Galina Vlasenko, habitante de Bichkek, a dit à IRIN qu’elle craignait qu’une guerre civile n’éclate. « Ils ont montré à la télévision comment Kurmanbek Bakiev a dit lors d’une manifestation à Jalal-Abad [capitale de la province du sud qui porte le même nom] que si on tentait de l’arrêter, il ne se rendrait pas et aurait recours aux armes. Nous avons tous peur parce qu’il risque d’y avoir des effusions de sang puis une guerre civile », a-t-elle dit.
Amatova Sonunbu, 48 ans, de la province de Jalal-Abad, a dit qu’elle avait entendu que les partisans du Président essayaient d’organiser une manifestation et de rassembler des gens de la capitale provinciale et des villages des environs. « J’ai peur qu’il y ait une scission entre le nord et le sud du pays », a-t-elle dit.
Anarbek Jusupov, de la ville de Karabalta, dans le nord, a dit espérer qu’il n’y ait pas de guerre civile. « Tellement de jeunes gens ont été tués. Je pense que les [différentes parties] auront assez de sagesse, de volonté et de patience pour trouver un compromis », a dit M. Jusupov.
Le 13 avril, le président russe Dmitri Medvedev a dit que le Kirghizistan pourrait plonger dans la guerre civile et devenir un « deuxième Afghanistan ».
Selon des analystes basés à Bichkek, la menace de violences et de guerre civile est réelle dans la mesure où M. Bakiev n’a ni quitté le pays, ni démissionné.
« Il y a une menace de déstabilisation dans le pays et un des scénarios possibles est la guerre civile », a dit Kadyr Malikov, directeur du Centre d’analyses religieuses, juridiques et politiques, une organisation indépendante.
« Le gouvernement intérimaire devrait d’urgence prendre une décision concernant le statut de M. Bakiev. Tandis que les habitants demandent justice pour les manifestants non armés qui ont été tués, ils [le gouvernement intérimaire] doivent penser à créer un corridor pour permettre à M. Bakiev de quitter le pays. Mais cela [le départ de M. Bakiev] pourrait avoir pour conséquence la fin du gouvernement d’intérim ; les habitants ne seraient pas d’accord avec cela », a-t-il dit.
Photo: Gulnara Mambetalieva/IRIN |
Moldomusa Kongantiev, ancien ministre de l’Intérieur kirghize, a été battu par des manifestants à Talas |
Actuellement, le sud du pays, et particulièrement les habitants de la province de Jalal-Abad, adoptent une position passive, a dit M. Malikov.
« M. Bakiev est originaire d’une tribu locale appelée ‘Teyit’, et selon les traditions tribales, c’est une honte pour toute la tribu de ne pas protéger quelqu’un de la tribu », a-t-il dit.
La politique au Kirghizistan est fondée sur des clans, et il existe une rivalité historique entre le nord et le sud, et les clans qui représentent ces régions.
Le premier président du Kirghizistan, Askar Akaev, qui a été à la tête du pays pendant plus d’une décennie avant d’être chassé du pouvoir par des manifestations publiques en 2005, représentait le nord. A l’époque, les leaders des élites du sud avaient suggéré que c’était au tour du sud d’occuper la plus haute fonction d’Etat.
Il se pourrait que les partisans de M. Bakiev essaient d’utiliser la rivalité nord-sud pour gagner des soutiens. « Par conséquent, tant que M. Bakiev est au Kirghizistan, nous ne pouvons pas parler de stabilité », a dit M. Malikov.
Marat Kazakbaev, un autre analyste local, pense que l’éventualité d’une guerre civile n’est pas à exclure. « Cependant, le risque n’est pas énorme », a-t-il dit.
« Le président Bakiev n’a pas [beaucoup] de partisans en dehors de sa famille et des habitants de son village ancestral dans la province de Jalal-Abad, dont le nombre s’élève probablement à environ 2 000. Il ne bénéficie pas d’un soutien d’envergure nationale. Les habitants ne pardonneront pas les morts devant le bâtiment du gouvernement [à Bichkek], les coups et les tirs des forces de sécurité contre les populations à Talas et Naryn », a-t-il dit.
D’après lui, il existe deux possibilités : M. Bakiev doit quitter le pays ou être traduit en justice.
Alexander Kniazev, analyste politique, n’exclut pas l’éventualité d’une guerre civile, mais selon lui, cette probabilité est faible car « l’ex-président Bakiev ne [bénéficie] pas d’un soutien fort à l’échelle nationale ».
« Il faut donner du travail aux gens et leur remplir le ventre. Sinon, s’ils sont affamés et en colère, voilà ce qui arrive » |
Mirlan, 25 ans, un habitant d’Osh, la deuxième plus grande ville du pays, qui est située dans le sud et était considérée comme l’un des fiefs du président, a dit qu’il ne soutenait pas M. Bakiev.
« Je n’étais pas satisfait de la politique de son gouvernement et de ses décisions d’augmenter les tarifs de l’électricité. Par exemple, ma facture d’électricité de décembre était de 1 200 soms [27 dollars]. En janvier, suite à l’augmentation, j’ai payé 2 500 soms [56 dollars], et en février 2 600 soms [58 dollars]. [Les tarifs ont] plus que doublé. Je m’en sors à peu près parce que j’ai un petit atelier. Mais comment font ceux qui n’ont pas de travail, ou qui sont à la retraite ? Cela a vraiment été un coup dur pour eux », a-t-il dit.
« Le prix du carburant a augmenté d’au moins 25 pour cent, et cela a été aussi le cas d’autres produits. Est-ce que vous seriez content si vous étiez confrontés à de tels [problèmes] ? On dit que le plus jeune fils du Président contrôle toutes les entreprises majeures du pays ».
Un homme d’affaires local, qui a préféré garder l’anonymat, a dit que le régime était allé trop loin. « Il faut donner du travail aux gens et leur remplir le ventre. Sinon, s’ils sont affamés et en colère, voilà ce qui arrive », a-t-il dit.
D’après la Banque mondiale, le Revenu national brut annuel par habitant du Kirghizistan était de 780 dollars en 2008.
Le Comité national de la statistique du Kirghizistan a indiqué, dans un bilan sur les principaux indicateurs socioéconomiques daté du 8 avril, que le salaire mensuel moyen dans le secteur gouvernemental était d’environ 135 dollars.
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