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Les migrants continuent d’affluer au Yémen malgré la guerre

Four young Ethiopian Oromo men, aged 14-17, on their way from Hargeisa to Berbera in late July. They will try to find work in Berbera for a couple of months to save for their journey to Yemen. The war in Yemen won't deter them, they say Adrian Leversby/IRIN
Four young Ethiopian Oromo men, aged 14-17, on their way from Hargeisa to Berbera in late July. They will try to find work in Berbera for a couple of months to save for their journey to Yemen. The war in Yemen won't deter them, they say
Il y a deux semaines que Qader et Abdi ont entrepris leur voyage. Les deux hommes, qui n’ont à la main qu’une bouteille d’eau déjà vide, croient qu’ils devront encore marcher pendant un mois et demi avant d’atteindre la mer. De là, ils embarqueront à bord d’un bateau de passeur pour une courte traversée vers le Yémen. Ils devront ensuite parcourir encore 600 kilomètres à pied pour atteindre leur destination finale, l’Arabie saoudite.

Les deux hommes, qui appartiennent à l’ethnie des Oromo, le principal groupe ethnique de l’Éthiopie – un groupe qui fait systématiquement l’objet de répression de la part du gouvernement en raison des visées nationalistes de certains de ses membres – marchent sur une route peu fréquentée qui relie la capitale du Somaliland, Hargeisa, à une ville portuaire du nord. Ils marchent parce qu’ils n’ont pas les moyens de débourser les 150-200 dollars qu’il leur en coûterait pour qu’une série de passeurs leur fassent traverser le Somaliland depuis la frontière éthiopienne jusqu’au port de Bosaso, dans la région semi-autonome voisine du Puntland.

« Nous marcherons jusqu’à ce que nous soyons trop faibles pour continuer », a dit Qader, un jeune homme de 30 ans qui a préféré taire son nom de famille pour protéger son identité. Son compagnon de 19 ans et lui portent des chemises à manches longues sales qui les protègent du soleil, dont les rayons deviennent insupportables en milieu de journée. S’ils se sont rendus aussi loin, c’est grâce à la bonne volonté des Somalilandais qui leur ont donné un peu de monnaie ou de quoi manger.

Lorsqu’ils arrivent à proximité d’un poste de contrôle, les deux hommes quittent la route pavée pour éviter de se faire arrêter, mais ils y retournent rapidement afin de ne pas se perdre. Si les migrants comme Qader et Abdi s’exposent à des risques accrus de vols ou d’agression lorsqu’ils marchent sur les routes du Somaliland – une nation autoproclamée que la communauté internationale considère toujours comme une région de la Somalie –, les habitants de la région ne leur veulent généralement aucun mal. Des responsables du gouvernement se seraient même arrêtés pour offrir à boire et à manger aux migrants en dépit de leur statut illégal dans le pays.

Qader et Abdi devront probablement utiliser leurs propres moyens et le peu d’argent qu’ils ont lorsqu’ils atteindront Bosaso. À terre, les plus démunis peuvent se débrouiller seuls, à condition d’éviter les arrestations, mais la mer les oblige à faire affaire avec des passeurs, qui sont plus que contents de continuer de transporter des gens au Yémen, pourtant déchiré par la guerre, moyennant une somme d’argent.

Un trajet de plus en plus dangereux

Les migrants qui entreprennent le voyage vers le Yémen ou qui tentent de le traverser – le pays est, historiquement, la voie empruntée par les migrants et les demandeurs d’asile de la Corne de l’Afrique qui cherchent à atteindre l’Arabie saoudite – s’exposent à la mort et aux traitements inhumains. De nombreux cas de noyades ont été rapportés l’an dernier dans le golfe d’Aden. En 2014, Human Rights Watch (HRW) a publié un rapport faisant état de l’existence de « camps de torture » où les passeurs détiennent les nouveaux venus en attendant d’obtenir une rançon de la part de leurs proches.

La guerre civile, précipitée par la démission du gouvernement yéménite reconnu par la communauté internationale et la campagne de bombardements menée par l’Arabie saoudite pour restaurer sa légitimité, a rendu encore plus périlleux un trajet déjà hasardeux.

« C’est très dangereux, et je ne le répéterai jamais assez », a dit Teddy Leposky, un responsable des relations externes du Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR) au Yémen.

La guerre a permis aux passeurs de se montrer encore plus impitoyables qu’avant, mais elle a aussi gravement compromis la capacité des organisations d’aide humanitaire à offrir des services aux migrants et aux réfugiés. Les violences sont systématiques et touchent tout le monde. Cinq migrants ont été pris dans des bombardements près de la frontière saoudienne en mai. À la fin mars, un camp de déplacé a été bombardé, faisant au moins 45 victimes.

Malheureusement, il est rare que l’extrême pauvreté, les violences et les persécutions politiques qui poussent généralement les migrants et les réfugiés à quitter la Corne de l’Afrique disparaissent comme par hasard lorsque des guerres éclatent sur leur chemin. Ils continuent donc de risquer leur vie et leur liberté pour accoster sur les rivages du Yémen. Selon les chiffres du HCR, plus de 10 500 personnes ont afflué au Yémen depuis le début de la campagne de bombardements, au mois de mars. On peut cependant supposer que plusieurs d’entre elles font partie des 51 000 qui quittent le pays. La guerre au Yémen a en effet créé un flux de migration circulaire dans la région.

« Je sais que les risques sont élevés », a dit Fila Aden, 24 ans, attablé dans un café d’Hargeisa. Il sait ce qui l’attend. C’est la deuxième fois qu’il quitte sa maison en Éthiopie pour aller chercher du travail en Arabie saoudite. Il a du mal à se souvenir du déroulement exact des événements, mais il estime qu’il a été déporté il y a environ un mois de l’Arabie saoudite après y avoir travaillé pendant près d’un an.

Minimiser des risques

Certains responsables humanitaires croient que les passeurs maritimes de Bosaso et de Djibouti (ceux qui traversent la mer Rouge et accostent au Yémen) minimisent l’ampleur du conflit au Yémen ou mentent carrément aux clients au sujet des dangers dont ils sont témoins là-bas.

Fila Aden ne doute pas que les passeurs ne disent pas tout, mais il aussi croit que le conflit au Yémen joue peut-être en sa faveur. Il a été rassuré en apprenant qu’un de ses amis avait réussi à traverser le Yémen et à pénétrer sur le territoire saoudien sans se faire remarquer.

« La traversée du Yémen nous inquiète. Nous pourrions être accusés de participer au conflit [dans un camp ou un autre]. Les gens sont plus paranoïaques maintenant », a-t-il dit. « Mais si on examine la situation depuis la perspective saoudienne, on se rend bien compte qu’ils n’ont rien à faire de nous : ils sont occupés à faire la guerre au Yémen. »

Il y aura de l’argent à faire avec les migrants tant que des gens comme M. Aden seront prêts à entreprendre le voyage. Plusieurs sources ont indiqué que les passeurs de Bosaso avaient doublé leur prix. Avant la guerre, le prix d’une traversée oscillait entre 60 et 120 dollars. Omar, qui a demandé qu’un pseudonyme soit employé pour le désigner, organise le passage clandestin d’Éthiopiens depuis la frontière jusqu’au Somaliland. Il a rejoint les rangs des passeurs il y a à peine cinq mois. Sa nouvelle occupation s’est cependant révélée lucrative. S’il a constaté une baisse du nombre de migrants lorsque la guerre a éclaté au Yémen, la période du ramadan (qui, cette année, s’étalait de la mi-juin à la mi-juillet) a toutefois été rentable, ce qui suggère une légère hausse du nombre de personnes qui souhaitent toujours se rendre au Yémen.

« Les gens savent très bien qu’ils prennent des risques », a-t-il répondu lorsqu’IRIN lui a demandé si les passeurs tiraient profit de la guerre et attiraient des clients en faisant naître chez eux de faux espoirs. Il a cependant ajouté que les passeurs prenaient eux aussi des risques supplémentaires et qu’ils craignaient de plus en plus d’être arrêtés. « Je me sens mal parfois, mais que voulez-vous, il faut bien que je gagne ma vie. »

Aucun refuge

Omar continue d’offrir ses services pour faciliter la longue marche des migrants vers l’est, mais la détérioration des conditions au Yémen a détruit un refuge que les migrants étaient auparavant nombreux à rechercher.

Abdulqader Ahmed, un migrant éthiopien de 17 ans, est arrivé au Yémen depuis Djibouti en mars. Il est arrivé au moment précis où des bagarres de rue ont commencé à éclater dans la ville portuaire d’Aden, au sud du pays. Il n’a pas osé poursuivre son voyage vers le nord, vers l’Arabie saoudite, et s’est arrêté à Al-Kharaz, un camp géré par les Nations Unies et situé à proximité. Le camp s’est retrouvé à court d’eau et de nourriture, car les organisations d’aide humanitaire étaient incapables d’y acheminer les denrées. M. Ahmed a fini par se trouver une place à bord d’un bateau pour être évacué au Somaliland.

Depuis le centre d’intervention pour migrants d’Hargeisa, où il vit en attendant d’être rapatrié, M. Ahmed a dit que la guerre au Yémen l’avait aidé à prendre conscience que la poursuite de son objectif – atteindre l’Arabie saoudite – pourrait facilement lui coûter la vie. Il souhaite maintenant retourner en Éthiopie et se remettre à l’agriculture avec son père, même s’il sait qu’il lui sera presque impossible de gagner sa vie de cette façon.

Selon M. Leposky, du HCR, l’effondrement du Yémen est particulièrement préoccupant, car le pays a toujours ouvert ses frontières aux réfugiés et aux demandeurs d’asile. Il a dit à IRIN que les migrants qui entreprenaient aujourd’hui le coûteux voyage pour traverser la mer et accoster au Yémen se retrouvaient dans une situation semblable, voire pire que celle qu’ils avaient quittée.

« Il est si triste de voir qu’un pays qui offre protection et asile aux migrants depuis tant d’années se retrouve aujourd’hui dans une situation aussi difficile. »

kr/ag - gd/amz
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