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Des papiers pour se soigner, le calvaire des migrants séropositifs

Tommy, un Camerounais de 25 ans, était en France depuis deux mois à peine quand il a appris sa séropositivité. Il a depuis demandé un titre de séjour pour raison médicale, un vrai parcours du combattant dont il ignore l'issue.

Comme la plupart des 20 000 personnes étrangères vivant avec le VIH/SIDA en France, la plupart d'origine africaine, le jeune homme ignorait qu'il était infecté au VIH avant de passer un contrôle médical de routine.

«Je suis arrivé en France en février 2006 avec un visa touristique, pour me débrouiller financièrement. Au bout de deux mois, j'ai commencé à avoir des douleurs urinaires. On m'a dit de consulter un médecin. Et là, j'ai découvert que j'étais séropositif», a raconté Tommy, tête baissée.

Le médecin a rempli un certificat, indiquant les raisons pour lesquelles Tommy a souhaité obtenir une demande de séjour longue durée.

Ici, a-t-il expliqué, les gens sont plus ouverts. «En Afrique, on est facilement rejeté par la famille et les amis lorsque l’on est séropositif. Et puis j’ai ici un réseau d’amis, malades ou non, avec lesquels je m’entends bien».

Après une attente de plus de cinq mois, la préfecture de police lui a accordé une autorisation provisoire de séjour de six mois.

Selon les associations qui luttent en faveur des personnes infectées par le VIH/SIDA, les personnes souffrant de pathologies graves ou de longue durée peuvent bénéficier, au regard d'une loi de 1998, du séjour pour raison médicale, une disposition particulièrement utile pour les personnes séropositives.

Or, le durcissement des conditions de séjour des immigrés en France rend l'application de cette loi beaucoup plus difficile, un constat que font également les ressortissants africains.

«Je suis restée sept mois sans papiers, avant d’obtenir deux autorisations provisoires de séjour (APS, de trois à six mois)», a expliqué Patricia, une jeune femme de 32 ans, originaire de République centrafricaine. Elle vient d’obtenir un titre de séjour d’un an.

L’APS, d'une durée de trois à six mois, est accordée aux étrangers qui n’ont pas droit au titre de séjour parce qu'ayant résidé moins d'un an en France. Elle est rarement assortie de droits sociaux et de permis de travail, ce qui prive la personne migrante de toute ressource.

D'après les associations, la surenchère politique contre l'immigration pousse les patients à vivre dans la clandestinité, l'isolement et la précarité juridique, sanitaire et économique.

«Les sans-papiers ont tellement de difficultés que, même s'ils le veulent, prendre soin de leur santé est souvent relégué au second plan. Ils ont le moral miné car tout est polarisé sur le titre de séjour», a raconté le docteur Christine Etchepare, conseillère médicale auprès des migrants de l'Association de recherche, de communication et d'action pour l'accès aux traitements, (Arcat).

«Or, il faut avoir l'esprit libre et vivre dans un environnement adéquat pour suivre correctement un traitement lourd [le traitement antirétroviral pour les personnes vivant avec le VIH se prend durant toute la vie du patient]», a-t-elle ajouté.

Le mythe de l'asile pour raisons médicales

Pourtant, il est difficile de justifier le durcissement des conditions d’obtention de titres de séjours pour raison médicale, selon l'Observatoire du droit à la santé des étrangers (ODSE).

Pour l’ODSE en effet, ce genre de requête ne fait l'objet ni d'une demande exponentielle ni de détournement de la part des demandeurs de titres.

«Il y a ce fantasme d'une invasion de malades», a expliqué Arnaud Veïsse, directeur du Comité médical pour les exilés (Comede).

Selon lui, 16 000 étrangers étaient titulaires d'une carte de séjour pour raison médicale en 2004, soit 0,5 pour cent des étrangers résidant en France ; 95 pour cent des patients atteints d'une infection virale chronique comme le VIH ou les hépatites l'apprennent en France, lors de leur bilan de santé.

Même si 'l'asile thérapeutique' est un mythe, l’interprétation et l’application de la loi sont de plus en plus restrictives, au détriment de la santé de l’étranger, a estimé Elodie Redouani, conseillère juridique d'Arcat.

«Depuis un ou deux ans, les gens s'entendent dire qu'ils ne peuvent pas demander une carte de résident, même s'ils remplissent les critères : on leur explique qu'ils sont ici pour se soigner et qu'ils finiront par rentrer chez eux. Ce qui est discriminatoire, la réglementation ne prévoyant pas de distinction quant à la nature du titre de séjour !», a-t-elle expliqué.

Pour Arcat, les préfectures et les médecins inspecteurs de santé publique qui décident de l’attribution des titres de séjour pour raison médicale, sont ‘sous pression’.

«Ils savent qu'il ne faut pas trop faire de régularisations dans ce cadre. Le fonctionnement est donc quantitatif, et non dans une logique de santé publique ou de l'intérêt des patients», a ajouté Mme Redouani.

Noël Ahebla, le président de l'African Positive Association (Apa) qui s'occupe de ressortissants africains séropositifs, a ainsi mentionné le cas d'une dame, dont la situation a été régularisée trois fois. «La quatrième fois, les autorités ont refusé, en expliquant qu'elle n'était plus malade… alors qu'elle avait le sida!»

Or en France, les étrangers en situation irrégulière et résidant sur le territoire français depuis plus de trois mois bénéficient, sous condition de très faibles ressources, d'une aide médicale d'Etat (AME) qui leur permet d'être pris en charge gratuitement pour les pathologies dont ils souffrent, a expliqué à IRIN/PlusNews Antonin Sopena, militant de l'association Act Up.

Pourtant, selon une étude réalisée dans le Val-de-Marne, près de Paris, 41 pour cent des médecins spécialisés refusent de délivrer des soins aux patients possédant une AME.

«C'est parfaitement illégal, mais ils le font quand même», a prévenu Arnaud Veïsse.

A Paris, des permanences d'accès aux soins de santé permettent néanmoins de faire face aux situations les plus précaires et des mécanismes d'entraide sont proposés par certaines ONG et des associations de soutien aux personnes infectées au VIH.

Or, la crainte de sortir est parfois la plus forte : une circulaire du 21 février 2006 stipule ainsi que les forces de l'ordre peuvent contrôler, et dans certains cas interpeller, toute personne se trouvant dans les foyers de travailleurs migrants, les centres d'hébergement et de réinsertion sociale ou encore les centres d'accueil des demandeurs d'asile.

Bien que le ministre fran¬çais de l'Intérieur Nicolas Sarkozy ait expliqué que les contrôles n'auraient pas lieu dans les centres hospitaliers, la rumeur a circulé.

«Des Africains ont peur d'aller à l'hôpital se faire dépister à cause des contrôles qui se multiplient», a constaté Ibrahim Fofana, dont la structure offre une prise en charge psychologique traditionnelle aux séropositifs.

Du coup, ce qu'Antonin Sopena appelle 'la chasse aux sans-papiers', entraîne une prise en charge tardive des malades, «car ils se rendent à l'hôpital quand les premiers symptômes et douleurs apparaissent. Certains iront de façon anonyme se soigner de temps en temps, et sans se faire rembourser», a-t-il regretté.

Quant aux enfants malades, dont les parents sont en situation irrégulière, ils souffrent psychologiquement de la situation que supportent leurs parents, susceptibles d'être arrêtés et expulsés à tout moment.

Et en dépit de l’existence d’un cadre légal précis, les personnes séropositives peuvent être reconduites dans leur pays d’origine faute de papiers, pour avoir omis d’annoncer leur statut ou par excès de procédure de la part des préfectures chargées de l'octroi des titres de séjour.

Une précarité qui menace la santé des populations hôtes

Afin d’éviter les situations tragiques, pour rassurer et mettre en confiance, certaines associations accompagnent les malades dans leurs démarches administratives et sanitaires et leur prodiguent des conseils pour éviter l’expulsion.

«Nous leur conseillons de conserver sur eux une attestation médicale rendant compte de leur séropositivité, ce qui doit les protéger le temps de réaliser les démarches», a expliqué Noël Ahebla.

Tommy, qui est membre de son association, suit fidèlement ces recommandations. «Je me déplace toujours avec le récépissé prouvant que mon dossier est à la préfecture», a-t-il dit.

Pour les associations, si la précarisation des sans-papiers séropositifs affecte leur santé, elle peut aussi avoir des répercussions sur celle des populations d'accueil.

Ainsi, «les obstacles à l'accès aux soins et à la régularisation ont pour conséquence des retards de soins qui entraînent l'aggravation de la maladie et l'augmentation des dépenses de santé», a estimé Arnaud Veïsse, du Comede.

En situation de précarité, les comportements à risque se multiplient, a également prévenu Noël Ahebla, qui a constaté que des femmes tombent enceintes juste pour pouvoir rester, tandis que d'autres se prostituent pour survivre.

«On leur demande : 'Tu es séropositive et tu ne t'es pas protégée ?' Et là elles nous disent qu'elles ont eu des relations sexuelles avec des hommes prêts à payer plus pour ne pas porter de préservatif. Nous tentons de leur expliquer que la loi les protège, mais beaucoup cachent leur maladie et mettent leur vie en danger ainsi que celle des autres», s'est désolé M. Ahebla.

Tous les migrants n'aspirent pourtant pas à de longs séjours en France ou à l'étranger. Certains, découragés, malades, souhaitent rentrer dans leur pays, surtout lorsque le système de prise en charge local leur permet de se soigner.

«Quand ils viennent de pays stabilisés où le traitement est accessible, certains espèrent repartir un jour», a confié le docteur Christine Etchepare. «Même si ce n'est pas dit comme ça, c'est un espoir, un nouveau projet qui s'ouvre de revoir leur famille tout en pouvant se soigner.»

Or, seulement 17 pour cent des 26 millions de personnes vivant avec le VIH/SIDA en Afrique ont accès à un traitement antirétroviral, selon les Nations unies.

«Souvent, il faut que quelqu'un meure pour pouvoir entrer dans le programme de soins. Au Togo et au Cameroun, il faut appartenir à une association de malades pour être soigné», a expliqué M. Ahebla.

Son association sensibilise les migrants dans les lieux publics, les bars, les salons de coiffure du quartier parisien de Château Rouge, où vivent beaucoup de ressortissants africains.

En République centrafricaine, le «traitement est cher, il y a toujours des ruptures de stock et les bilans biologiques ne sont pas possibles», a conclu Patricia. «S'il y avait une prise en charge globale chez moi, je serais la première à partir.»

Le témoignage de Patricia

This article was produced by IRIN News while it was part of the United Nations Office for the Coordination of Humanitarian Affairs. Please send queries on copyright or liability to the UN. For more information: https://shop.un.org/rights-permissions

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