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La santé mentale des réfugiés, un problème négligé en Europe

Comment la stigmatisation et le manque d’aide nuisent au traitement des traumatismes

LesvosBeachRescue Jodi Hilton/IRIN
Refugees often experience traumas in their home countries that are compounded by the trauma of dangerous boat journeys to Europe

Hébergés dans un hôtel implanté au cœur d’une oliveraie sur l’île grecque de Lesbos, les réfugiés qui ont fui les violences en Syrie, en Irak, en Afghanistan et dans d’autres zones de guerre partagent les expériences qu’ils ont vécues et font le deuil de leur vie passée.

Une Syrienne hantée par le souvenir de la mort de son mari décédé d’un arrêt cardiaque au moment de passer la frontière turque avec leurs quatre enfants. Une Irakienne traumatisée par sa rencontre avec « le mordeur », un objet en métal utilisé par les militants du prétendu Etat islamique pour arracher la peau des femmes vêtues de façon inconvenante. Et Hayat, une autre réfugiée syrienne qui, arrivée à Lesbos, apprend que ses mains sont paralysées – un symptôme psychosomatique lié au trouble de stress post-traumatique (TSPT).

Ces femmes ne passeront que quelques jours sur l’île, puis elles reprendront la route vers le nord de l’Europe ; il est donc impossible de leur fournir un traitement clinique pour les aider à se remettre des traumatismes qu’elles ont vécus. Une équipe d’aide psychosociale de l’ONG (organisation non gouvernementale) israélienne IsraAid propose des stratégies d’adaptation à court terme pour les aider à accepter leur passé et préparer leur avenir.

« Quand ils arrivent détruits, nous leur disons ‘Ecoutez, vous avez emmené votre famille en lieu sûr, vous pouvez poursuivre votre route’ », a dit Warda Alkrenawy, qui dirige l’équipe de psychologues et de conseillers bénévoles, dont beaucoup sont arabophones.

L’île de Lesbos a reçu 60 pour cent des presque 130 000 réfugiés et migrants qui sont arrivés en Grèce depuis le début de l’année. Ici, comme dans d’autres zones en première ligne de la crise migratoire en Europe, l’urgence est d’offrir une aide de base, notamment de la nourriture et un abri aux nouveaux arrivants, ce qui veut dire que les soins de santé mentale ne peuvent être satisfaits.

Il n’y a pas de données disponibles sur le nombre de réfugiés installés en Europe et souffrant de traumatismes psychologiques résultant des conflits qu’ils ont fuis, mais une étude rendue publique par la Chambre fédérale allemande des psychothérapeutes en septembre dernier estime que jusqu’à la moitié des réfugiés vivant en Allemagne – la destination finale de bon nombre des migrants qui arrivent à Lesbos – ont des problèmes de santé mentale. Outre la dépression, le problème le plus fréquent est le trouble de stress post-traumatique (TPST). Mais l’étude souligne que seules 4 pour cent des personnes qui souffrent de TPST bénéficient d’un traitement.

Traiter ou ne pas traiter ?

Dans la plupart des cas, le fait de se plonger dans des souvenirs traumatisants fait partie du processus de guérison. Mais Talya Feldman, bénévole au sein de l’équipe d’aide psychosociale IsraAid, a expliqué que le fait de travailler avec des réfugiés sur une période aussi courte veut dire qu’ils ne peuvent, au mieux, qu’espérer soulager les symptômes du TPST.

« Vivre dans le déni n’est pas une bonne stratégie d’adaptation, mais si vous vous trouvez encore dans [une situation potentiellement traumatisante] et que nous n’avons pas les ressources nécessaires pour ouvrir la blessure et la soigner, cela peut être la meilleure méthode », a-t-elle dit à IRIN. 

Neal McQueen/IRIN
A psychosocial session with a refugee, therapist, and translator at Pikpa camp on Lesvos

Hayat, la réfugiée syrienne qui a les mains paralysées, s’est rétablie rapidement une fois que les tests médicaux ont montré que la cause de son trouble était le niveau élevé de stress qui empêchait l’oxygène d’atteindre ses muscles plutôt qu’un problème physiologique. « Dans le climat d’incertitude dans lequel elle vit, le simple fait de savoir qu’il y avait une cause et une solution à cela l’a tout de suite aidé à se détendre », se souvient Mira Atzil, une psychologue clinicienne qui travaille pour IsraAid. 

Mme Atzil a encouragé cette femme dont le mari est mort au moment du passage de la frontière turque à considérer cette tragédie comme un évènement sur lequel elle n’avait aucun contrôle, contrairement à son avenir.

Regarder vers l’avenir nécessite notamment de préparer les réfugiés à ce qu’ils auront besoin dans les semaines à venir, de la prise d’informations à la demande d’asile, en passant par la connaissance des itinéraires existants et les mises en garde contre le danger de continuer à faire appel aux passeurs.

Dernière chance

Pour beaucoup de réfugiés, le passage sur l’île de Lesbos constitue la première et dernière occasion de recevoir un traitement psychologique. A l’heure actuelle, il n’existe pas de réseau de santé mentale permettant de garantir la poursuite des traitements dans les autres pays de la route des Balkans occidentaux. Une aide psychosociale est toutefois fournie en Serbie par l’ONG Atina, basée à Belgrade.

Rima Alshami, la médiatrice culturelle de l’organisation, s’est installée en Serbie il y a trois ans, après avoir échappé à l’explosion d’un véhicule piégé près de son domicile de la capitale syrienne, Damas. Elle a noté que les réfugiés en transit ont des mécanismes d’adaptation émotionnelle qui leurs permettent d’aller de l’avant.

« Quand vous décidez de vous battre, vous êtes fort », a-t-elle dit à propos des réfugiés qu’elle a rencontrés. « C’est lorsque vous vous installez que vous avez besoin de vous effondrer ». 

« Quand vous décidez de vous battre, vous êtes fort. C’est lorsque vous vous installez que vous avez besoin de vous effondrer ».

Mme Alshami, autrefois courtière, a passé une bonne partie de sa première année en Serbie dans une dépression profonde : elle avait du mal à sortir de son lit et encore plus à gérer ses émotions. Elle a dit qu’elle n’avait pas demandé d’aide psychologique, parce qu’elle était trop occupée à chercher du travail et à faire face la bureaucratie de son nouveau pays. 

Une aide limitée

L’Allemagne a été la destination finale de plus d’un million de demandeurs d’asile en 2015 et de 153 000 réfugiés supplémentaires au cours des deux premiers mois de l’année 2016, selon les chiffres fournis par le gouvernement.

Le Centre de soins et de soutien pour les victimes de la torture (BZFO) de Berlin – l’une des deux seules organisations de la ville qui proposent des soins gratuits aux réfugiés souffrant de traumatismes – propose une intervention à court terme à plus de 180 réfugiés ainsi que des consultations et une aide psychosociale à 700 autres réfugiés. Mais le BZFO ne peut offrir de l’aide qu’à environ 20 pour cent des réfugiés qui font une demande d’aide aux services chargés du traitement des traumatismes. 

La plupart des réfugiés n’ont d’autres choix que de demander l’accès au système de santé publique – le processus administratif peut prendre plusieurs mois et la présence d’un interprète n’est pas garantie pendant les séances de thérapie.

Une étoile est née

Firas Alshater, cinéaste syrien et militant anti-régime âgé de 24 ans, a débuté une thérapie au BZFO à son arrivée en Allemagne en 2013. Il avait des flashbacks et faisait des cauchemars sur les actes de torture qu’il avait subis dans une prison syrienne.

« A mon arrivée, j’ai dû repartir de zéro dans cette ville que je ne connaissais pas et dont je ne parlais pas la langue. Je voulais parler à quelqu’un ; j’ai toujours besoin de parler à quelqu’un. Ce n’est pas fini », a-t-il expliqué à IRIN. 

Juuso Santala
Since receiving treatment for his trauma, Firas Alshater has been able to resume his career as a filmmaker

Il arrive encore à M. Alshater de faire des cauchemars, mais il a recommencé sa vie et est devenue l’une des stars les plus appréciées de YouTube en Allemagne. Sa série diffusée sur Internet, baptisée « Sugar », est devenue populaire dès son lancement le mois dernier ; il exprime son point de vue de réfugié et propose une caricature de la société et de la culture allemandes. 

L’expérience de l’accès à une aide psychosociale à long terme de M. Alshater est rare. Il a dit que plusieurs de ses amis souffraient d’insomnies, de flashbacks et d’autres symptômes liés au TSPT, mais que peu d’entre eux avaient demandé de l’aide. La stigmatisation liée aux problèmes de santé mentaux qui existe dans de nombreuses cultures a dissuadé certains d’entre eux de demander de l’aide ; d’autres ont été intimidés par la perspective de dévoiler leurs souvenirs les plus noirs à non pas un mais deux inconnus : un psychologue et un interprète.

Une approche simple

Les psychologues du BZFO disent qu’ils ont relevé des résultats positifs grâce à l’utilisation de méthodes relativement récentes, comme la thérapie par exposition à la narration (NET) utilisée pour la première fois pour soigner des enfants soldats soudanais. Les patients font le récit des expériences qu’ils ont vécues dans un ordre chronologique afin de cristalliser le traumatisme, d’en faire un évènement qui appartient au passé et qui ne reviendra pas les hanter dans le présent. Cette méthode, grâce à sa simplicité relative, peut être utilisée par des professionnels qui n’ont qu’une formation de base.

« C’est une approche très prometteuse pour les patients ici, en Allemagne, d’autant plus que nous manquons de thérapeutes arabophones », a expliqué Maria Boettche, qui dirige le département de recherche du BZFO.

Meltem Arsu, attachée de presse du BZFO, a dit qu’il était crucial de soigner les réfugiés qui souffrent de traumatismes pour qu’ils s’intègrent dans la société allemande et qu’il était urgent que le gouvernement offre un meilleur soutien aux services de soins de santé mentale.

« Une aide à court terme fournie par l’intermédiaire d’un travailleur social et une forme de psychothérapie permettraient à la personne de retrouver une stabilité et de continuer à vivre sa vie », a-t-elle dit à IRIN.

M. Alshater a dit que le fait de reprendre son activité de cinéaste et de « faire passer le message que nous, les réfugiés, sommes simplement des personnes » l’avait aidé à guérir de son traumatisme.

« Le plus important pour moi a été de comprendre que tout ce que j’avais auparavant avait disparu et que je commençais une nouvelle vie ».

sr/ks/ag-mg/amz 

Publié le 11 mars 2016

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