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L’abstinence sexuelle: le moyen de prévention le plus sûr ou le plus risqué?

[Uganda] Abstinence messages have replaced billboards promoting condom use along Kampala's streets. [Date picture taken: April 2006] Richard Lough/IRIN
Les comportements qui évoluent exigent de repenser les stratégies de prévention du VIH pour mieux combattre l'épidémie
Les poings levés, le pasteur Martin Ssempa arpente la scène, placée à l’une des extrémités de la piscine de l’université ougandaise de Makerere, où des milliers d’étudiants écoutent attentivement le message de l’évangéliste : «Le VIH/SIDA tue. Si vous voulez vous protéger à 100 pour cent contre le virus, pratiquez l’abstinence sexuelle.» Le pasteur s’exprimait ainsi à l’occasion de la réunion "Prime Time at the Pool" (Première partie de soirée à la piscine), organisée chaque semaine dans la plus grande et la plus prestigieuse université du pays. «Le sexe, c’est bien, mais c’est encore mieux quand on attend le mariage», a déclaré le pasteur Ssempa. Dans le cadre de la lutte contre le VIH/SIDA, l’abstinence a toujours joué un rôle plus important que le préservatif, a-t-il insisté. Mais selon ses opposants, la morale n’a pas sa place dans la lutte contre le sida car le VIH/SIDA est uniquement une question de santé publique. «Aux personnes qui demandent à ce que la moralité soit retirée du débat, nous leur répondons d’assumer leurs actes», a expliqué le pasteur «Mêler la religion à la santé, c’est notre secret.» Assisté par le pasteur Ssempa, James Okurut coordonne les activités de l’ONG Campus Alliance to Wipe out AIDS (Alliance du campus pour éliminer le sida - CAWA). «Il est difficile de pratiquer l’abstinence sans l’aide de Dieu. Lorsque Dieu travaille avec moi, je peux résister à la tentation», a expliqué James Okurut. L’ONG promeut le changement de comportements des étudiants en les encourageant à croire en Dieu. Elle tente également de les convaincre que d’avoir des rapports sexuels avant le mariage est un acte immoral. Selon les résultats d’une enquête menée récemment par CAWA auprès de quelque 2 000 étudiants de l’université de Makerere, 70 pour cent des personnes interrogées pratiqueraient l’abstinence sexuelle. Pas cet étudiant en troisième année, Don, rencontré lors d’une soirée au Steak Out, un bar très fréquenté de Kampala, la capitale ougandaise, qui a rejeté les conclusions de l’étude, les considérant comme des «absurdités totales». Selon lui, la vie à l’université peut se résumer en trois mots : «bouquins, alcool et sexe». Pour un grand nombre d’étudiants en effet, l’université permet d’échapper au contrôle parental. Par conséquent, la promotion de l’abstinence n’est pas forcément le meilleur message à faire passer à ces jeunes. «Nous avons le sang chaud. Ceux qui essaient de pratiquer l’abstinence finissent par récidiver [par succomber à la tentation] et par vouloir avoir des rapports sexuels à tout prix», a ajouté Don. «Prôner l’abstinence sexuelle engendre plus de mal que de bien. Ce dont nous avons besoin, c’est de pouvoir avoir facilement accès aux préservatifs.» Le Président Yoweri Museveni fut l’un des premiers hommes politiques à mettre en place, dès le début de la décennie 90, une stratégie de prévention innovante, axée sur trois points et baptisée «ABC». Cette stratégie qui promeut l’abstinence jusqu’au mariage, la fidélité à un partenaire et l’utilisation du préservatif a permis à l’Ouganda de faire chuter son taux de prévalence de plus de 20 pour cent (le taux le plus élevé du monde à l’époque) à environ six pour cent. Cependant, l’influence exercée par les Etats-Unis et l’Eglise évangélique a incité le gouvernement à changer sa politique en faveur de l’abstinence et au détriment de l’utilisation du préservatif, ce qui lui a attiré quelques foudres. L’Afrique sub-saharienne compte actuellement plus de 390 millions de chrétiens, contre 117 millions en 1970, en raison d’un vaste processus d’évangélisation.
Les messages sur l'abstinence ont progressivement remplacé les publicités sur les préservatifs dans les rues de Kampala
La première dame de l’Ouganda, Janet Museveni, est l’un des exemples les plus frappants de personnes qui sont revenues vers la religion et qui prônent ouvertement l’abstinence. Elle a notamment demandé en 2004 à ce que les jeunes filles vierges du pays soient recensées. Le National Youth Forum (Forum national pour la jeunesse), un programme mis en place par le Bureau de la première dame et financé par les États-Unis, informe les jeunes, âgés entre douze et 25 ans, de la manière dont ils peuvent se protéger contre le VIH/SIDA. Margaret Kiwanuka, coordinatrice nationale du forum, a affirmé que contrairement aux autres méthodes, l’abstinence était un moyen de prévention fiable à 100 pour cent. Elle a également ajouté que la virginité, notamment celle des filles, était traditionnellement un atout précieux. Selon Mme Kiwanuka, si les jeunes filles ougandaises d’aujourd’hui sont plus actives sexuellement avant le mariage qu’autrefois, c’est à cause de «l’abstino-phobie» ou la peur de l’abstinence. «Beaucoup de jeunes ont des rapports sexuels à cause des mythes et des idées fausses qui accompagnent l’abstinence. Nous leur expliquons qu’il est normal d’avoir des pulsions sexuelles et nous leur enseignons des techniques, comme le contrôle de soi», a-t-elle expliqué. Un changement de politique influencé par les Etats-Unis ? Selon les opposants aux programmes de prévention axés uniquement sur l’abstinence, leur promotion par l’Église, elle-même soutenue par les Etats-Unis, aurait déjà eu des conséquences préjudiciables dans des pays comme l’Ouganda. En août 2005, l’envoyé spécial du secrétaire général des Nations unies chargé du VIH/SIDA, Stephen Lewis, a accusé les États-Unis de compromettre la bataille lancée par l’Ouganda visant à freiner la propagation de l’épidémie : les États-Unis ont en effet décidé de geler les fonds destinés à l’achat et à la distribution des préservatifs et de promouvoir, à la place, l’abstinence. «Imposer une vision politique dogmatique qui est fondamentalement erronée nuit à l’Afrique», a-t-il affirmé. Au cours de l’année 2005, les média ont signalé une pénurie croissante de préservatifs, une révélation qui a été démentie ensuite par le gouvernement. «Il n’y a pas de crise du préservatif», a rétorqué Elizabeth Madraa, responsable du programme national de lutte contre le sida. Selon elle, la stratégie “ABC” est couronnée de succès car elle permet de proposer des méthodes de prévention adaptées à des groupes spécifiques de population. «On ne doit pas se rendre dans les universités et dire: “Pratiquez l’abstinence”. Ceux qui le font ont leur propre raison et si leur message était efficace, il n’y aurait pas, à l’heure actuelle, des personnes réclamant des préservatifs», a-t-elle souligné. L’Ouganda est l’un des principaux pays bénéficiaires du Plan d’urgence du président Bush contre le sida (Pepfar), doté depuis 2003 de 15 milliards de dollars sur cinq ans. Le tiers des fonds alloués à la prévention doit être versé en faveur de la promotion de l’abstinence et de la fidélité (les éléments AB de la stratégie ABC). Dans le cadre du Pepfar, la promotion et la distribution des préservatifs comme moyen de prévention au VIH/SIDA n’est envisageable qu’auprès des personnes ayant des comportements à hauts risques et non auprès des jeunes. «Pour les personnes séropositives ou celles qui ne peuvent pas éviter les comportements à hauts risques [comme dans le cas de couples discordants, où un seul des partenaires est infecté au VIH], le préservatif est un moyen de protection indispensable», déclare le Pepfar. «Le Plan d’urgence mettra des préservatifs à disposition afin de réduire le risque de propagation de l’infection au VIH parmi les personnes engagées dans des activités à hauts risques», précise-t-il. Lorsqu’il s’agit des jeunes, le Pepfar préfère de toute évidence mettre l’accent sur l’abstinence. «Les stratégies mises en place pour lutter contre le VIH/SIDA chez les jeunes consistent à prôner l’abstinence auprès des jeunes qui n’ont jamais été sexuellement actifs et 'l’abstinence secondaire' auprès des jeunes non mariés qui sont déjà sexuellement actifs», explique-t-il.
Les anciennes campagnes d’affichage faisaient la part belle aux préservatifs
Les nombreux panneaux faisant la promotion de l’utilisation du préservatif que l’on pouvait voir le long des rues de Kampala ont été progressivement remplacé par des affiches encourageant les jeunes à pratiquer l’abstinence jusqu’au mariage. Sur l’une de ces affiches, située à proximité de l’université de Makerere, la photographie d’une jeune femme est accompagnée de la légende suivante : «Quelque part, cette jeune femme se retient pour toi – et toi ?» Au bas de l’affiche, à côté du logo du Bureau de la première dame, on peut lire «L’abstinence – pourquoi pas vous ?» Le gouvernement ougandais aurait changé de politique lors de la venue au pouvoir du gouvernement républicain du président Bush en 2000, selon ses opposants, un changement de politique encouragé par des personnes puissantes comme Mme Museveni et le Pasteur Ssempa, qui s’appuient sur la religion. «Dans les années 1990, le message de la part du gouvernement était très clair : ‘Nous sommes confrontés à un problème, nous utiliserons toutes les solutions dont nous disposons pour faire face au VIH’», a révélé un employé d’une ONG, sous couvert d’anonymat. «Mais depuis que les fonds du Pepfar parviennent aux ONG religieuses, les idées liées à l’abstinence semblent prévaloir.» Depuis février dernier, Mme Museveni siège au parlement ougandais. Selon les analystes, cette nouvelle fonction permet à la première dame du pays d’acquérir une plus grande influence politique, qui pourrait lui servir à donner davantage de poids aux messages prônant l’abstinence sexuelle. Le ministère de la Santé insiste sur le fait que la politique du gouvernement en matière de lutte contre le VIH ne s’est jamais éloignée de la stratégie ABC et que la même importance est accordée à chacun des éléments de la stratégie, adoptée bien avant que les États-Unis ne financent les programmes de promotion de l’abstinence en Ouganda. «Lorsqu’il s’agit d’informer les enfants des écoles primaires, il nous paraît judicieux de nous concentrer sur la promotion de l’abstinence. Cependant, lorsque nous nous adressons à des enfants plus grands, nous leur enseignons toutes les manières de se protéger contre le virus, y compris l’utilisation du préservatif», a indiqué Alex Kamugisha, ministre de la Santé chargé de la santé primaire. L’accent est pourtant mis sur l’abstinence et non plus sur l’utilisation du préservatif dans les programmes de sensibilisation des écoles primaires et secondaires, vieux de plus de quinze ans. En 2002, le président Museveni a lancé l’Initiative présidentielle sur les stratégies de communication sur le sida pour les jeunes, financée par les Etats-Unis, qui proposait des assemblées pédagogiques et des livres d’information sur le VIH pour les écoles primaires et secondaires. Mais en 2004 le contenu des livres a été modifié : les informations concernant le préservatif ont été supprimées et un chapitre sur l’éthique et les valeurs morales a été ajouté. Le mariage est présenté comme la seule solution pour avoir des rapports sexuels. En outre, certains documents du ministère de l’Éducation prétendent que cette institution «protège la société des infections sexuellement transmissibles.» Bien qu’elle ait pratiqué l’abstinence jusqu’au mariage, Beatrice Were, une activiste engagée dans la lutte contre le sida auprès de l’ONG internationale de lutte contre la pauvreté ActionAid, a été infectée par le VIH dans le lit marital par son mari infidèle, peu après la naissance de leur premier enfant. «Nous savons que les femmes n’ont pas leur mot à dire lorsqu’il s’agit de leur vie sexuelle. Ce sont les hommes qui prennent les décisions. Par conséquent, cela n’a pas de sens de parler d’abstinence et de fidélité tant que les femmes ne jouiront pas des mêmes droits que les hommes», a-t-elle expliqué. La stratégie axée uniquement sur l’abstinence part du principe que les groupes vulnérables comme les femmes et les jeunes filles vivant dans une société patriarcale ont un certain contrôle de leur vie. Les groupes vulnérables, les laissés pour compte de la stratégie axée uniquement sur l’abstinence Les femmes et les jeunes filles ne sont pas les seules à pâtir de la campagne de prévention uniquement axée sur l’abstinence. Les jeunes en situation difficile, ou vivant dans des pays en conflit, peuvent eux aussi avoir des difficultés à retarder les rapports sexuels, selon Robina Biteyi, responsable de programme auprès de la Fondation africaine pour la recherche médicale (AMREF). Selon un rapport des Nations unies intitulé "Les enfants au bord du gouffre 2004 - Rapport commun sur les nouvelles estimations du nombre d'orphelins et cadre d'action", la plupart des 940 000 orphelins du sida vivant en Ouganda sont à la merci des personnes qui s’occupent d’eux et qui les exploitent et ils doivent prendre soin de la fratrie. Selon ce rapport, dans les communautés touchées par le VIH/SIDA, les adolescents orphelins peuvent être plus vulnérables face à l’infection que les jeunes enfants ou les adultes.
Le taux de séroprévalence à Gulu est deux fois plus élevé que la moyenne nationale
«Les difficultés psychosociales et économiques risquent d’entraîner des comportements à risque associés à des pratiques sexuelles dangereuses et à la consommation d’alcool ou de drogue», est-il précisé. Ainsi, les 19 années de guerre qui ont opposé le gouvernement ougandais et l’Armée de résistance du seigneur (LRA) dans le nord du pays ont forcé 1,7 millions de personnes à se réfugier dans des camps de déplacés. Une étude menée en juin 2005 par le gouvernement et le Fonds des Nations unies pour l’enfance (Unicef) a révélé qu’au moins 60 pour cent des femmes réfugiées dans le principal centre du pays, Pabbo, avaient été confrontées à une forme de violence sexuelle ou domestique. Dans le district de Gulu, dans le nord de l’Ouganda, le taux de prévalence du VIH/SIDA serait de 11 pour cent, soit presque deux fois plus élevé que la moyenne nationale, estimée par les Nations unies à 4,1 pour cent. Selon un rapport publié en 2005 par Human Rights Watch et intitulé "Moins ils en savent, mieux c’est : l’abstinence comme seul programme contre le VIH/SIDA en Ouganda", le taux de séroprévalence enregistré dans le nord est supérieur à celui enregistré dans le reste du pays en raison de la violence et des abus sexuels qui accompagnent le conflit.
Les personnnes réfugiées et déplacées sont particulièrement vulnérables à l’infection au VIH
«Au vu de la violence, des abus sexuels et de la forte activité sexuelle des jeunes, une stratégie de prévention au VIH adéquate est nécessaire», ont expliqué les auteurs du rapport. Le message prônant ‘l’abstinence sexuelle avant le mariage’ doit être intégré à la méthode ABC, qui se veut plus large et plus efficace, selon ses partisans. HRW a exhorté les bailleurs qui financent les programmes ougandais de lutte contre le sida à «s’assurer que les fonds ne sont pas versés à des individus ou des groupes (…) qui utilisent les fonds pour se livrer à du prosélytisme religieux.» «Il est essentiel de proposer une éducation générale sur la santé sexuelle ainsi que des services pour réduire les risques de grossesses non désirées, de violences sexuelles, de prostitution et de transmission d’infections sexuellement transmissibles – des risques auxquels sont particulièrement exposés les orphelins», a indiqué le rapport de l’Unicef. «L’abstinence sexuelle, c’est bien beau, mais les personnes doivent disposer de toutes les informations de façon à pouvoir se protéger correctement contre le VIH/SIDA», a conclu Robina Biteyi, d’AMREF.

This article was produced by IRIN News while it was part of the United Nations Office for the Coordination of Humanitarian Affairs. Please send queries on copyright or liability to the UN. For more information: https://shop.un.org/rights-permissions

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