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Réfugiés ou immigrants économiques : le HCR s'interroge sur le statut de ces exilés ivoiriens

[Senegal] Migrants from Cote d'Ivoire in Senegal in the hallways that become bedrooms at night. IRIN
Un couloir qui fait office de chambre à coucher le soir, dans cette maison surpeuplée

Dans une maison surplombant la mer, à Dakar, près de 120 ressortissants ivoiriens, hommes, femmes et enfants, dorment à 15 ou 20 dans une chambre sur des matelas en mousse et des feuilles de carton. Avec un plat de riz par jour, ils tentent de survivre et s’interrogent sur leur avenir.

Ils se retrouvent aujourd’hui coincés au Sénégal depuis trois mois, après avoir quitté la Guinée, où des escrocs qui se faisaient passer pour des fonctionnaires des Nations unies leur avaient soutiré de l’argent contre la promesse de leur trouver des visas pour les Etats-Unis et le Canada.

Ces ressortissants ivoiriens, qui, pour la plupart, vivaient à Danane, une ville sous contrôle des forces rebelles dans la région ouest de la Côte d’Ivoire, se considèrent comme des réfugiés ayant fui la guerre civile.

Mais pour le Haut commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR), aucun d’entre eux n’est en mesure de présenter une carte de réfugié délivrée en Guinée.

Le HCR les soupçonne d’être de simples immigrants économiques qui ne peuvent donc bénéficier de sa protection et de son aide.

Des réfugiés victimes d’une escroquerie

“Nous pensons qu’il s’agit d’une affaire dans laquelle des personnes privées ont arnaqué des individus qui voulaient se rendre à l’étranger ”, a expliqué Babacar Samb, administrateur de protection au HCR. “C’est une simple question de bon sens ; ces gens auraient dû se rendre compte qu’il n’était pas normal qu’on leur demande de l’argent”.

“Même si quelques-uns sont des réfugiés, ils seraient alors considérés comme des réfugiés en mouvement irrégulier”, a-t-il déploré.

Dans ce cas, a précisé Samb, tout ce que le HCR peut faire et d’aider le groupe à retourner en Guinée, leur premier pays d’exil.

“Mais ils ne nous ont pas demandé de les aider à retourner en Guinée,” a-t-il ajouté.

Selon l’organisation internationale pour les Migrations (OIM), depuis que les pays d’Afrique du nord ont déclaré la guerre aux immigrants clandestins qui traversent le désert du Sahara pour se rendre en Europe, de plus en plus d’immigrants économiques, originaires des régions subsahariennes, passent par l’Afrique de l’ouest.

“De plus en plus, le Niger, la Mauritanie, le Sénégal et le Mali deviennent des points de transit”, a indiqué Abibatou Wane, chargée de programmes à l’OIM. “Ce problème n’est pas prêt d’être résolu”.

Des ressortissants ivoiriens abandonnés de tous

Quelle que soit la raison qui a motivé le départ de ces Ivoiriens de leur pays, ils se sentent aujourd’hui abandonnés et plus en plus frustrés de constater que personne ne semble leur venir en aide.

“Nous nous sentons abandonnés. Nous pensions au départ que nous n’en avions que pour quelques jours ici”, a déploré Mohamed Kourouma, un membre du groupe d’ivoiriens déplacé. “Nous sommes donc surpris de constater que nous sommes ici depuis quelques mois”.

Selon Ibrahim Kourouma, le représentant et porte-parole du groupe, les 120 Ivoiriens de Dakar sont tous des réfugiés de N'zérékoré, la capitale de la région forestière du sud-est de la Guinée.

Un homme, du nom de Bill Howard, et d’autres individus se faisant passer pour des fonctionnaires du HCR se sont présentés à eux, a expliqué Kourouma. Ils leur ont promis une réinstallation rapide aux Etats-Unis et au Canada, contre de l’argent.

Selon Kourouma, Howard et ses associés ont ainsi récolté 42 millions de FCFA francs (79 000 dollars américains) en arnaquant 208 exilés ivoiriens vivant dans la région Est de la Guinée.

En avril dernier, ils ont fait embarquer la plupart de ces Ivoiriens dans des camions, à destination du Sénégal. Après trois jours de route, ils sont arrivés Dakar où on leur avait laissé entendre qu’ils prendraient un vol pour le Canada.

Un deuxième groupe de 80 personnes a été envoyé à Bamako, la capitale malienne, a ajouté Kourouma.

Une fois arrivé à Dakar, le premier groupe a été hébergé dans une grande maison surplombant la mer, dans le quartier des Parcelles Assainies. Mais quelques jours plus tard, Howard et ses associés ont disparu.

“J’ai eu Bill au téléphone la dernière fois le 8 mai”, a expliqué Kourouma. “On ne peut pas mettre la main sur lui et il a pris notre argent ”.

Des cas de corruption ont déjà existé au HCR

Mais l’histoire de ces Ivoiriens pourrait, en partie, être vraie. La personne que Kourouma accuse de leur avoir soutiré de l’argent était une ancienne employée du HCR travaillant dans les camps de Nzérékoré.

Stefano Severe, le représentant du HCR en Guinée a confié à IRIN qu’une enquête interne menée l’année dernière a révélé que la dame incriminée a, en effet, touché des pots-de-vin. Elle a disparu avant que des mesures disciplinaires ne soient prises contre elle, et le HCR pas perdu sa trace, a indiqué Severe.

Pour certains réfugiés qui ne peuvent retourner dans leur pays d’origine, le HCR propose parfois des programmes de réinstallation à l’étranger.

Une fillette de quatre ans ; un des 23 enfants qui vivent avec le groupe d'exilés ivoiriens qui espère s'installer aux Etats-Unis ou au Canada

Ces deux dernières années, par exemple, les autorités américaines ont autorisé 6 500 réfugiés libériens de Côte d’Ivoire à s’installer aux Etats-Unis.

Mais comme le souligne Samb, ces programmes sont très sélectifs et aucune contribution financière n’est demandée aux réfugiés.

En Guinée, ces Ivoiriens ont apparemment payé des pots-de-vin en pensant contourner la procédure pour se faire intégrer dans un groupe de candidats au départ qui avait déjà reçu toutes les autorisations requises.

A en croire Kourouma, on leur avait laissé entendre que le processus de réinstallation pouvait être “accéléré” s’ils payaient une certaine somme.

“Je vois maintenant que j’ai peut-être été naïf”, a-t-il reconnu. “Mais quand tu as en face de toi quelqu’un qui dit qu’il est du HCR et qu’il va t’aider, tu penses peut-être que Dieu t’a montré la bonne voie ”.

Les fraudes sont courantes dans les programmes de réinstallation de réfugiés, indique une source proche du HCR. L’agence mène régulièrement des campagnes de sensibilisation au sien des communautés de réfugiés afin de les mettre en garde contre les escrocs.

En 2002 un service de contrôle de l’ONU a constaté que de nombreux employés du HCR à Nairobi avait élaboré un stratagème pour percevoir des pots-de-vin des réfugiés cherchant à s’installer à l’étranger.

Nous sommes tous des réfugiés

Tous ces Ivoiriens qui se sont retrouvés coincés à Dakar n’étaient pas identifiés comme étant des réfugiés. Certains vivaient effectivement dans des camps de réfugiés en Guinée, mais la majorité d’entre eux travaillaient à l’extérieur des camps de N’zérékoré et dans Conakry, la capitale guinéenne.

Mais tous racontent qu’ils ont fui leur pays lorsque la guerre civile a éclaté en septembre 2002.

Fanta Bamba, 20 ans, a expliqué qu’elle a fui Danane pour se réfugier en Guinée en Novembre 2004 après avoir été poignardée par des inconnus alors rentrait chez elle.

“Je me suis réveillée dans un lit d’hôpital ; je ne sais pas comment je me suis retrouvée là”, a-t-elle indiqué. Selon la jeune femme, les cicatrices qu’elle porte sur la joue droite lui font encore mal de temps en temps.

Quant à Fanta Kourouma, 38 ans, elle raconte comment ses enfants et elle ont été expulsés de leur maison située dans une caserne de police du centre-ville de Bouaké, après que son mari, un gendarme, a été exécuté par les forces rebelles lorsqu’elles se sont emparées de Bouaké en Octobre 2002.

Tous survivent grâce à la charité des habitants

Aujourd’hui, tous ces exilés ivoiriens survivent grâce à la charité de la communauté musulmane des Parcelles Assainies.

De nombreuses paires de chaussure en plastique jonchent le sol carrelé du couloir qui fait aussi office de chambre à coucher pour de nombreuses personnes. Le groupe compte également en son sein 23 enfants âgés de quatre mois à seize ans.

Des sacs de voyage et des sachets plastiques pleins à craquer sont empilés partout dans la maison.

La cuisine aussi a été transformée en chambre à coucher. Les femmes utilisent la terrasse pour cuisiner tous les aliments qu’elles peuvent trouver.

Un marabout installé à proximité offrent quotidiennement des miches de pain aux Ivoiriens. D’autres voisins très compatissants leur donnent occasionnellement du riz et d’autres denrées alimentaires ou font faire des quêtes à la mosquée.

Certains jeunes gens du groupe essaient de se faire un peu d’argent. Pour 1000 FCFA (1,80 dollars) par jour, ils fabriquent des briques sur les terrains jouxtant leur maison.

Les Ivoiriens comptent aussi sur leurs voisins sénégalais pour avoir deux bassines d’eau par jour, car depuis plus de deux semaines, l’alimentation en eau de la maison a été suspendue et il ne dispose pas d’assez d’eau pour la lessive.

Ce qui préoccupe le plus les femmes, dans cette maison, c’est le manque de nourriture et la santé de leurs enfants.

Alice Camara, 38 ans, souffre d’asthme. Elle est venue à Dakar avec ses cinq filles et ses nièces. “Nous devons choisir entre nous faire soigner et manger ", s’est-elle plainte. "Je suis complètement angoissée.”

Selon Mor Diop, le propriétaire de la maison, Howard et son complice sénégalais, un certain Arouna N’diaye, lui avaient dit qu’ils paieraient pour les frais d’hébergement pour les quelques jours que le groupe aurait à passer dans sa maison avant son départ pour l’étranger.

Le loyer mensuel de la maison est de 250 000 FCFA francs (460 dollars). Howard et son associé ne lui ont versé qu’une petite somme pour la caution et il n’a plus de nouvelles d’eux depuis fin avril, s’est indigné le propriétaire.

“Je ne peux plus garder tous ces gens chez moi. Personne ne paye ”, s’est-il plaint. “Cette situation m’appauvrit. Mais il y a des enfants, des femmes et des malades. Je ne peux pas les mettre à la rue.”

Diop compte sur les autorités ivoiriennes et sur le HCR pour l’aider à récupérer sa maison.


Les femmes s'inquiètent plus pour la santé de leurs enfants

La plupart de ces infortunés ivoiriens espèrent toujours qu’ils finiront bien par aller aux Etats-Unis et ou Canada.

Masse Fadiga, 32, dort sur le toit de la maison. Elle s’est confectionnée un abri en posant une porte branlante sur deux des murets qui entourent la terrasse du toit.

Arrivée Dakar avec son mari et son jeune fils de 10 ans, elle nous confie que sa famille espère bien aller au Canada un jour.

“J’ai tout perdu pendant la guerre. Je veux aller au Canada pour y trouver un emploi afin d’envoyer de l’argent à ma famille”, a-t-elle indiqué, allongée sur un matelas en mousse, dans une chambre où les femmes se retrouvent pour deviser ou se reposer.

Quel sort pour ces infortunés ivoiriens ?

Les autorités locales tentent de définir le statut de ce groupe d’infortunés ivoiriens.

“C’est un problème délicat pour les autorités sénégalaises", a fait remarquer Vijaya Souri, un chargé de programme à OIM. “Elles doivent – conformément à leurs lois – décider du statut de ces personnes qui se trouvent sur leur territoire national”.

Selon une source proche du ministère de l’Intérieur et très informée du dossier, les autorités sénégalaises mènent actuellement une enquête pour savoir exactement ce qui est arrivé à ce groupe d’ivoiriens.

L’ambassade de Côte d’Ivoire à Dakar s’est refusée à faire le moindre commentaire sur le sort des ces personnes.

Souri a expliqué que les escrocs font preuve de plus en plus d’imagination pour arnaquer les personnes vulnérables et leur soutirer de l’argent contre la promesse d’un visa pour l’Europe ou l’Amérique du Nord. “Aujourd’hui, malheureusement, les formes d’escroquerie et d’exploitation sont si diverses, qu’il est bien difficile de lutter contre ces arnaques”, a-t-il expliqué.

La Côte d'Ivoire était autrefois un modèle de prospérité économique, un havre de paix et de stabilité en Afrique de l’Ouest. Pour ce groupe d’Ivoiriens, être réduits à mendier sa pitance est une situation humiliante.

Abraham Bakayoko, 26, était étudiant à l’université d’Abidjan lorsque la guerre civile a éclaté.

“On hésite à se mettre devant les gens pour mendier, avec le peu de dignité qui nous reste”, a-t-il confié à IRIN.

“Si nous sommes encore tous ensemble ici, c’est parce que nous gardons encore l’espoir d’aller aux Etats-Unis ou au Canada, après trois années de souffrance”.

Autrefois militant du Rassemblement des républicains (RDR), le parti d’opposition, Bakayoko est aujourd’hui un déçu de la politique.

“Depuis la guerre, je n’ai plus de parti politique”, a-t-il lancé. “Mon parti politique est mon ventre”.


This article was produced by IRIN News while it was part of the United Nations Office for the Coordination of Humanitarian Affairs. Please send queries on copyright or liability to the UN. For more information: https://shop.un.org/rights-permissions

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