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L’approche de la Turquie à l’égard des réfugiés syriens est-elle viable ?

Nizip 2 Container City, the latest Turkish camp for Syrian refugees. Turkey is now hosting nearly 200,000 refugees in 17 camps along its border with Syria, at a cost of nearly $1 billion so far Jodi Hilton/IRIN
Non loin des rives tumultueuses de l’Euphrate, 908 logements préfabriqués blancs ont été installés sur un petit terrain entouré d’une double rangée de fil de fer barbelé et protégé par des miradors.

Chaque préfabriqué – qui comprend deux pièces, deux fenêtres, une porte et une petite salle de bains – abrite une famille.

Le site de Nizip 2, baptisé « Container City » (la ville de préfabriqués), est l’un des deux camps récemment établis par les autorités turques pour accueillir un nombre croissant de réfugiés fuyant les violences qui secouent la Syrie voisine. Les deux camps ont atteint leur capacité d’accueil – soit 15 000 places au total – en seulement un mois.

De l’autre côté de la frontière, quelque 50 000 déplacés syriens vivent dans des camps de fortune ; plusieurs milliers sont arrivés récemment, suite à l’intensification des violences dans le gouvernorat d’al-Raqqa. La plupart attendent d’entrer en Turquie, qui accepte entre 500 et 1 500 réfugiés par jour, mais a des difficultés à leur trouver un logement.

« Nous n’avons pas les capacités d’accueil », a dit à IRIN Suphi Atan, un représentant du ministère turc des Affaires étrangères. « Comment pouvons-nous tous les accueillir ? ».

Tout comme la Jordanie et le Liban, la Turquie s’efforce de faire face au fardeau croissant du conflit qui secoue son voisin. Le mois dernier, le nombre de personnes réfugiées dans la région a dépassé le cap du million.

Aux dires de tous, les camps turcs comptent parmi les meilleurs que le monde n’ait jamais connus. Le pays a fait preuve d’une grande générosité, dépensant au moins 700 millions de dollars de ses propres fonds – jusqu’à un milliard de dollars, selon certaines estimations – pour accueillir les réfugiés. Près de 200 000 Syriens sont hébergés dans les 17 camps établis le long de la frontière, le coût de fonctionnement d’un camp étant estimé à au moins 1,5 million de dollars par mois. Mais le flux de réfugiés ne se tarit pas et les observateurs se demandent comment la Turquie va pouvoir faire face à la situation.

« Bien entendu, la question qui se pose … et les Turcs eux-mêmes sont inquiets, est celle de la viabilité », a indiqué un travailleur humanitaire, qui a préféré garder l’anonymat.

Changements récents

Ces dernières semaines ont été marquées par un « changement de ton » dans l’approche mise en œuvre par la Turquie, selon un travailleur humanitaire.

En mars, le gouvernement turc a lancé une opération pour enregistrer les réfugiés syriens installés à l’extérieur des camps, dans les villes et les municipalités, pour mieux comprendre leurs besoins. À ce jour, plus de 68 500 réfugiés ont été enregistrés et 33 260 autres sont en passe de l’être.

Au cours des deux dernières semaines, il a également donné le « feu vert » à une organisation non gouvernementale (ONG) internationale, le Conseil danois pour les réfugiés (DRC), pour aider directement les réfugiés installés à l’extérieur du camp – jusqu’à présent, seules quelques ONG locales leur fournissaient une aide limitée, de manière ponctuelle.

Les agences des Nations Unies sont de plus en plus actives dans les camps. Par exemple, le Programme alimentaire mondial (PAM) et le Croissant-Rouge turc ont lancé conjointement un système de bons d’alimentation qui permet aux réfugiés d’acheter des denrées alimentaires en utilisant une carte de crédit électronique. Le programme a été introduit dans les camps de Harran et de Hatay, et le nombre de bénéficiaires devrait être multiplié par deux d’ici la mi-avril. Le gouvernement souhaite lancer ce programme dans tous les autres camps dès que possible, mais, à ce jour, le PAM ne dispose pas de fonds suffisants.  

L’AFAD, l’Agence du Premier ministre pour la gestion des catastrophes, a aussi signé des accords avec d’autres agences des Nations Unies, comme le Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR), pour fournir de l’aide et des services humanitaires aux réfugiés.

Ce mois-ci, la Turquie a adopté une nouvelle loi sur le droit d’asile, qui fixera pour la première fois un cadre légal permettant de répondre aux questions relatives à la situation des réfugiés dans le pays.

De l’autre côté de la frontière

Les camps de réfugiés turques, établis dans huit provinces du Sud, hébergent actuellement quelque 192 000 personnes, soit une augmentation de près de 30 pour cent depuis le début de l’année 2013. Selon les estimations, un nombre équivalent de Syriens se seraient installés en ville, dans des appartements, des maisons en construction ou même des hangars. Dans la ville de Reyhanli, située à la frontière turque, une salle de mariage construite sur deux étages abrite plus de 700 personnes.

La politique mise en place par la Turquie prévoie que les personnes sans papiers doivent attendre – parfois jusqu’à quatre mois – que des places se libèrent dans l’un des camps. Les personnes âgées et les blessés sont prioritaires. (Les Syriens qui entrent dans le pays avec leur passeport sont libres de s’installer en ville.) De l’autre côté de la frontière, des dizaines de milliers de déplacés sont confrontés à des conditions de vie très difficiles : installés dans des camps de fortune, ils ne reçoivent qu’une aide sporadique et attendent que des places se libèrent dans les camps.

La Turquie prévoit l’ouverture de trois camps supplémentaires le mois prochain – avant celle des camps de Harran et d’Adana – qui pourront héberger 40 000 personnes.

Le ministère des Affaires étrangères n’a pas souhaité répondre aux journalistes d’IRIN qui demandaient davantage d’informations sur son projet à long terme pour faire face à l’afflux de réfugiés. Mais, selon M. Atan du ministère des Affaires étrangères, la Turquie estime que le nombre de réfugiés hébergés dans les camps devrait s’élever à 300 000 d’ici à la fin de l’année.

« Nous continuerons à construire des camps pour les accueillir. Il serait bien entendu préférable d’envoyer de l’aide humanitaire en Syrie pour qu’ils restent vivre sur place », a-t-il dit. Le gouvernement turc distribue déjà de la nourriture, des tentes et d’autres denrées aux Syriens installés de l’autre côté de la frontière.  

« Nous souhaitons que les citations d’Atatürk deviennent réalité : Paix à la maison, paix dans le monde » - Cengiz Gundes, le gestionnaire du camp
Pour Oytun Orhan, un chercheur du Moyen-Orient qui travaille pour l’ORSAM, un groupe de réflexion turc, le pays n’a pas d’autre choix que de poursuivre sa politique de « porte-ouverte », car tout renversement de politique serait un « déni total » de ses principes.

Mais dès l’automne, alors que le nombre de réfugiés était la moitié de ce qu’il est aujourd’hui, il a dit à IRIN : « le coût de la présence des visiteurs syriens s’alourdit de jour en jour, un coût social, sécuritaire, mais aussi économique ».

Des approches à long terme

Plusieurs agences d’aide humanitaire fournissent déjà une « aide transfrontalière » et quelques-unes demandent un renforcement de cette aide.

L’ONG turc IHH propose aux bailleurs de fonds des pays du Golfe de construire des camps « bien organisés » dans le nord de la Syrie, région contrôlée par les rebelles – ils proposeront des services complets, y compris des écoles, des mosquées et plus tard des logements – pour remplacer les campements temporaires, dont les abris n’offrent aucune protection contre les éléments.

« Il ne s’agit pas d’une crise à court terme. Elle va s’aggraver et se prolonger », a dit à IRIN Izzet Sahin, un coordinateur des relations internationales. « Même si un cessez-le-feu est conclu, même si la Syrie entre dans une nouvelle ère, ces centaines de milliers de personnes ne pourront pas rentrer chez elles, car il n’y a plus de logements. Il faut établir un plan de cinq ans minimum pour les reloger ».

Selon les observateurs, cela ne correspond pas à la première évaluation du conflit syrien par les Turcs.

« La Turquie continue de penser que ce sera bientôt fini et que tout le monde repartira en Syrie », a dit Hugh Pope, un analyste de l’International Crisis Group.

La Turquie a multiplié les appels aux bailleurs de fonds pour réclamer des financements supplémentaires afin de soutenir sa réponse au problème des réfugiés. Mais jusqu’à présent, les bailleurs de fonds ont donné la priorité aux gouvernements jordanien et libanais - plus faibles et plus pauvres – mais même les financements internationaux alloués à l’aide humanitaire restent limités.

La Turquie pourrait aussi revenir sur sa décision d’exiger des demandeurs d’asile sans papier qu’ils attendent que des places se libèrent dans les nouveaux camps, et accepter l’aide proposée par les organisations internationales pour leur trouver des logements.

« La construction du camp est davantage une excuse technique », a dit un autre acteur de l’aide internationale. « Si des réfugiés arrivent, nous trouverons toujours des solutions pour les loger ».

Les camps les plus récents

Pour le moment, un grand nombre de réfugiés syriens dépendent de la construction de nouveaux camps. Ahmed Fariz, qui a perdu ses jambes alors qu’il combattait aux côtés des rebelles de l’Armée syrienne libre (FSA), fait partie des derniers réfugiés arrivés au site de Nizip 2. Il était l’unique soutien de ses parents, de sa femme et de ses deux jeunes enfants. Assis dans une chaise roulante, il porte son fils, un bébé souriant de trois mois. Il dit qu’il a été emmené à l’hôpital de Gaziantep il y a un mois.

Cet ancien tailleur fait l’éloge des autorités turques, qui, dit-il, ont pris soin de lui à l’hôpital et plus tard dans le camp, et « nous ont fourni tout ce dont nous avions besoin ». Le maire de Nizip leur a même rendu visite à trois reprises, a-t-il dit, « et les médecins ont promis de me donner des prothèses ».

La clinique de soins n’est qu’un des nombreux services proposés dans le camp, qui compte des cuisines, des laveries, une salle de télévision et une mosquée verte.

Saleh Al Haffez, sa femme et leurs cinq enfants, âgés de 4 à 13 ans, vivent entassés dans deux petites pièces, mais ils sont reconnaissants : « Le gouvernement turc a été plus généreux que tous les autres ».

Le Croissant-Rouge turc et l’AFAD distribuent des matelas, des draps, des assiettes, des casseroles, des couches, des radiateurs et de la nourriture aux familles du camp. Le midi, les enfants, équipés de casseroles et de poêles, font la queue pour rapporter de la soupe aux lentilles, des pâtes à la sauce tomate, des yaourts et des baguettes à leur famille. À terme, les Syriens pourront cuisiner, ont indiqué les responsables du camp.

À l’entrée des trois nouvelles écoles, on peut voir le portrait du premier président de la Turquie, Mustafa Kemal Atatürk. « Nous souhaitons que les citations d’Atatürk deviennent réalité », a dit Cengiz Gundes, le gestionnaire du camp, montrant du doigt les mots gravés : « Paix à la maison, paix dans le monde ».

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This article was produced by IRIN News while it was part of the United Nations Office for the Coordination of Humanitarian Affairs. Please send queries on copyright or liability to the UN. For more information: https://shop.un.org/rights-permissions

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