dans les eaux du parc national des Virunga, une zone protégée de la province du Nord-Kivu où l’on trouve environ 200 des 720 gorilles de montagne encore de ce monde, ainsi que des lions, des éléphants, des buffles, des antilopes, des hippopotames, des crocodiles et des singes. Ce parc national, le plus ancien d’Afrique, fait également partie des plus variés : il compte à la fois des volcans actifs, des pics enneigés, des grands lacs et les glaciers de la chaîne du Ruwenzori. Selon les responsables du parc, ce dernier contient plus d’espèces d’oiseaux, de mammifères et de reptiles que toute autre zone protégée de la planète.

Mais sa situation géographique – le parc se trouve dans la région la plus instable d’un pays instable où les populations se disputent âprement l’exploitation des terres, et plus de trois millions de personnes vivent à une journée à pied de ses frontières - entraîne souvent des conflits avec les populations locales.

Les membres d’une coopérative agricole du territoire de Rutshuru, au Nord-Kivu, comptent parmi les populations qui se plaignent du parc. « En raison de la guerre, nous avons beaucoup de [personnes déplacées] et avons besoin de nombreuses fermes. C’est difficile de vivre sans nos terres », a dit Kasereka Kikolera Koseye, membre de la coopérative, originaire de la ville de Kiwanja.

« Il y a de nombreuses façons de protéger les animaux », a-t-il dit. « Mais nous luttons vraiment pour cultiver les terres ».

Un Pygmée déplacé en 2008 par les affrontements entre le gouvernement et les rebelles du Congrès national pour la défense du peuple (CNDP) a expliqué que son peuple vivait auparavant dans le parc, où il se livrait à la chasse et à la cueillette depuis plusieurs générations. « Ce sont les gorilles qui vivent là-bas, maintenant, et le gouvernement a décidé de protéger les gorilles », a dit l’homme, qui vit désormais dans un camp de personnes déplacées de Kiwanja. « Nous ne savons pas où aller ».

Stimuler le développement

L’Institut congolais pour la conservation de la nature (ICCN), qui gère les Virunga, est conscient que priver les populations locales de plus de 790 000 hectares de terres fertiles dans le Nord-Kivu n’est pas une décision populaire dans un pays où la plupart des habitants vivent avec moins de deux dollars par jour.

Mais l’institut sait également que pour protéger les animaux, il doit obtenir l’adhésion de leurs voisins humains ; c’est pourquoi il a lancé des projets éducatifs et de développement économique.

L’ICCN construit dans le nord du parc une centrale hydroélectrique qui permettra de produire 300 kilowatts pour alimenter en électricité le poste du parc, et fournir de l’énergie à environ 50 000 habitants de la région. Il a également construit sept écoles dans la région, grâce aux fonds versés par l’Union européenne.

L’institut espère également accueillir jusque 150 enfants par semaine au siège du parc, à Rumangabo, pour leur permettre d’observer deux jeunes gorilles de montagne sauvés après l’abattage de leurs parents, en 2007. Ndeze et Ndakasi ont été transférés il y a plusieurs mois de Goma au centre Senkwekwe, où ils ont été confiés aux soins de quatre gardes forestiers.

« Le centre n’a pas pour unique fonction de s’occuper des gorilles. Nous allons également nous en servir à des fins éducatives », a dit Samantha Newport, directrice de communication des Virunga. Le centre doit son nom à un gorille Silverback abattu.

Cuisiner écolo

Un des projets les plus ardus - mais aussi les plus cruciaux - des Virunga a pour but de faire évoluer la manière de cuisiner des habitants. La plupart d’entre eux utilisent en effet du charbon, dont 90 pour cent provient du parc. Les habitants de Goma en consomment à eux seuls plus de 1,3 million de sacs par an : la déforestation est donc la menace la plus grave qui plane sur le parc.

L’ICCN s’efforce de dissuader les habitants d’utiliser du charbon en leur offrant un substitut durable : des briquettes de biomasse fabriquées à partir de matières organiques, notamment d’herbe, de feuilles, de déchets agricoles, de papier de brouillon et de sciure.

DRC’s wildlife authority promotes the manufacture of briquettes made from grass, leaves, agricultural waste, scrap paper and sawdust to reduce consumption of charcoal, much of which originates from trees in protected forests
Photo: Lisa Clifford/IRIN
Sauvez la forêt ombrophile tropicale ! Une briquette de biomasse à la fois
Ces briquettes sont produites par des habitantes de la région à l’aide d’un équipement fourni gracieusement par le parc. Les Virunga leur achètent ensuite leurs briquettes, qu’ils revendent ensuite à Goma, aux hôpitaux, aux écoles, à la mission des Nations Unies et même à la prison.

« Nous avons aujourd’hui 3 600 personnes et 600 presses qui fabriquent des briquettes », a dit Mme Newport. « Celles-ci sont confectionnées par des femmes, ce qui implique qu’elles n’aient pas à se rendre en forêt pour ramasser du bois, au risque de se faire violer ».

Ces briquettes coûtent 30 pour cent moins cher que le charbon, qui représente jusque 80 pour cent des revenus des habitants de la région, a-t-elle ajouté. Mais Mme Newport sait que l’objectif de l’ICCN, qui consiste à faire perdre définitivement au charbon sa place de premier combustible domestique au Nord-Kivu, est ambitieux. « Il est vraiment difficile d’inciter les gens à changer leurs habitudes de cuisine », a-t-elle dit.

La reconstruction

Selon Kanuma Mwendapole, chef du village de Kalengira, le manque d’accès aux Virunga entrave la reconstruction. « De nombreuses maisons ont été détruites, mais nous ne pouvons pas entrer dans le parc pour abattre des arbres et en construire de nouvelles », a-t-il dit.

Les responsables du parc savent qu’il leur sera extrêmement difficile de convaincre les villageois de Kalengira que les arbres des Virunga sont plus utiles pour protéger les gorilles que pour abriter des êtres humains. A en croire Mme Newport, le tourisme et ses recettes potentielles pourraient, entre autres, inciter les populations locales à s’investir dans la conservation du parc.

Aux Virunga, les permis d’observation des gorilles de montagne coûtent 400 dollars et gravir les flancs du volcan Nyiragongo revient à 200 dollars – dont 30 pour cent sont directement reversés aux communautés locales.

« Je ne pense pas que les gens aient oublié que des touristes venaient ici, autrefois », a dit Mme Newport. « Les gens savent également que l’image de la RDC est négative à un point catastrophique ».

Dans les années 1950, et de nouveau dans les années 1970, le tourisme était en effet florissant, mais les infrastructures du parc ont pâti de nombreuses années de guerre et de négligence, et aujourd’hui, les touristes se font rares : ils étaient à peine 120 à visiter le site en mai.

Le site ne compte pas de vraie route et n’a pas l’électricité, et le « secteur des gorilles », qui s’étend sur 250 kilomètres, est la seule zone du parc qui soit sans danger pour les visiteurs.

Les touristes se voient assigner un garde armé au cours de toutes leurs incursions dans le parc ; les gardes forestiers se heurtent encore aux quatre groupes armés opérant à l’intérieur des limites du parc. Plus de 150 gardes forestiers ont été tués en défendant les Virunga ces 10 dernières années – le dernier alors qu’il installait des toilettes pour les touristes venus escalader le volcan.

« En fin de compte, le tourisme sera très bénéfique, mais il faut aller doucement », a estimé Mme Newport. « Pour travailler aux Virunga, il faut avoir beaucoup d’énergie et rester optimiste ».

De retour à la prison de Goma, les pêcheurs sortent les uns derrière les autres de la salle d’audience de fortune dans l’attente de connaître leur sort. Les verdicts seront rendus ultérieurement.

lc/mw/nh/ail

This article was produced by IRIN News while it was part of the United Nations Office for the Coordination of Humanitarian Affairs. Please send queries on copyright or liability to the UN. For more information: https://shop.un.org/rights-permissions

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