« Je me suis dit : ‘Tu es professeur, que peuvent-ils faire ?’ », a-t-il déclaré à IRIN.
Les hommes armés ont escorté Hamidullah devant la porte de l’école où leur commandant Qadirak attendait. Ils l’ont alors frappé avec leurs fusils jusqu’à ce qu’il perde connaissance.
« Je ne sais toujours pas pourquoi ils m’ont battu. Si l’on me frappe, c’est comme si l’on s’en prenait à tous les villageois. Pour montrer leur pouvoir, ils frappent le représentant de l’éducation ».
Ce type de violence est courant, surtout au nord et au nord-est, notamment dans les provinces de Kunduz, Baghlan, Faryab et Balkh, où les milices sont nombreuses.
D’après une demi-douzaine d’organisations humanitaires à Kunduz interrogées par IRIN, ces groupes rendent difficile l’acheminement de l’aide et sont synonymes d’insécurité pour les citoyens qui sont souvent déboussolés devant le nombre de bandes ethniques armées, de forces de protection de villages et de milices semi-officielles.
« Il y a des groupes irresponsables dans la région. Quand ils arrivent dans un endroit, ils causent des problèmes et gênent notre travail », a déclaré Hayatullah Amiri, directeur d’une commission des droits de l’homme à Kunduz.
Le pouvoir des milices
Ces groupes comprennent des milices de village appelées ‘arbaki’ qui ne sont généralement pas en uniforme ni entraînées, ainsi que la Police afghane locale (ALP) et des milices localement implantées qui ont reçu un entraînement des forces spéciales américaines et qui sont officiellement sous le contrôle du ministère de l’Intérieur.
La guerre en Afghanistan est souvent perçue comme une lutte entre les groupes d’insurgés talibans, le gouvernement et les forces internationales mais, en réalité, des groupes armés locaux opèrent fréquemment entre ces deux camps dans une sorte de zone d’ombre. Les milices, souvent liées à des hommes influents, assurent la sécurité face aux insurgés talibans dans les régions où le gouvernement n’est pas présent et se sont alliées au gouvernement et aux forces internationales à plusieurs occasions. Certains membres ont souvent changé de camp et d’allégeance entre les différents groupes en conflit.
Après la chute des talibans en 2001, les troupes internationales se sont mises à recruter comme forces de sécurité temporaires certaines milices qui les avaient aidés à combattre les talibans.
Le gouvernement avait mis en place un programme de désarmement, démobilisation et réinsertion (DDR) début 2003 pour démanteler les milices et aider leurs membres à se réinsérer dans la société, mais les progrès étaient lents selon International Crisis Group (ICG).
Devant la détérioration du climat sécuritaire, les forces internationales ont commencé à financer beaucoup de ces milices pour étendre leur champ d’action. Ces forces semi-officieuses ont joué un rôle important pour le maintien de la sécurité lors des élections de 2009.
Les évènements ont pris une tournure plus officielle en 2010 lorsque l’APL a été officiellement reconnue comme la première force de défense locale de libération des communautés reculées contre les insurgés talibans.
Des abus constatés
Le rapport de 2012 de la Mission d’assistance des Nations Unies en Afghanistan (MANUA) a révélé une hausse des violences commises par différentes milices indépendantes.
« Nous devons payer le gouvernement local, l’ALP et les autres commandants. Parfois, ils réclament des motos pour leurs combattants. D’autres fois, ils demandent de l’argent, de la nourriture et des médicaments », a déclaré Haji Mir Jan, un commerçant du district de Khanabad.
« Nous devons contenter toutes les parties, y compris les talibans. C’est la seule façon pour moi et pour beaucoup d’autres habitants. Il arrive souvent qu’un commandant vienne et dise, ‘Il faut cuisiner pour 30 invités’ ou bien, ‘Nous avons des combattants qui doivent être nourris’ ».
Même si certains communautés et travailleurs humanitaires ont déclaré à IRIN que la sécurité s’était améliorée dans les régions où l’ALP était présente, Human Rights Watch fait état de violations des droits de l’homme par les forces de l’ALP.
Certaines milices avaient été précédemment recrutées par les forces internationales puis ont été démantelées, mais pas désarmées. Ces groupes agissent à un niveau moins officiel, même si beaucoup espèrent être intégrés dans l’ALP.
« Mes 224 hommes présents à 21 postes dans le district de Qaliazal n’ont pas été payés depuis six mois. Je veux que le gouvernement désarme mes hommes et prenne en charge la sécurité, ou bien commence à nous payer », a déclaré à IRIN Nibikichi, le commandant de la milice CIP de Qaliazal, officiellement démantelée.
Son groupe avait été précédemment recruté et payé par les forces spéciales américaines.
« Si nous déposons les armes maintenant, les talibans viendront et nous tueront, et l’insécurité reviendra très rapidement dans la région. Pour l’instant, les habitants d’ici payent les vivres et nourrissent mes hommes. Vous pouvez leur demander. Nous ne forçons personne à nous nourrir ».
Mais des habitants ont affirmé que la milice de Nibikichi avait pour réputation de recourir fréquemment à la torture, aux emprisonnements arbitraires et aux taxes illégales.
Les gens ont dit à IRIN qu’ils sentaient qu’ils n’avaient pas d’autre choix que d’obéir par peur des représailles.
L’incertitude pour les travailleurs humanitaires
La présence de ce type de groupes armés accroit également l’incertitude pour les travailleurs humanitaires.
« Dans les régions où se trouvent la Police afghane locale et la Police nationale, nous pouvons travailler. Bien sûr, les ONG [organisations non gouvernementales] doivent prendre en compte la sécurité et ils doivent prévenir ces responsables avant de réaliser des projets. Mais lorsque d’autres groupes [armés] agissent et sont présents, cela crée des problèmes », a déclaré M. Amiri de la commission des droits de l’homme.
Cependant, « de nombreux civils afghans, ainsi que des acteurs humanitaires, ont du mal à différencier les milices, les groupes criminels, les talibans et les forces de sécurité apparemment contrôlées par le gouvernement », ont affirmé Ashley Jackson et Antonio Giustozzi, les auteurs d’un récent document de travail sur l’action humanitaire dans le pays.
« Si pour certains travailleurs humanitaires, les arbaki renforçaient leur sécurité, d’autres se sont plaints que des milices ou des hommes influents aient tenté de s’opposer à leurs opérations », ont écrit Mme Jackson et M. Giustozzi.
Néanmoins, la plupart des ONG à Kunduz ont déclaré à IRIN que le travail humanitaire était toujours possible dans des endroits où il y a une forte présence des milices.
« Nous sommes présents depuis 30 ans, donc nous savons ce qui fonctionne », a déclaré Zabihullah Aziz, directeur du Comité suédois pour l’Afghanistan. « Nous recrutons des gens de la région pour réaliser un projet, donc ils connaissent les sensibilités de la communauté et ils reçoivent aussi une formation.
Razmal Sardar, qui a participé à un projet du Programme alimentaire mondial (PAM), affirme que recruter du personnel sur place est primordial : « Nous sommes originaires de Kunduz, donc les gens nous connaissent ainsi que nos familles. Grâce à cela, nous pouvons travailler dans les endroits où il y a une milice. Elle assure souvent notre sécurité.
Faisant écho aux déclarations de M. Aziz, M. Sardar affirme que le soutien de la communauté est essentiel. « Si la population acceptait le projet, alors nous pouvions commencer. Si les gens refusaient le projet ou étaient indécis, nous n’allions pas plus loin. Si les habitants acceptent et prennent part au développement, les milices vous laissent tranquilles ».
Mais Zalmai Alokzai, responsable d’un nouveau projet : Stability In Key Areas (la stabilité aux endroits stratégiques) qui aide les programmes à identifier les sources d’instabilité avant la mise en œuvre de projets, anticipe les obstacles qui l’attendent : « La nature de notre travail fait que nous devrons affronter des problèmes ».
Les responsables du district sont dépassés par leur nombre et n’ont pas le pouvoir d’arrêter ou d’emprisonner les milices lorsqu’elles commentent des abus, et les responsables affirment qu’elles échappent au contrôle du gouvernement.
« L’impunité grandit ; le cycle de la violence se perpétue », a déclaré un responsable des droits de l’homme pour les Nations Unies qui s’exprime sous couvert d’anonymat.
Thomas Ruttig de la cellule de réflexion Afghanistan Analysts Network (AAN) explique que le principal problème de fond avec ces milices était l’argent : « Il n’y a pas assez d’argent pour recruter ces personnes. Il y a un surplus dans le business des armes, donc l’industrie des armes est plus lucrative que, disons, l’agriculture.
« Si la culture de la betterave à sucre était plus rentable, alors les milices cultiveraient des betteraves à sucre. Toute l’intervention post-2001 n’a pas encore modifié ce fait. Nous devons examiner l’intervention et nous interroger sur son efficacité ».
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