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Pour la Syrie, les bailleurs de fonds ne joignent pas le geste à la parole

Syrian refugee boy sits in front of UNHCR provided tent in Zaatari Camp in Jordan Areej Abu Qudairi/IRIN
Syrian refugee boy sits in front of UNHCR provided tent in Zaatari Camp in Jordan (Sep 2012)

DUBAÏ, 20 septembre 2012 (IRIN) - Peu de crises humanitaires reçoivent autant d’attention et d’engagement que celle qui touche la Syrie. Les États, indépendamment du camp qu’ils soutiennent, ont déploré haut et fort la situation humanitaire désastreuse dans laquelle se trouve le pays.

Pourtant, comme l’a dit fin juillet le Croissant-Rouge arabe syrien : « Personne ne met réellement la main à la poche et ne joint le geste à la parole ».

Si les fonds récoltés ces dernières semaines ont été plus importants, les appels lancés par les Nations Unies (revus et augmentés plusieurs fois) pour réunir plus de 541 millions de dollars, afin d’aider les Syriens restés dans leur pays et ceux qui se sont réfugiés dans les pays voisins, n’ont été financés qu’à hauteur de 40 pour cent.

D’autres organisations d’aide humanitaire comme Médecins sans Frontières – disposant de voies de financement indépendantes – se sont également plaintes de ce que le manque de fonds limitait leurs opérations.

Selon le service de surveillance financière des Nations Unies, qui enregistre tous les dons signalés, les bailleurs de fonds ont versé 200 millions de dollars supplémentaires en dehors des deux appels des Nations Unies. Les opérations du Comité international de la Croix-Rouge (CICR) en Syrie, par exemple, ont été financées dans leur intégralité. Ces opérations sont cependant d’une ampleur bien inférieure à celles des Nations Unies.

Alors, pourquoi le financement des opérations des Nations Unies accuse-t-il un tel retard ?

« Je ne cesse de poser cette question aux bailleurs de fonds », a dit à IRIN le coordinateur régional humanitaire des Nations Unies pour la Syrie, Radhouane Nouicer, dans une interview. « La prédominance du débat politique a peut-être fait que de nombreux pays n’accordent pas assez d’attention aux conditions humanitaires. C’est ma seule interprétation. »

Mais chaque personne interrogée donne une réponse différente. C’est pourquoi IRIN a décidé de recueillir un certain nombre de points de vue.

« Personne ne veut renforcer le régime de M. Assad en envoyant de l’aide », a dit Joshua Landis, directeur du Centre d’études moyen-orientales de l’université de l’Oklahoma, et auteur d’un blog sur les affaires syriennes lu par un grand nombre d’internautes. « La stratégie occidentale consiste à affamer le régime et nourrir l’opposition. Cela est bien sûr impossible à faire sans affamer toute la Syrie. Les sanctions sont un outil grossier et ont pour but d’affaiblir le régime pour pousser les Syriens à se révolter contre lui. »

« Le problème, c’est que si vous aidez les personnes se trouvant en Syrie, vous devez le faire en coordination avec le gouvernement syrien et cela le rend légitime. C’est une question de priorité. Est-ce que vous voulez changer le régime ou nourrir les habitants ? »

D’autres sont allés plus loin : nombreux sont ceux qui pensent que les bailleurs de fonds laissent volontairement la crise humanitaire s’installer en Syrie afin de laisser la porte ouverte à une éventuelle intervention. Certains plaident déjà en faveur d’une telle action.

« Nous devons offrir un environnement favorable pour [que les bailleurs de fonds croient] en la possibilité d’apporter un soutien [humanitaire]. Nous avons besoin de zones de sécurité », a dit Abdul Latif Bin Rashid Al Zayani, secrétaire général du Conseil de coopération du Golfe.

La Ligue arabe, qui a versé 500 000 dollars à l’Organisation mondiale de la santé pour son travail en Syrie, prévoit d’obtenir 100 millions de dollars de ses membres pour financer l’aide en Syrie et dans les pays d’accueil des réfugiés.

La Russie a donné 8,5 millions de dollars – principalement par le biais du Programme alimentaire mondial (PAM), du Bureau de la coordination des affaires humanitaires des Nations Unies (OCHA) et du CICR – ainsi que 80 tonnes métriques de tentes, couvertures, kits de cuisine, matériel et nourriture sur une base bilatérale. Le pays a affirmé qu’il envisageait d’apporter une aide supplémentaire par le biais de son organisation humanitaire EMERCOM et en versant davantage de fonds au PAM.

« Certains pays ont donné plus, mais ils étouffent en même temps les Syriens avec des sanctions économiques et apportent à l’opposition un soutien financier et logistique ainsi que des armes », a dit Maria Khodynskaya-Golenishcheva, diplomate de la mission russe auprès des Nations Unies à Genève. « Les chiffres peuvent donc être plus élevés – [les pays] donnent officiellement plus –, mais, en même temps, ce qu’ils font réellement aux Syriens soulève des questions ». La Russie a annoncé en juillet qu’elle allait arrêter de fournir des armes au gouvernement syrien jusqu’à ce que la situation soit « résolue ».

Certains bailleurs de fonds considèrent que fournir une aide financière et des armes aux rebelles est un investissement plus efficace, car cela pourrait leur permettre de gagner et de mettre un terme au conflit. D’autres craignent que l’aide humanitaire ne fasse que prolonger le conflit en faisant des camps de réfugiés des lieux de repos et de récupération pour les rebelles.

Selon Claude Bruderlein, directeur du programme de politique humanitaire et de recherche sur les conflits de l’université d’Harvard, le problème est en partie dû à l’intégration de l’accès humanitaire dans le plan en six points proposé par l’émissaire international Kofi Annan pour la résolution du conflit. Cette initiative associait la réconciliation politique et l’aide humanitaire – non seulement sur le plan opérationnel, comme en Somalie et en Afghanistan – mais aussi sur le plan stratégique, « où l’aide humanitaire est considérée comme une façon de mettre fin au conflit. Ce principe va à l’encontre de la neutralité [...] Le financement dépend alors d’une possible solution politique à la crise, ce qui est affligeant [...] Si la situation politique ne s’améliore pas, l’aide humanitaire en souffre. »

« Je pense que la polarisation du contexte politique en Syrie — où l’on observe une division claire en terme de soutien politique pour l’un ou l’autre des deux camps à l’échelle mondiale, parmi des parties prenantes qui apporteraient traditionnellement des fonds dans une telle situation — a sans aucun doute un impact », a dit Valerie Amos, coordinatrice des secours d’urgence et secrétaire générale adjointe des affaires humanitaires des Nations Unies.
 

Selon Saudi Relief Committees and Campaigns, les 145 millions de dollars qui ont été collectés lors d’un téléthon du ramadan sont prêts à être alloués en Syrie. Pourtant, « je n’arrive pas à trouver une seule organisation humanitaire internationale qui puisse me garantir que [ces fonds pourront] aider des familles dans le besoin », a dit son directeur exécutif, Mubarak Saeed Al-Baker.

« Malheureusement, le gouvernement [syrien] a politisé les agences des Nations Unies intervenant en Syrie. Le Croissant-Rouge arabe syrien est lui aussi politisé [...] Le régime syrien a commencé à dicter aux Nations Unies avec qui elles pouvaient traiter. Nous sommes confrontés à un cas humanitaire unique dans lequel le régime combat contre ses propres citoyens et attribue l’aide à qui il veut. »

L’Organisation de coopération islamique (OCI) préfère attendre de pouvoir ouvrir un bureau en Syrie avant d’envoyer de l’aide. Le gouvernement s’est opposé à cette idée et ne va probablement pas changer d’avis, puisque la Syrie a été expulsée de l’OCI en août.

« Le problème, c’est l’accès », a dit un bailleur de fonds occidental. « [Les Nations Unies ont] une définition de l’accès différente de celle des bailleurs de fonds. Nous avons besoin de plus d’informations : pas seulement “nous avons distribué de l’aide ici ou là”, mais [une réponse aux questions suivantes] : sommes-nous sûrs que l’aide atteint vraiment les plus vulnérables ? Finançons-nous le gouvernement ou l’Armée syrienne libre ? [...] Qu’en est-il de la redevabilité ? Qu’en est-il de l’impartialité de l’aide ? [...] Ne me donnez pas une liste de bénéficiaires. Donnez-moi des détails. »

D’autres ont soulevé des questions concernant les « partenaires locaux » cités, mais non identifiés, par de nombreuses organisations humanitaires.

Selon un travailleur humanitaire occidental, il s’agit cependant d’une façade : « à mon avis, il y a un manque total de volonté politique concernant les financements. Ils attendent juste que M. Assad tombe [...] Les bailleurs de fonds utilisent l’accès comme une excuse. »

IRIN a demandé à Mme Amos si la communauté humanitaire pourrait faire davantage d’efforts pour mieux informer les bailleurs de fonds. « Je pense qu’il est tout à fait approprié de la part des bailleurs de fonds de nous demander de rendre des comptes au sujet de nos actions. Nous ferons bien sûr de notre mieux en ce sens », a-t-elle répondu. « Mais [...] l’environnement dans lequel nous intervenons n’est pas simple [...] Un grand nombre de pays nous demande des informations supplémentaires. Ce sont des pays qui n’ont eux-mêmes pas de représentant en Syrie, car ils s’inquiètent de la situation en matière de sécurité. »

« C’est un cercle vicieux », a dit Juliano Fiori, conseiller en affaires humanitaires pour Save the Children à Londres. « Les bailleurs de fonds disent “nous avons besoin d’être mieux informés”, et les organisations sur le terrain disent “nous avons besoin d’argent pour mieux vous informer”. Les bailleurs de fonds disent alors “nous avons besoin d’information pour vous obtenir de l’argent” et on se retrouve à la case départ [...] Il est possible que la demande croissante de plus de redevabilité et de transparence et de meilleurs rapports coût-résultat rende les bailleurs de fonds trop prudents [...] Ils pensent peut-être que s’il n’y a pas de progrès du côté politique et qu’ils aggravent involontairement le conflit en soutenant l’aide humanitaire de la mauvaise manière, ils se retrouveront vraiment dans la ligne de mire ».

Johannes Luchner, responsable de la section Moyen-Orient de l’office humanitaire de la Communauté européenne (ECHO), a dit que son département avait refusé de financer certains projets en raison d’un manque de confiance dans le processus de contrôle.

« L’aide humanitaire n’est jamais exempte de risque. Le principe de base pour nous tous est l’impératif humanitaire, mais nous avons besoin d’une assurance raisonnable de ce que les biens vont réellement là où il faut, car dans le cas contraire, nous pourrions nuire. Lorsque nous n’avons pas [cette assurance], nous ne finançons pas. »

Selon les observateurs, les bailleurs de fonds ont peut-être également sous-estimé le conflit au premier abord : personne ne pensait qu’il durerait aussi longtemps. Certains pays ont maintenant du mal à suivre le rythme avec lequel la réalité change sur le terrain.

« La situation se dévoile très rapidement, elle change très rapidement », a dit Mme Khodynskaya-Golenishcheva, la diplomate russe. « Les pays ont besoin de temps pour réfléchir à ce qu’ils peuvent faire de plus ».

Le plan d’action régional pour les réfugiés, tel que présenté initialement en mars, faisait appel aux bailleurs de fonds pour un montant s’élevant à 84 millions de dollars. Il été revu en juin pour atteindre 193 millions de dollars et est actuellement encore une fois soumis à une révision et un nouveau montant devrait être présenté à la fin du mois.

Le plan visant à répondre aux besoins des Syriens présentait initialement un coût de 180 millions de dollars, avant d’être mis à jour ce mois-ci pour atteindre 348 millions de dollars.

« L’annonce claire de la communauté internationale [au public] attestant qu’il s’agit d’une crise humanitaire est arrivée un peu tard », a dit M. Luchner, de l’ECHO.

Épuisée à essayer de protéger les plus de 600 000 réfugiés irakiens et palestiniens enregistrés en Syrie, la communauté humanitaire œuvrant dans le pays a dû faire attention aux messages qu’elle véhiculait. En outre, au cours des premiers mois la crise touchait surtout les droits de l’homme.

Pourtant l’ECHO a décidé de mettre de l’argent de côté pour la crise dès le mois de février, avant le premier appel des Nations Unies et avant que les violences ne s’accélèrent de manière exponentielle. Au total, les différents organes et États membres de l’Union européenne ont versé plus de 200 millions d’euros. Les États-Unis ont quant à eux donné plus de 100 millions de dollars.

Toutefois, selon Peter Harling, analyste pour International Crisis Group, aucune de ces explications ne représente la vérité.

« Il n’y a au fond pas d’autre explication que l’hypocrisie. Les besoins sont considérables en Syrie et une crise humanitaire provoquera sans aucun doute une radicalisation exacerbée et l’écroulement de cette société fragile. Une vaste société civile locale s’est développée et a mûri et toutes les raisons sont bonnes pour la soutenir. Les nombreux témoignages ostentatoires de sympathie envers la situation désespérée des Syriens devraient inciter à une action tout aussi urgente sur le terrain. Mais le fait est que nos gouvernements se contentent de déclarations creuses et de promesses fallacieuses. »

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This article was produced by IRIN News while it was part of the United Nations Office for the Coordination of Humanitarian Affairs. Please send queries on copyright or liability to the UN. For more information: https://shop.un.org/rights-permissions

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