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Les communautés, fer de lance de la lutte contre le paludisme

Kalifan Keita, petit paysan, n’a ni formation médicale, ni salaire, ni moyen de transport, à part sa petite bicyclette branlante ; pourtant, il a réussi là où ont en grande partie échoué le gouvernement malien et plusieurs décennies d’aide occidentale.

Il sauve la vie à des centaines d’enfants frappés par le paludisme, dont beaucoup auraient péri après avoir sombré lentement et atrocement dans le délire et l’inconscience. « Je ne fais pas de miracle », dit-il. « Ce que je fais est simple ».

M. Keita parcourt à vélo les six villages de sa région en transportant une petite boîte blanche marquée d’une croix rouge. Cette boîte contient des bâtonnets blancs et des aiguilles.

Lorsqu’il arrive dans un village, les femmes dont les enfants sont malades se réunissent. M. Keita sort alors ses seringues et pique le bout de l’index de chaque enfant, pour imprégner le bâtonnet d’une goutte de sang, et permettre ainsi d’indiquer rapidement si l’enfant souffre ou non de paludisme.

Sur les 14 tests effectués par M. Keita le jour où IRIN l’a rencontré, 12 étaient positifs. Fort de ce constat, M. Keita a remis six pilules aux mères concernées dans le cadre d’un traitement combiné à base d’Artémisinine (ACT), et leur a recommandé d’en donner deux par jour à chaque enfant.

En trois jours, tous les enfants avaient recouvré la santé. M. Keita est bénévole dans l’une des 18 communautés qui participent à un projet pilote dirigé par l’organisation non-gouvernementale (ONG) Médecins sans frontières (MSF) dans une région du Mali où le paludisme est endémique.

La nouveauté, c’est que les bénéficiaires du projet reçoivent le traitement contre le paludisme à domicile, et ne sont plus obligés de parcourir de longues distances pour se rendre dans des centres de santé éloignés – et que ce système fonctionne.


Photo: Nicholas Reader/IRIN
Les projets pilotes de MSF et de Save the Children au Mali ont démontré que les médecins et les infirmières doivent aller vers les communautés au lieu d'attendre que les patients viennent à eux.
Les résultats du projet MSF et d’un projet semblable, dirigé par Save the Children, doivent être présentés aux autorités au cours de l’année, mais les équipes des deux projets ont rapporté à IRIN qu’elles avaient déjà constaté jusqu’ici une augmentation d’au moins 50 pour cent du nombre d’enfants traités.

« Il y a toujours eu des problèmes d’accès et de distribution des médicaments au Mali, mais les efforts déployés précédemment en vue de régler ce problème n’ont pas porté leurs fruits en raison du manque d’infrastructures sanitaires », selon Dunni Goodman, directeur de Save the Children-Mali.

« Aujourd’hui, nous nous focalisons sur la manière d’assurer [la distribution des traitements] au sein des communautés locales où vit une majorité de la population. Le paludisme ne peut être éradiqué que s’ils [les traitements] sont apportés aux habitants jusque sur le pas de leur porte. Agir uniquement par le biais des centres de santé et des hôpitaux ne suffit pas ».

Les défis à relever

Ces projets communautaires sont d’une simplicité rafraîchissante. Les frais généraux ne dépassent pas le coût du matériel d’analyse et des médicaments. A Nonanda, la couverture anti-paludique englobe une centaine de villages, pour un coût total d’environ 400 000 dollars.

La principale critique susceptible d’être objectée à ces programmes repose sur le fait qu’ils dépendent trop de la motivation des bénévoles, et de la capacité du gouvernement central ou des autorités sanitaires à s’assurer que ces bénévoles éloignés et isolés sont bien équipés. MSF et Save the Children disent avoir surmonté ces deux difficultés.

Bien que leurs projets aient donné de bons résultats dans une région incapable de venir à bout de ce fléau, les défis n’en restent pas moins de taille. En effet, le Mali est un vaste pays enclavé, composé de milliers de kilomètres d’eaux stagnantes à la surface desquelles des essaims de moustiques géants se forment à chaque saison des pluies. Le pays présente un des taux de prévalence du paludisme les plus élevés du monde.


Photo: Nicholas Reader/IRIN
Une jeune fille souffrant de paludisme bénéficie de soins gratuits dans un centre de santé publique financé par MSF. Le coût d'une consultation empêche la plupart des Maliens d'accéder aux soins de santé
Les enfants sont plus nombreux que les adultes à y perdre la vie car ils n’ont pas eu le temps de développer une immunité contre la maladie. Ainsi, selon les estimations du Fonds des Nations Unies pour l’enfance (UNICEF), le paludisme contribue à au moins 30 pour cent des décès d’enfants au Mali.

A l’heure actuelle, le système mis en place pour freiner ces décès ne fonctionne pas. Le gouvernement malien et les bailleurs de fonds internationaux ont systématiquement donné la priorité aux centres de santé décentralisés – qui obligent les personnes souhaitant s’y rendre à parcourir jusque 100 kilomètres à pied – au lieu d’envoyer des travailleurs de la santé dans les villages.

« Au Mali, lorsque vous employez le mot “communauté”, les responsables pensent souvent que vous parlez du centre de santé communautaire, qui en réalité peut se trouver loin de là où vivent véritablement de vastes communautés », a expliqué Peter Winch, professeur à l’Ecole de santé publique Johns Hopkins Bloomberg de Washington DC, qui a étudié les programmes de lutte contre le paludisme axés sur la communauté, mis en place au Mali.

« Les Maliens ont besoin que les traitements soient disponibles dans les villages parce que, pendant la saison des pluies, au plus fort de la maladie, les routes sont endommagées et la plupart des gens n’ont pas de moyen de transport ». La situation est particulièrement grave pour les femmes, qui, au sein de la société malienne patriarcale, sont peu susceptibles d’avoir leur propre bicyclette ou leur propre âne pour se rendre au centre de santé.

Les coûts

Pour faire fonctionner ce système communautaire au Mali, il faut lever les obstacles financiers et géographiques aux soins de santé.

Le système de santé malien repose aujourd’hui encore sur le recouvrement des coûts : les adultes doivent payer 400 francs CFA (80 centimes de dollars) pour une consultation dans un centre de santé ; des frais qui ne comprennent pas le coût des médicaments, qui pour le paludisme peuvent atteindre jusqu’à quatre fois ce montant.

Les coûts sont prohibitifs pour bon nombre de paysans ruraux, qui ont souvent cinq enfants ou plus à charge et ont principalement recours au troc plutôt qu’au versement d’argent comptant.

Une politique nationale adoptée l’année dernière devait assurer la gratuité des soins de santé pour les enfants de moins de cinq ans, mais dans la pratique, selon bon nombre de médecins interrogés par IRIN dans des centres de santé du Mali, la plupart des enfants sont toujours tenus de payer. « Il y a une certaine confusion sur la façon dont cette politique a été mise en application », à en croire un expert des soins de santé expatrié à Bamako, la capitale.

Pour Medina Fernandez, directeur de MSF-Mali, le projet pilote de MSF a démontré que, sauf à supprimer les frais de consultation pour les enfants, à les réduire pour les adultes, à subventionner les médicaments en totalité ou à en assurer la gratuité, les programmes sanitaires axés sur les communautés n’ont aucun impact sur le nombre de personnes traitées.

« Ce n’est que lorsque nous avons assuré la gratuité totale des traitements pour les enfants, et fixé le prix de la consultation et du traitement à 200 francs CFA tout compris pour les adultes, que nous avons vu la différence », a rapporté M. Fernandez. MSF a également commencé à fournir des traitements aux enfants atteints d’autres maladies que le paludisme.


Photo: IRIN
Carte du Mali. Assurer la fourniture de services publics aux populations rurales représente un réel défit dans un pays d'une si grande superficie
Au centre de santé publique de Narena, la capitale provinciale, où MSF couvre les frais de consultation et de traitement depuis un an, le taux de fréquentation a plus que doublé depuis que les tarifs ont été modifiés, a affirmé Amaganu Guindo, médecin en chef. « Les problèmes économiques sont énormes dans ce pays. S’il y a eu une évolution de la fréquentation, c’est parce que ce service est désormais abordable ».

Manque de fonds publics

Le gouvernement malien consacre toujours trop peu de fonds à son système de santé national, puisqu’il alloue tout juste 10 pour cent de son produit intérieur brut aux services de santé, au lieu des 15 pour cent recommandés par l’Organisation mondiale de la santé (OMS).

« Les projets de lutte contre le paludisme, en particulier, sont essentiellement financés par des bailleurs internationaux », selon Lamine Cissé Sarr, directeur des bureaux maliens de l’OMS.

D’après les conclusions de recherches récentes publiées par l’OMS, le gouvernement malien couvre tout juste 2,6 pour cent du coût estimé d’un programme efficace de lutte contre le paludisme.

Le reste des fonds est censé être complété par l’aide internationale. Le Mali est une priorité pour l’Initiative du président des Etats-Unis contre le paludisme (PMI) et le Fonds mondial de lutte contre le sida, la tuberculose et le paludisme, les deux principaux bailleurs de la lutte contre le paludisme.

Les deux organismes aident le gouvernement malien à se procurer des antipaludiques et des kits de diagnostic, et à former ses prestataires de soins. Le Fonds mondial, qui s’est engagé cette année à consacrer 26 millions de dollars au Mali, soutient également une ONG locale du nom de Groupe Evo ; il l’aide à acheter et à distribuer des moustiquaires imprégnées d’insecticide, et à sensibiliser les populations à la prévention du paludisme.

Christine Sow, responsable santé au sein d’USAID, l’agence américaine d’aide au développement, dirige le comité de pilotage national chargé de superviser l’utilisation des subventions accordées par le Fonds mondial au Mali. Selon elle, le Fonds mondial ne donnera la priorité au financement des projets communautaires que si le gouvernement en fait la demande.

« Il est évident que si l’on veut assurer la couverture nécessaire pour avoir un impact sur la mortalité, il va falloir rendre les médicaments disponibles à l’échelle des communautés », a-t-elle néanmoins admis.

Capacité de distribution

Pour M. Winch, de l’Ecole Johns Hopkins, le manque de capacité des autorités à distribuer des médicaments risque d’être un obstacle de plus à l’exécution du programme au plan national.

« Au Mali, un pays qui manque d’expertise en matière de gestion au niveau central, même si vous avez les fonds nécessaires, vous n’avez pas forcément les moyens de les traduire en médicaments sur le terrain »
« Au Mali, un pays qui manque d’expertise en matière de gestion au niveau central, même si vous avez les fonds nécessaires, vous n’avez pas forcément les moyens de les traduire en médicaments sur le terrain », a-t-il estimé. « L’achat de médicaments et la gestion des réserves sont des questions complexes, et le gouvernement doit faire en sorte que les bons médicaments soient transportés jusque dans les régions rurales en quantité suffisante ; il faut aussi qu’un système de transport ait été mis en place ».

Améliorer la prévention et le traitement du paludisme permettrait néanmoins au gouvernement de consacrer une plus grande partie de son budget sanitaire limité à la lutte contre d’autres maladies chroniques.

« La plupart des centres de santé qui se trouvent dans des zones d’Afrique où le paludisme est endémique sont submergés par cette maladie ; ils n’ont donc pas le temps de s’occuper d’autres affections », a expliqué Josh Ruxin, un universitaire de l’université Columbia qui travaille sur le projet des Villages du millénaire de l’Earth Institute.

« Ce n’est qu’en prévenant les cas de paludisme qu’on peut commencer à penser à apporter des améliorations de fond au système de santé ».

nr/dh/cb/nh/ads/ail


This article was produced by IRIN News while it was part of the United Nations Office for the Coordination of Humanitarian Affairs. Please send queries on copyright or liability to the UN. For more information: https://shop.un.org/rights-permissions

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