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Les défis de la redevabilité envers les personnes affectées

Woman and child after Typhoon Haiyan (Yolanda) in Tacloban OCHA/Joey Reyna
L’une des principales critiques formulées par les Philippins ayant été affectés par le typhon Haiyan contre l’intervention humanitaire mise en place à la suite de son passage était que celle-ci aurait dû venir en aide à tous les habitants, ce que les organisations d’aide humanitaire ne sont pas prêtes à faire.

Qui sont les clients des organisations d’aide humanitaire ? Sont-ce les bailleurs de fonds, qui payent les factures, ou les bénéficiaires ? On parle beaucoup de l’importance de la participation et des initiatives communautaires, mais les bénéficiaires de l’aide ont-ils réellement la chance de dire ce qu’ils pensent ? Et, lorsqu’ils sont invités à le faire, quelle différence cela fait-il ? L’opération de secours mise en place à la suite du passage du typhon Haiyan comportait un nombre inhabituellement élevé de systèmes de rétroaction.

Les organisations d’aide humanitaire se demandent de plus en plus souvent si elles font les choses de la bonne façon, mais elles ne sont pas nécessairement prêtes à se demander si elles font la bonne chose, comme l’a signalé l’un des orateurs lors d’une réunion organisée récemment à Londres par le Réseau des pratiques humanitaires (Humanitarian Practice Network, HPN).

Le moment et le cadre convenaient à une telle réflexion. Les Philippines sont un pays à revenu moyen doté de bonnes infrastructures et d’un bon réseau de communications et affichant un taux d’alphabétisation élevé. Un travailleur humanitaire a souligné : « Si nous ne parvenons pas à être plus redevables envers les personnes affectées par le typhon Haiyan, dans quelles situations réussirons-nous à l’être ? »

Au plus fort de l’opération de secours, World Vision International avait sa propre unité de redevabilité envers les personnes affectées (Accountability to Affected Persons, AAP). Seize employés avaient été désignés pour travailler sur les projets de redevabilité. World Vision et d’autres organisations avaient mis sur pied des lignes d’assistance téléphonique, des systèmes de SMS automatisés et des boîtes à suggestions. Elles avaient aussi créé des bases de données pour catégoriser et analyser les réponses obtenues. Dans l’ensemble, les personnes impliquées avaient l’impression de s’en être plutôt bien sorties.

World Vision International, Plan International, l’Organisation internationale des migrations (OIM) et le Département britannique pour le développement international (DFID) ont financé une étude de trois mois sur le terrain. Les chercheurs se sont entretenus avec les habitants des régions affectées pour obtenir leur point de vue sur la façon dont l’opération s’était déroulée.

« Je serais gênée de me plaindre après tout ce qu’ils ont fait pour nous. »

L’une des principales conclusions est que les organisations ne sont pas aussi accessibles qu’elles croient l’être. De nombreuses personnes ont dit aux chercheurs qu’elles souhaitaient aborder certaines questions, mais qu’elles ne savaient pas comment s’y prendre. L’une des raisons invoquées était la crainte de sembler peu reconnaissantes.

Jonathan Corpus Ong, qui a dirigé l’équipe de recherche, explique : « Aux Philippines, les relations sociales sont fondées sur le principe du ‘utang na loob’, ou ‘dette de gratitude’. Les gens se sentent obligés de rendre la pareille, en particulier à ceux qui leur ont fourni une aide au-delà des attentes et des normes liées aux relations familiales. Comment peuvent-ils critiquer ceux envers qui ils ont une dette de gratitude? »

« Les étrangers ne sont pas obligés de nous aider ; notre gouvernement, oui, mais eux, non. Je serais gênée de me plaindre après tout ce qu’ils ont fait pour nous », a confié une femme à M. Ong.

Il y a également eu des problèmes dans la façon dont les points de vue et les opinions des gens étaient recueillis. Un certain nombre d’outils avaient été développés à cette fin, mais ils se sont révélés peu populaires auprès de la population affectée. Les Philippins interrogés ont dit qu’ils préféraient dire en face aux travailleurs humanitaires ce qu’ils avaient à leur dire, et ce, en dépit du fait que les communications mobiles sont très développées aux Philippines et que les gens sont à l’aise avec la technologie.

Les travailleurs humanitaires croyaient que les messages qui leur étaient transmis en personne dans le cadre de leur travail étaient moins susceptibles d’être enregistrés et catégorisés, d’être saisis dans le système AAP et d’obtenir une réponse. Le rapport a révélé que les commentaires communiqués directement avaient tendance à passer entre les mailles du filet. Ceux qui étaient transmis par l’intermédiaire des lignes téléphoniques dédiées ou par messages textes étaient directement adressés aux bonnes personnes et saisis dans la base de données AAP.

La perception était cependant différente du côté des bénéficiaires. « L’employée de l’OIM m’a écouté exprimer mon inquiétude, mais elle m’a simplement dit d’envoyer un message texte », a dit un jeune homme aux chercheurs. Il a eu l’impression qu’on l’envoyait balader. Une femme plus âgée a ajouté : « Nous pouvons toujours envoyer des messages textes, mais le problème, c’est que nous ne savons pas qui est à l’autre bout. J’ignore s’ils le lisent réellement ou s’ils le prennent au sérieux. »

« Les discussions face à face sont préférables parce que vous pouvez voir la réaction de l’autre. Vous pouvez voir dans ses yeux s’il est ouvert à vous aider ou s’il restera dur et inflexible. Il est plus facile de discuter en personne que par textos », a dit une autre femme aux chercheurs.

Les villages où les méthodes de rétroaction utilisant les télécommunications ont le mieux fonctionné étaient généralement ceux qui entretenaient déjà des liens solides avec une organisation non gouvernementale (ONG) en particulier, dont le personnel, par exemple, était intégré dans la communauté. Les villageois étaient alors plus confiants et hésitaient moins à utiliser des moyens plus impersonnels. L’étude a clairement démontré que les répondants valorisaient les relations personnalisées avec les gens qui leur venaient en aide.

L’adoption d’une approche technocratique était aussi un facteur, tout comme l’utilisation de la technologie elle-même. Selon l’étude, l’ONG étrangère la plus populaire était la fondation taiwanaise bouddhiste Tzu Chi, dont les employés se décrivaient eux-mêmes comme des « frères et soeurs aînées » et parlaient d’« amour » et de « sollicitude » plutôt que de « redevabilité ».

Les systèmes de messages textes et les lignes directes étaient également utilisés lorsqu’un informateur souhaitait communiquer quelque chose secrètement, par exemple le fait qu’un voisin avait reçu plus que sa juste part ou qu’il avait utilisé l’argent de l’aide pour acheter du matériel de pêche illégal. Cela nous ramène au problème fondamental soulevé par le programme AAP initial et par l’étude réalisée à la suite de la catastrophe : la sélection des bénéficiaires, ou l’examen des moyens d’existence.

« Ils aident les mauvaises personnes. » « À cause d’eux, nous avons fini par nous disputer. »

La préoccupation la plus couramment soulevée à l’époque, qui est toujours d’actualité, concernait le choix des bénéficiaires. Les villageois philippins estimaient que la pratique humanitaire habituelle, qui est de cibler les ménages les plus pauvres et les communautés les plus nécessiteuses, était injuste et créait des divisions.

Lorsque M. Ong et ses collègues ont rencontré les groupes de discussion, plus d’un an après la catastrophe, ils ont découvert que les passions étaient encore vives. Voici quelques exemples des commentaires recueillis :

« Ils ne savent pas qu’ils aident les mauvaises personnes alors que celles qui méritent réellement de l’aide sont ignorées. »

« Nous avons tous été affectés – riches et pauvres. Il aurait été bon qu’ils vérifient au moins que tout allait bien pour nous aussi. »

« [Je leur ai demandé] ‘pourquoi avez-vous oublié notre barangay [village] ? Vous êtes passés à côté de notre barangay, mais vous n’êtes pas venus.’ »

« J’aurais préféré qu’ils ne viennent jamais. À cause d’eux, nous avons tous fini par nous disputer et par nous battre entre nous. Nous étions mieux sans eux. »

Grâce aux systèmes AAP, les organisations ont obtenu un retour rapide sur leurs opérations, ce qui signifie qu’ils étaient déjà conscients de ces insatisfactions à l’époque. Soixante pour cent des commentaires recueillis pendant l’intervention d’urgence concernaient le choix des bénéficiaires. Le message qui en ressort, c’est que les gens avaient le sentiment que tous les ménages devaient obtenir un petit quelque chose. Certains responsables de barangay ont même refusé l’aide qu’on leur proposait parce que tous les membres de leur communauté n’en tireraient pas profit. Ils craignaient en effet que l’aide « cause seulement des problèmes » et qu’ils doivent en porter le blâme.

Les organisations ont procédé à des changements dans leurs listes de distribution – elles ont ajouté certains bénéficiaires et en ont retiré d’autres – et elles ont remplacé les transferts en espèces aux pêcheurs par des bons leur permettant d’acheter du matériel approuvé. Elles n’étaient cependant pas prêtes à abandonner complètement le concept humanitaire fondamental selon lequel l’assistance doit être offerte en fonction des besoins.

« Il y aura des moments où nous ne pourrons pas leur offrir ce qu’ils demandent. »

Les travailleurs humanitaires contactés par IRIN étaient généralement d’avis qu’il fallait, pour être redevable, consulter les personnes affectées et travailler en collaboration avec elles, mais que cela ne voulait pas nécessairement dire que celles-ci obtiendraient tout ce qu’elles veulent de la façon qu’elles veulent. Une travailleuse humanitaire a insisté sur le fait que cela dépend de la politique de l’organisation pour laquelle elle travaille. Elle a cependant ajouté : « J’aurais personnellement tendance à répondre d’abord aux besoins les plus criants et de négocier ensuite avec la communauté pour comprendre ses autres requêtes, surtout s’il s’agit d’une situation d’urgence. »

Greg Barrow, porte-parole pour le Programme alimentaire mondial (PAM) au Royaume-Uni, a dit à IRIN que sa politique était de mettre l’accent sur les plus vulnérables et qu’il y avait de nombreuses raisons à cela. L’une des principales est qu’une distribution générale de vivres pourrait perturber les marchés locaux. Il a cependant admis que la logique derrière cette façon de faire n’était peut-être pas toujours claire pour les populations locales. « Nous devons écouter très attentivement les gens qui reçoivent de l’aide lorsqu’ils nous font part de leurs besoins. Il y aura cependant des moments où nous ne pourrons leur fournir ce qu’ils demandent. La solution est peut-être de mieux leur expliquer pourquoi nous ne pouvons pas toujours faire ce qu’ils espèrent que nous fassions afin de vaincre la méfiance sur le terrain. »

Aivon Guanco, de World Vision, doit souvent marcher sur ce terrain glissant dans le cadre de son travail. « Être redevable, c’est trouver un équilibre entre ce que les gens veulent et s’attendent à recevoir et ce que nous pouvons faire dans le cadre de notre mandat et avec les ressources limitées dont nous disposons. Il faut mettre en place un processus systématique pour la sélection des bénéficiaires. La plupart du temps, notre principal défi est de gérer les attentes des gens en les informant au sujet de nos limites et de nos ressources, mais la politique de World Vision est censée être participative et dirigée par la communauté. »

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