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« Violées en Guinée, puis violées encore au Sénégal »

Woman holds a copy of the Human Rights Watch report about the 28 September 2009 massacre in Conakry, Guinea. She keeps a copy of the report with her documents. She told IRIN how soldiers raped her with a pistol and a piece of wood. Nancy Palus/IRIN
Le 28 septembre 2009, dans un stade en Guinée, Djeneba* a été violée par un soldat pendant qu’un autre la frappait à la tête. La traitant de criminelle et de prostituée, les hommes ont ensuite introduit un bâton en bois dans son vagin. « J’étais entre la vie et la mort ».

D’une certaine manière, elle y est toujours. Elle vit désormais à Dakar, la capitale du Sénégal, où elle, ainsi que plusieurs autres femmes, ont reçu un traitement médical, elle est loin de sa famille et a abandonné ses études, « mon avenir, c’est les études… C’est comme ça que j’allais contribuer [à aider] mes parents ». Elle a dit qu’elle aurait dû achever son Master en économie cette année.

« Je suis parmi les femmes violées. Mais je suis aussi encore militante d’un parti… Et quelqu’un qui veut continuer à lutter pour la Guinée ». Les gens avaient manifesté le 28 septembre dans la capitale Conakry pour demander la fin du régime militaire en Guinée – pour dire non à la candidature à la présidentielle de Moussa Dadis Camara, à la tête du coup d’état.

Human Rights Watch estime qu’entre 150 et 200 personnes ont été tuées lorsque les forces de sécurité ont attaqué le rassemblement en faveur de la démocratie dans le stade de Conakry. Des dizaines de femmes, de tous âges, ont été violées.

« Il y a des filles qui ont été violées en même temps que leurs parents – c’est abominable », a dit Ibrahima Baldé du Centre Mère et Enfants, une clinique de la ville où les victimes de viol continuent à venir pour des soins médicaux et psychologiques.

« Il y avait une jeune femme, de 17 ou 18 ans ; les bérets rouges [la garde présidentielle] [l’]ont prise, ils lui ont [coupé le sein]. A ce moment dans ma tête je me suis dit ‘C’est fini [pour moi]’ ».

Apparemment, tous les soldats n’étaient pas prêts à tuer et violer ce jour là. Une femme qui s’est identifiée comme A.B., qui vit dans le quartier de Hamdallaye à Conakry, a dit à IRIN qu’après que deux soldats l’aient violée, un autre homme en uniforme est intervenu.

« Le béret rouge m’a ramené dans un groupe de quatre [autres] femmes, et deux jeunes garçons se sont mis à notre disposition pour notre protection. Ensuite les militaires [sont revenus]… et ils ont tiré sur [les deux jeunes]. Les soldats nous ont [ordonné] d’applaudir et de rire ».

Gravé dans les mémoires

A Dakar, la nourriture et le logement de Djeneba sont toujours financés par des donateurs qui aident les victimes du stade. Mais cette étudiante de 30 ans, qui était active dans la vie civique, a dit que sa vie aujourd’hui – principalement manger et dormir, en dehors de discussions occasionnelles avec des voisins et des compatriotes guinéens – laissait trop de place aux souvenirs ; la nuit surtout, mais même aussi pendant la journée, des pensées et des visions de la violence envahissent son esprit. « Ce jour est gravé dans nos mémoires ».

L’événement persiste d’une autre manière indélébile pour Djeneba – dans des photos qui les identifient nettement, elle et d’autres victimes de viol, publiées dans un magazine au Sénégal. Elle en garde une copie dans un sac avec ses papiers universitaires et ses documents médicaux.

Les femmes ont dit qu’elles ne savaient pas que des photos d’elles seraient publiées. Le magazine a circulé en Guinée et a été montré à la télévision nationale sur place. « Ma famille a vu ça. D’autres ont dit, voilà, on leur a donné de l’argent pour gâter le nom de la Guinée, pour gâter le nom de Dadis ».

« On a été violées en Guinée, puis on a été violées encore au Sénégal. Je vois ce journal, encore, dans des boutiques. De fois, je n’ose même pas sortir. Des gens m’appellent, ils disent, ‘Toi, je t’ai vu quelque part – dans le journal’. Je dis que ce n’est pas moi. Tout ça me pèse trop. On dit que quand il y a la vie, il y a l’espoir – beaucoup de gens sont morts au stade ce jour-là – mais pour le moment, on ne sait pas quand l’espoir va venir ».

Positive

Assise sur un matelas dans sa chambre, à Dakar, l’une de ces victimes de viol tend des documents médicaux. « Séropositive » est écrit en gras au milieu de la première page. Voilà une autre chose qui empêche certaines de ces femmes de rentrer chez elles en Guinée.

« En Guinée, quand tu dis que tu as le VIH, tu vas avoir beaucoup de soucis… Les gens vont avoir peur de toi. Surtout chez les Peuls, c’est plus difficile. Ils vont penser que je vais les contaminer. Ils ne mangeront pas avec moi – ils vont me rejeter… J’ai [très] envie de voir mes parents, [ils] me manquent beaucoup. Mais quand je pense au VIH, je me dis, je reste ici pour le moment », a dit la femme.

« Je pensais faire un foyer, des enfants, avoir un bon mari. Mais aujourd’hui, avec le VIH, comment avoir un mari ? Si je rentre [en Guinée] et qu’on me dit qu’il y a quelqu’un qui va [m’épouser] – dès qu’il [va savoir] que j’ai le VIH, il ne va plus revenir vers moi. Ca fait mal ».

Elle a dit qu’elle voyait périodiquement un médecin pour suivre son taux de CD4, qui évalue la résistance du système immunitaire ; pour l’instant, elle n’a pas encore atteint le niveau auquel il lui faudrait démarrer les antirétroviraux.

Avancer sans oublier

Djeneba a dit qu’elle n’était pas sûre de pouvoir un jour avoir de nouveau une relation sérieuse avec un homme.

« Aujourd’hui, même voir un homme, c’est très difficile pour moi. Si je vois un homme, je me rappelle directement ce qui s’est passé au stade. C’est comme [si j’étais] nue devant lui… Avant, je saluais des hommes, on blaguait. Maintenant, je peux les saluer mais ça ne vient pas de moi. Au fond de moi, j’ai la haine. C’est comme [si] eux tous [m’avaient] fait ça ».

Djeneba a dit qu’elle restait brisée en partie parce que son pays l’était toujours. Comme beaucoup d’autres en Guinée, elle avait espéré que les événements du 28 septembre rendraient irréversible une transition politique attendue depuis longtemps. Mais depuis l’élection présidentielle du 27 juin, les conflits politiques et de violents affrontements entre les sympathisants des deux candidats au second tour ont terni le processus.

Elle est alarmée par l’incertitude et les hostilités ethniques. Sa propre tranquillité d’esprit et son avenir, a-t-elle dit, dépendent largement de la manière dont les choses évolueront en Guinée. Quand elle a entendu les vieilles tensions ethniques refaire surface pendant la campagne électorale, elle a eu peur que les dirigeants guinéens n’aient oublié le 28 septembre. « Toutes les ethnies … étaient au stade – il y avait des Soussous, il y avait des Peuls, il y avait des Malinkés. Tout le monde était là. C’est l’affaire d’ethnie qui est dans leur tête maintenant [autour de l’élection]. Ca fait trop mal. Je m’inquiète beaucoup. C’est comme s’ils [avaient] oublié ce qui a été fait au stade le 28 septembre ».

Les sympathisants des deux candidats - Cellou Dalein Diallo, du groupe ethnique des Peuls qui représentent 40 pour cent de la population, et Alpha Condé, du second grand groupe, les Malinkés – se divisent largement selon des critères ethniques.

« Je ne peux pas être tranquille, parce que jusqu’à présent le pays est [déstabilisé]», a dit Djeneba. « Les leaders doivent se souvenir des filles, des femmes, des grand-mères qui ont été violées le 28 septembre, mettre l’ethnocentrisme de côté, se donner la main et travailler pour l’avenir de la Guinée… C’est à cause de nous, à cause des viols, que la communauté internationale a prêté attention à la Guinée et que les choses ont changé… Mais aujourd’hui on n’a aucune idée ce qui va arriver en Guinée ».

* Un nom d’emprunt

np/cb/sk/ail

This article was produced by IRIN News while it was part of the United Nations Office for the Coordination of Humanitarian Affairs. Please send queries on copyright or liability to the UN. For more information: https://shop.un.org/rights-permissions

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