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La sécheresse et la pauvreté contraignent les femmes à la prostitution

Alors que la nuit tombe sur Makindu, une ville du district de Makueni, dans l’est du Kenya, où font escale de nombreux chauffeurs routiers, des lumières fluorescentes et une musique tonitruante sortent des bars et des motels : ce soir encore, les affaires iront bon train. «Chaque semaine, je me rends de Tororo [dans l’est de l’Ouganda] à Mombasa. A l’aller comme au retour, je m’arrête dans environ quatre villes, je descends à chaque fois dans les mêmes motels», a déclaré Masaba [un nom d’emprunt] tout en sirotant sa bière. Les villes comme Makindu situées le long de l’autoroute qui relie Nairobi, la capitale du Kenya, à Mombasa, une ville portuaire, sont en plein essor, alors que les campagnes environnantes s’enlisent dans la pauvreté. La sécheresse qui frappe actuellement l’est du Kenya met en péril la vie de centaines de milliers de personnes, qui doivent faire face à une pénurie de nourriture. Un grand nombre de paysans a été contraint de s’installer dans ces villes afin de trouver un travail et de la nourriture, tandis que des familles y envoient leurs filles. «Etant donné que les réserves alimentaires se sont épuisées et que les mères ne peuvent plus nourrir leurs enfants, certains ont décidé que la seule solution pour s’en sortir était de ‘vivre dans la rue’», a expliqué Iris Krebber, coordinatrice régionale de l’ONG German Agro Action. «Les filles ont souvent à peine douze ans.» Dans les villes comme Makindu, les jeunes filles tiennent compagnie aux chauffeurs routiers, au bar ou au lit. Mais les rapports sexuels avec des partenaires multiples, associés à une consommation excessive d’alcool, ont des conséquences dramatiques sur le taux de prévalence du sida. A Makindu, le taux d’infection est presque deux fois supérieur à celui enregistré parmi la population du district de Makueni. «Le taux de prévalence du VIH/SIDA s’élève à 11 pour cent ici, alors que dans le district de Makueni, il est d’environ six pour cent», a indiqué le docteur Richard Onkware, responsable des services médicaux de l’hôpital public de Makindu. «Selon nous, si la ville de Makindu affiche un taux aussi élevé, c’est à cause de sa localisation (le long de l’autoroute) et du nombre important de chauffeurs routiers et de professionnelles du sexe qu’elle abrite», a précisé ce médecin. Il a expliqué que la sécheresse, qui s’était aggravée au cours des deux dernières années, avait contraint davantage de femmes à quitter leur village pour s’adonner à la prostitution. «Je suis arrivée à Makindu il y a quatre ans. J’avais 17 ans à l’époque», a confié Alison [un nom d’emprunt], qui a accepté de témoigner sous couvert d’anonymat. «Lorsque j’ai fini l’école primaire, mes parents n’avaient pas d’argent pour m’envoyer à l’école secondaire et ils ont dit que j’étais assez grande pour me débrouiller toute seule.» Alison travaille en moyenne quatre nuits par semaine et demande seulement 100 shillings kenyans (soit 1,40 dollars américains) pour une passe. Elle peut avoir jusqu’à sept clients par nuit. Alison affirme ne jamais avoir de rapports sexuels non protégés, même si certains hommes sont prêts à payer jusqu’à dix fois plus cher pour ne pas utiliser un préservatif. Lorsqu’on lui demande si elle s’est déjà rendue dans un centre de conseil et de dépistage volontaire de la ville pour se faire dépister au VIH, Alison rit timidement en secouant la tête. «J’ai trop peur. Je préfère ne pas connaître mon statut», a-t-elle expliqué, ajoutant qu’elle avait conscience des risques qu’elle courait, après une infection sexuellement transmissible (IST) il y a deux ans. Elle a affirmé qu’elle aimait bien boire des verres en compagnie des hommes dans les bars. Mais elle a aussi reconnu qu’il était toujours plus difficile de négocier l’utilisation du préservatif après avoir trop bu. De nombreuses femmes ont été violées après avoir bu quelques verres, a souligné Alison. «Je dois manger et je ne possède aucune qualification pour faire autre chose», a-t-elle indiqué. «J’arrêterais si j’avais assez d’argent pour ouvrir une boutique, ou s’il y avait un homme qui s’occupait de moi.» Des centres de dépistage ouverts la nuit, pour contourner la stigmatisation Entre les chauffeurs routiers et les professionnelles du sexe, des liens peuvent effectivement se créer. «Lorsque je viens ici, je vais toujours dans le même bar, j’appelle la fille, on prend quelques bières, on mange un bout ensemble, et puis on part au motel», a expliqué Kalule [un nom d’emprunt]. «Quand je reprend la route, je lui laisse de l’argent pour qu’elle puisse s’acheter quelques affaires en attendant ma prochaine visite», a-t-il expliqué. Kalule, qui a deux femmes officielles et plusieurs enfants, sait que la fille a des relations avec d’autres hommes, mais il se sent en sécurité car il utilise toujours un préservatif lorsqu’il a des rapports avec elle. Selon une enquête menée en 2005 par le ministère de la Santé, intitulée ‘Sida au Kenya : tendances, interventions et conséquences’, les hommes qui passent plus de cinq jours par mois loin de leur domicile sont trois fois plus infectés que ceux qui passent moins de cinq jours par mois loin de chez eux.
Map of Kenya
La ville de Makindu, entre Nairobi et Mombasa, prospère à la faveur des mouvements de population, fuyant l’est et la sécheresse
Makindu compte trois centres de conseil et de dépistage volontaire, dont deux ambulatoires. Mais rares sont ceux à s’y rendre, la stigmatisation étant très forte en ville. «Au centre de conseil et de dépistage volontaire de l’hôpital, environ trois personnes viennent se faire dépister chaque jour au VIH/SIDA», a indiqué le docteur Richard Onkware. «C’est une petite communauté, les gens ont peur que le personnel hospitalier ne révèle leur statut aux autres.» Cette crainte est encore plus forte chez les professionnelles du sexe, régulièrement victimes de discrimination. Alors, pour sensibiliser cette population très vulnérable, un des centres de dépistage de Makindu, ‘Chaqua Maisha’ (‘Choisir la vie’), propose un service de nuit. Le personnel du centre se rend dans les bars et les discothèques des villes situées le long de l’autoroute pour distribuer des préservatifs et organiser des séances de conseil, au cours desquelles le dépistage du VIH est proposé aux prostitués et aux chauffeurs routiers. «Nous ne pouvons pas nier la réalité, nous devons reconnaître les activités qui se déroulent dans notre ville et atteindre les bars et les discothèques, des lieux où les risques de transmission sont très élevés», a affirmé Andrew, conseiller dans un centre de conseil et de dépistage volontaire. «Nous envisageons de demander aux [professionnelles du sexe] de se joindre à notre équipe. Grâce à elles, le message pourra passer de manière efficace», a-t-il ajouté. Malgré le grand nombre de personnes présentes lors des séances de sensibilisation, il est difficile de savoir si elles ont un impact sur l’auditoire, a-t-il admis. Alison a ainsi confié avoir assisté à plusieurs séances, mais elle est toujours réticente à l’idée de se faire dépister. «Nous avons besoin d’une démarche intégrée qui s’attaque aux problèmes centraux, c’est à dire à la pauvreté et à la sécheresse», a conclu le docteur Onkware. «De cette façon, nous pourrons avant tout sortir ces filles de la rue.»

This article was produced by IRIN News while it was part of the United Nations Office for the Coordination of Humanitarian Affairs. Please send queries on copyright or liability to the UN. For more information: https://shop.un.org/rights-permissions

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