En deux ans et demi d’histoire seulement, le Soudan du Sud a déjà une certaine expérience du conflit. Né d’une guerre civile avec le Soudan, le pays – et tout particulièrement l’État rétif de Jonglei – est coutumier des vols de bétail, des heurts intercommunautaires et des affrontements entre l’armée nationale et les groupes rebelles.
Ce qui est inédit, c’est la quantité d’hommes à avoir trouvé refuge dans des bases des Nations Unies ou d’autres zones relativement sûres, ou à avoir entièrement quitté le pays, rapporte Miranda Gaanderse, une agente de protection du Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR). On ne dispose pas encore de chiffres exacts et les déplacés sont pour l’essentiel des femmes et des enfants, mais d’après Mme Gaanderse, le fait que des centaines de milliers d’hommes aient fui leur foyer est un indicateur du niveau de violence et du caractère traumatique des affrontements.
International Crisis Group estime qu’au moins 10 000 personnes ont été tuées. Un rapport d’étape des Nations Unies sur les violations des droits de l’homme fait état d’assassinats ciblés de civils, de violence sexiste -notamment de viols collectifs – et d’actes de torture perpétrés par les combattants des deux camps.
Au moins une partie des violences semble avoir une visée psychologique : les agences signalent des corps mutilés, abandonnés au beau milieu d’établissements humains pour pousser les gens à fuir. Dans des villes comme Bor, la capitale de l’État de Jonglei, les corps continuent de joncher les rues plusieurs semaines après l’arrêt des combats, car les habitants sont trop effrayés ou trop peu nombreux pour les en retirer.
« Les violences ciblaient principalement les hommes », a dit Mme Gaanderse, et avec la poursuite des affrontements, la peur persiste. Dans les camps de déplacés, ce sont les femmes qui sortent faire les courses ou ramasser du bois, a-t-elle précisé. « Certains hommes sont assis là à ne rien faire depuis trois mois. L’impact est considérable, notamment d’un point de vue psychologique. »
En l’absence d’une prise en charge psychosociale, les victimes sont susceptibles de sombrer dans l’alcoolisme ou la violence, a-t-elle prévenu.
Pourtant, il semblerait qu’ils n’aient guère d’autre choix que de rester assis quelques mois encore. L’accord de cessation des hostilités datant de la fin janvier a été violé à de multiples reprises et les pourparlers de paix en cours à Addis Abeba n’ont enregistré que peu de progrès.
Martin Ojok Karial, fonctionnaire international à Malakal, vit dans la base des Nations Unies de la ville depuis plus de deux mois. Il est « juste très énervé, car il n’y a pas de raison […] Il ne se passe plus rien. Pas de nourriture. Rien. Pas d’avenir ».
Pour l’aider à gérer sa colère, M. Karial n’a qu’une poignée d’amis. Il a dit ne pas pouvoir en parler avec sa famille.
Du fait de l’ampleur de la crise, près de la moitié de la population se retrouve à avoir besoin d’une aide élémentaire. Or le temps presse. Avec l’arrivée des pluies saisonnières qui menacent de bloquer l’accès aux grands axes routiers du pays sous peu, les groupes d’aide humanitaire affirment que pour l’heure, la fourniture de nourriture, d’eau potable et d’une assistance médicale de base doit l’emporter sur le soutien psychologique.
Faible appui des bailleurs de fonds
International Medical Corps (IMC) a procédé à une évaluation rapide des besoins en matière de santé mentale dans le comté d’Awerial et à Malakal, la capitale de l’État du Nil supérieur. On y trouve des populations ayant connu les pires violences depuis l’éclatement du conflit au Soudan du Sud mi-décembre. Les chercheurs d’IMC décrivent un « système de santé fragile » dépendant presque entièrement des organisations internationales, dans l’incapacité d’organiser un plan d’intervention en matière de santé mentale.
Le plan d’intervention d’urgence de la communauté humanitaire à la crise sud-soudanaise se subdivise en différentes catégories, appelées « clusters ». Les services psychosociaux dépendent du cluster de protection qui n’a levé que 3,8 millions de dollars sur les 63,4 millions de dollars requis.
Jorge Castro, qui a mené l’évaluation d’IMC, n’a pas même tenté de quantifier ces besoins à l’échelle du pays, car les agents de santé actuels n’ont pas le temps ou les compétences nécessaires pour les répertorier. Lors de ses visites, M. Castro a rencontré « des personnes souffrant de troubles d’adaptation et de tout un éventail de troubles de stress et d’anxiété – en lien avec cet événement particulier, mais également avec des traumatismes en provenance du passé. Les besoins sont considérables. Tout le monde est vulnérable. Il ne s’agit pas uniquement des enfants, des femmes et des personnes âgées ».
Avant l’éclatement de la crise, le gouvernement sud-soudanais accusait déjà un manque de professionnels de la santé mentale, et la réponse psychosociale était entièrement à charge des organisations humanitaires sollicitées à l’excès.
Face au manque de ressources nécessaires pour faire venir des équipes de psychiatres, d’autres interventions sont mises sur pied, a expliqué Fatuma Ibrahim, la responsable de la protection à l’enfance du Fonds des Nations Unies pour l’enfance (UNICEF). Compte tenu du mandat de l’agence, ces dernières s’adressent toutefois très majoritairement aux enfants.
Au nombre de ces interventions figure la mise en place d’espaces sûrs, au sein desquels les enfants peuvent jouer ou dessiner sous la protection d’un membre de la communauté ayant suivi une formation. C’est un moyen simple de faire parler les enfants et de les encourager à s’exprimer sur ce qu’ils ont vécu, a fait observer Mme Ibrahim.
Le problème, a-t-elle dit, c’est lorsqu’un enfant refuse de participer. « Ce niveau de compétences [pour créer le lien avec l’enfant] fait encore réellement défaut, pour développer cette capacité. Parce que ce genre de cas requiert une aide psychologique individualisée. Il y a très, très peu de personnes dotées de cette expertise, de ces compétences ». Mais Mme Ibrahim a dit qu’elle espérait que 90 pour cent des enfants vivant dans les centres de déplacés auraient accès à des interventions psychosociales de base.
L’agence établit également le contact avec les femmes, que ce soit au marché ou à l’occasion d’autres événements sociaux réguliers, pour les encourager à parler de leur expérience. Cependant, les interventions ne touchent pas encore tout le monde « les pères sont généralement laissés de côté », a-t-elle dit.
Risques de cicatrices psychologiques
Assise dans la salle d’attente d’un petit hôpital de Minkaman, Rebecca Athou berce son fils de trois ans. L’enfant souffre d’une petite infection cutanée autour de l’œil, et elle l’a conduit à la clinique de jour gérée par UNICEF pour qu’on le soigne. Elle pense que son fils guérira vite. C’est son frère de cinq ans qui l’inquiète.
Mme Athou, son mari et leurs trois enfants ont fui lors des violents affrontements qui ont secoué Bor à la mi-décembre. Ils ont traversé le Nil blanc pour rejoindre l’immense camp qui s’est développé dans le comté d’Awerial, non loin de Minkaman.
Plus de deux mois après, chaque fois que son fils de cinq ans aperçoit « quelqu’un avec une arme, il m’appelle et me dit "Il y a quelqu’un avec une arme qui vient nous tuer" », a dit Mme Athou. Il est rare qu’il fasse ses nuits. Mais elle n’a nulle part où l’amener pour qu’on le soigne.
L’absence de prise en charge des traumatismes peut entraîner toutes sortes de problèmes, a dit Mme Ibrahim d’UNICEF, notamment un ralentissement du développement chez les enfants et les adolescents, ou le déclenchement d’accès de violence tant chez l’enfant que chez l’adulte. L’absence de soins risque de laisser des cicatrices psychologiques permanentes chez la nouvelle génération, dans un pays qui commence à peine à se relever de décennies de combats.
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