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A l’école, les bonnes notes peuvent tuer

De guerre lasse, Marlène a fait comme ses amies: pour obtenir une bourse de deuxième année d’université, la jeune étudiante, chef de famille, a accepté d’avoir des rapports sexuels, pas toujours protégés, avec l’un de ses professeurs.

«Je n’ai pas réussi sans peine: j’ai dû me livrer à cet exercice humiliant d’avoir des rapports intimes avec un enseignant», a expliqué Marlène, étudiante à la Faculté des lettres et des sciences humaines de l’université Marien Ngouabi de Brazzaville, la capitale congolaise.

A 24 ans, Marlène est responsable de ses quatre frères et sœurs, une fratrie livrée à elle-même depuis la mort des parents. Cette bourse, délivrée par l’Etat aux étudiants ayant atteint la deuxième année d’université, leur permettra de survivre, a-t-elle estimé.

Ces pratiques, de plus en plus répandues sur les campus universitaires, dans les lycées et les collèges du Congo, sont désormais dénoncées par les associations de la société civile qui s’inquiètent du risque de propagation du VIH/SIDA au sein d’une population particulièrement vulnérable.

Selon l’ONG congolaise Donnons le sourire, la situation est aussi préoccupante pour les enseignants, sollicités par les élèves, que pour les étudiantes, harcelées par les professeurs et les plus vulnérables aux infections sexuellement transmissibles, dont le VIH/SIDA.

A son initiative, un Observatoire de l’étudiant a été mis en place à Brazzaville pour dénoncer les abus et expliquer le phénomène des ‘Moyennes sexuellement transmissibles’, ou MST, ces bonnes notes offertes par les enseignants en échange de rapports sexuels, souvent à hauts risques.

Les taux d’infection au VIH des étudiants des lycées et de l’université atteignent respectivement trois et 2,5 pour cent. Ils grimpent à 4,1 pour cent pour les élèves du cycle primaire et jusqu’à 4,8 pour cent pour les enfants scolarisés au collège, soit au-dessus de la moyenne nationale de 4,2 pour cent, selon le Conseil national de lutte contre le sida.

En Afrique, l’impact du VIH sur la scolarisation se fait de plus en plus sentir, notamment en raison de taux de morbidité et de mortalité des enseignants relativement élevés dans les pays à forte prévalence.

Les systèmes scolaires les plus touchés par l’épidémie de VIH sont ceux de la Côte d'Ivoire, de la République Centrafricaine, de la Zambie, de l’Ouganda et du Lesotho, avec une moyenne de 10 décès d’enseignants chaque mois, selon la Banque mondiale.

Une étude réalisée par l’institution internationale en 2000 estimait que le sida aurait tué entre 15 000 et 27 000 enseignants africains d’ici 2020, une catastrophe pour un continent qui affiche déjà les taux de scolarisation parmi les plus bas du monde.

Le taux de scolarisation en baisse

Au Congo, les taux de scolarisation des jeunes filles ont commencé à baisser en 1988, pour chuter de 22 points en l’espace de 15 ans en raison des crises économiques et des nombreux conflits civils qui ont déchiré ce petit pays d’Afrique centrale jusqu’en 2002.

Mais pour les autorités, à l’origine d’un projet de prévention dans les écoles lancé en 2001, l’épidémie de sida fait aussi peser une lourde menace sur l’offre, la demande et la qualité de l’éducation, selon le ministère de l’Enseignement primaire et secondaire à l’origine de la formation en pair éducation de plus de 10 000 élèves et 8 000 enseignants.

Pourtant, selon Ella Emouengué, étudiante comme Marlène, les filles «demeurent exposées à toutes sortes d’abus de la part de certains professeurs et administrateurs de l’établissement».

Elle a ajouté qu’une certaine responsabilité incombait aux étudiantes, certaines préférant encourager ce type de rapports plutôt que travailler. «Elles veulent aller vite et préfèrent la voie de la facilité et du charme pour atteindre leurs buts.»

Selon les conclusions d’une enquête que vient de réaliser la psychopédagogue Mathurine Mafoukila, de l’Université de Brazzaville, la crise de puberté chez les jeunes filles est l’une des raisons qui justifient l’abandon de leurs études.

«C’est à partir des classes de 3e et de 4e (les deux dernières classes du collège), que les filles rencontrent le plus de problèmes, cela correspond au moment où elles sont fortement sollicitées par la société», a expliqué Mme Mafoukila.

Les grossesses non désirées, les maladies, la peur ou le rejet par la famille sont à l’origine de nombreux abandons scolaires, a-t-elle ajouté, sans donner de détails.

Dans une étude non encore publiée, le Centre d’étude pour le développement de l’Université de Cape Coast, au Ghana a révélé que 11 pour cent des enfants scolarisés dans le pays étaient victimes de harcèlement et d’abus sexuels à l’école ; 90 pour cent d’entre eux sont des filles.

Six pour cent des victimes interrogées ont expliqué avoir été menacées par leur professeur ou le responsable de l’établissement si elles ne consentaient pas à avoir un rapport sexuel. Un tiers d’entre elles avait moins de 14 ans, près de 70 pour cent moins de 18 ans.

Selon le Fonds des Nations unies pour l’enfance, Unicef, à l’origine de l’étude et d’une réflexion plus globale sur ce phénomène, menée en 2004, les professeurs offrent ainsi à leurs élèves de bonnes notes aux examens, un soutien scolaire ou tout autre traitement préférentiel.

«Le professeur mâle va toucher les seins de l’élève en prétendant l’aider à lire son livre d’exercice en cours, il va lui ordonner de venir dans son bureau et là, il va la molester. Pour beaucoup de filles, cette invasion dans leur espace privé est inévitablement liée à leur vie scolaire», a expliqué l’auteur de l’étude, Fiona Leach de l’Université britannique du Sussex.

Les filles responsables

L’Unicef a tenté d’expliquer la responsabilité des jeunes filles dans les situations de concubinage, de harcèlement et de violences sexuelles.

«Si des filles démarrent des relations sexuelles avec des professeurs ou des hommes âgés pour se marier, d’autres font face à de telles pressions financières pour payer les frais de scolarité, les livres et l’uniforme, ou simplement pour survivre, qu’elles n’ont pas beaucoup de choix», a ajouté Fiona Leach, expliquant que contrairement aux garçons, les filles trouvent difficilement des ‘petits boulots’ et considèrent leur corps comme leur unique atout.

«Une étudiante est capable de gérer trois garçons sans qu’ils ne s’en rendent compte. Entre 15 et 24 ans, les jeunes filles ont beaucoup de partenaires sexuels», a expliqué un militant de l’Association congolaise de santé familiale (ASF).

Selon l’Unicef, le nombre d’adolescentes qui vendent leur corps à des hommes plus âgés a considérablement augmenté en Afrique ces dernières années, en raison du changement de perception vis-à-vis du sexe hors mariage, de l’augmentation de la pauvreté et des décès liés au sida dans les familles.

«Les avances sexuelles de la part des professeurs sont peut-être moins nombreuses que celles venant des élèves mâles, mais elles sont plus choquantes parce qu’il s’agit d’un abus de confiance», a expliqué l’agence des Nations unies.

Pour la justice congolaise, il est impératif de condamner les coupables et de rappeler aux jeunes filles que «les magistrats sont là pour les aider», a rappelé maître Yvonne Kimbembé, avocate à la Cour suprême de Brazzaville.

Malheureusement, rares sont les professeurs à avoir été sanctionnés et empêchés d’exercer, même dans les cas de grossesse. Certains d’entre eux peuvent simplement être transférés dans un autre établissement, selon l’Unicef.

Tandis que les parents et les élèves sont intimidés ou manque d’information sur la manière de porter plainte, les responsables d’établissement sont réticents à l’idée de signaler les affaires en raison de la lourdeur des enquêtes administratives.

Alors, il ne reste plus aux étudiantes «qu’à apprendre à s’autonomiser et à éviter tout complexe», a dit Valentin Mavoungou, le directeur général des droits de l’homme au sein du gouvernement congolais.

«L’étudiante doit se débarrasser de ses préjugés, elle ne doit pas penser que sans ses tuteurs, rien ne peut aboutir.»

lmm/ab/ail

This article was produced by IRIN News while it was part of the United Nations Office for the Coordination of Humanitarian Affairs. Please send queries on copyright or liability to the UN. For more information: https://shop.un.org/rights-permissions

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