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Éduquer sans frapper – la biologie de la pauvreté et de la violence

Child at an out-patients therapeutic feeding centre for severely malnourished children in Katsina,  Nigeria, June 2012 Obinna Anyadike/IRIN
Les progrès scientifiques dans le domaine de la biologie humaine pourraient bientôt influencer profondément les politiques adoptées par les gouvernements et les organisations envers les jeunes mères, les assistants maternels et les bébés dans les communautés pauvres et soumises à divers stress.

Les preuves scientifiques montrant que l’environnement dans lequel les nouveau-nés évoluent a une importance cruciale dans le développement de leur cerveau et peut influencer de manière significative influence leurs chances de réussite future s’accumulent.

Le « stress toxique » se définit comme le cycle continuel de stress infligé à un enfant victime de violence, de négligence et/ou qui a une mauvaise nutrition ou dont les parents luttent pour survivre ou ont du mal à l’élever adéquatement. Il peut entraîner un conditionnement négatif du cerveau du bébé pouvant inhiber la croissance intellectuelle et émotionnelle et compromettre les chances de réussite de l’enfant. Tout comme les empreintes positives, ces empreintes négatives se transmettent d’une génération à l’autre.

« Nous savons depuis longtemps que la petite enfance est une période très importante, mais la science nous montre maintenant à quel point », a dit Barak Morgan, un neurobiologiste affilié à l’Université du Cap. Les politiques éducationnelles ont tendance à mettre l’accent sur l’importance des premières années de scolarisation. Or, les recherches récentes suggèrent que la période de 0 à 3 ans pourrait être la plus rentable et critique pour intervenir dans la vie de l’enfant.

Dans un article intitulé Biological embedding of early childhood adversity: Toxic stress and the vicious cycle of poverty in South Africa [Conditionnement biologique de l’adversité pendant la petite enfance : le stress toxique et le cercle vicieux de la pauvreté en Afrique du Sud], M. Morgan explique comment les signaux présents dans l’environnement laissent des « marques épigénétiques » permanentes sur l’ADN pendant les périodes clés du développement cérébral qui ont lieu avant et après la naissance. On assiste ensuite à une période de résistance pendant laquelle il devient très difficile de changer cette architecture. Si l’on ignore encore le moment exact de ces brèves périodes clés, on sait cependant que les deux à trois premières années de la vie d’un enfant sont critiques dans l’acquisition de compétences d’autorégulation émotionnelle qui font la différence entre réussite et échec plus tard dans la vie.

Éduquer sans frapper

Une recherche avant-gardiste menée il y a plusieurs années sur des rats de laboratoire par le Canadien Michael Meany a montré que la quantité de léchage et de toilettage que les ratons avaient reçue dans les premiers jours de vie déterminait leur réponse au stress.

Ceux qui avaient été peu léchés et toilettés avaient davantage de marques épigénétiques sur le principal gène du cerveau impliqué dans les réactions au stress et adoptaient des « réactions de lutte ou de fuite » pour survivre à leur environnement. Les ratons ayant été léchés et toilettés adéquatement par leur mère biologique ou par une mère de remplacement avaient moins de marques épigénétiques et étaient dès lors plus résilients au stress et mieux à même de s’épanouir. Des études réalisées par la suite sur des êtres humains, toujours au Canada, ont montré que le cerveau des victimes de suicide présentait plus de marques épigénétiques semblables à celles retrouvées chez les ratons moins bien soignés par leur mère.

« La forme et l’impact de ces marques ont un caractère ponctuel. Elles apparaissent pendant le développement précoce, lorsque l’environnement, tel que relayé par les soins parentaux, affecte le plus directement la biologie de la progéniture », a écrit M. Morgan. Fait décisif, les marques épigénétiques gênent le développement d’un fonctionnement cérébral « descendant » (top-down), plus sophistiqué, flexible et associé à une bonne autorégulation et à la capacité de réussite, par opposition à un fonctionnement cérébral « ascendant » (bottom-up), plus axé sur les réflexes et la survie.

Selon M. Morgan, les adultes ayant eu, enfants, des difficultés d’autorégulation ont significativement plus de risques de souffrir « de problèmes financiers, de toxicomanie, d’une mauvaise santé physique, d’être criminels ou monoparentaux, d’avoir un revenu particulièrement bas, un statut socio-économique faible et des compétences limitées en matière de planification financière ».

« Ce n’est que très récemment que la neuroscience interdisciplinaire a commencé à décrire et à caractériser le stress de la pauvreté chronique comme une toxine environnementale qui marque le tissu biologique des corps et des esprits et entrave un sain développement », a-t-il ajouté.

Inné et acquis

Les choses ont évolué très rapidement depuis la publication relativement récente de ces résultats. Un corpus entier de littérature sur « la façon dont l’environnement influence la biologie » a émergé, a-t-il dit. Ces découvertes ont rendu obsolète le débat sur l’« inné » et l’« acquis ». M. Morgan dit qu’il est maintenant clair que les gènes et l’environnement forment un tout indissociable. « Les gènes ne peuvent rien faire par eux-mêmes ; il doit y avoir quelque chose dans l’environnement qui dit à l’ADN quoi faire et quand le faire. L’opposition inné/acquis se révèle être un amalgame inné/acquis », a-t-il écrit.

L’influence de l’environnement sur les gènes semble en outre « avoir une portée intergénérationnelle », a-t-il dit. La recherche sur les rats de laboratoire montre que les ratons qui n’ont pas été léchés et toilettés adéquatement sont devenus des adultes qui ne soignent pas adéquatement leurs petits. Cela aide à expliquer de quelle façon le cycle de la pauvreté et de la privation peut être renforcé d’une génération à l’autre.

« Les connaissances que nous avons sur le développement du cerveau de l’enfant devraient orienter notre attention vers l’extérieur – c’est-à-dire l’environnement – et vers la réduction de la pauvreté et de la violence. » Une exposition à ces éléments négatifs plus tard dans la vie peut aussi avoir un impact sur le développement de l’enfant, mais l’exposition précoce semble laisser plus de traces. « Plus tôt on plie la brindille, plus elle risque de pousser dans la direction vers laquelle on l’a pliée. Les premières années sont décisives »
Les experts du domaine ne contestent pas les récentes découvertes, même s’il y a toujours lieu d’améliorer les connaissances existantes. Certains soutiennent que les preuves disponibles sont suffisantes pour inciter les gouvernements à mettre en œuvre de nouvelles politiques visant à réduire l’impact de la violence et de la pauvreté sur les bébés et les tout-petits. L’un des leaders de ce mouvement, Jack Shonkoff, directeur du Centre de l’université de Harvard sur l’enfant en développement et créateur du terme « stress toxique », a mené des recherches approfondies sur l’impact de ce stress omniprésent sur le cerveau en développement de l’enfant.

À la suite d’un récent débat entre scientifiques organisé par l’UNICEF, M. Shonkoff a dit, dans une interview télévisée : « La qualité ou la médiocrité des fondations que nous bâtissons dans les premières années ne détermine pas totalement ce qui se passe après, mais elle vous offre généralement de bonnes perspectives pour un développement sain ou vous plonge dans un trou profond vous donnant ainsi plus de risques de développer toutes sortes de problèmes. »

Dans l’interview, M. Shonkoff a ajouté que les nouvelles connaissances scientifiques permettaient de mieux comprendre pourquoi une mauvaise nutrition pendant la petite enfance était si problématique. « Ce n’est pas seulement parce que les enfants ne grandissent pas bien, c’est aussi parce que le développement de leur cerveau en est affecté. » Il a ajouté que les interventions qui se contentent de stimuler les enfants des communautés pauvres sont inadéquates. « Il faut trouver le moyen de protéger leur cerveau en développement du stress – le stress toxique – associé à une exposition chronique à la violence, à la pauvreté extrême et aux difficultés quotidiennes que suppose la lutte pour joindre les deux bouts. »

Lawrence Aber, psychologue à l’Unité universitaire Steinhardt de culture, éducation et développement humain de l’université de New York, est un spécialiste de l’impact de la pauvreté et de la violence sur le développement précoce de l’enfant. « Puisqu’ils ne parlent pas ou qu’ils ne semblent pas se rendre compte de ce qui se passe autour d’eux, les décideurs ne croyaient pas que les tout-petits pouvaient être affectés aussi gravement », a-t-il dit. « La science a cependant démontré le contraire. En réalité, ils sont extrêmement sensibles à leur environnement – plus qu’à n’importe quel autre moment de leur cycle de vie. » M. Aber est impliqué dans des recherches sur l’impact du VIH/SIDA et de la pauvreté sur les enfants en Afrique du Sud.

Implications en matière de politiques

M. Aber croit que les résultats obtenus récemment ont des implications profondes et concrètes sur les politiques. « Les connaissances que nous avons sur le développement du cerveau de l’enfant devraient orienter notre attention vers l’extérieur – c’est-à-dire l’environnement – et vers la réduction de la pauvreté et de la violence. » Une exposition à ces éléments négatifs plus tard dans la vie peut aussi avoir un impact sur le développement de l’enfant, mais l’exposition précoce semble laisser plus de traces. « Plus tôt on plie la brindille, plus elle risque de pousser dans la direction vers laquelle on l’a pliée. Les premières années sont décisives », a-t-il ajouté.

Quel est le pronostic pour les innombrables bébés ayant déjà été exposés au stress toxique ? La science semble suggérer que les dommages subis de manière précoce sont irréversibles, mais, selon les scientifiques, ce n’est pas le cas. « Ce n’est pas seulement une histoire de malédiction ou de point de non-retour », a dit M. Aber. « Il faut se rappeler que les êtres humains, même les plus jeunes et les plus vulnérables, ont une énorme capacité de résilience – ce que les spécialistes du développement appellent la plasticité. Les enfants sont capables de rebondir. Nous pouvons les aider à se remettre du stress toxique qu’ils ont vécu pendant la petite enfance. »

M. Morgan cite également une recherche menée sur des bébés roumains en adoption montrant l’importance d’intervenir au bon moment pour neutraliser les effets du stress. Les résultats cognitifs et sociaux des bébés ayant subi de graves privations affectives adoptés avant 20 mois étaient aussi bons que ceux de leurs pairs canadiens et britanniques qui n’avaient pas subi de privations. Le pronostic était cependant moins bon pour ceux adoptés après 20 mois. Il y a aussi l’hypothèse des « pissenlits » et des « orchidées », qui suggère que certains enfants (les pissenlits) sont moins prédisposés génétiquement à être influencés – positivement ou négativement – par leur environnement que d’autres (les orchidées).

M. Aber croit que tout le monde n’est pas prêt à agir malgré une sensibilisation accrue à la nécessité d’investir dans le développement de l’enfant bien avant son entrée à l’école. « La logique est irréfutable, mais nous ne voyons pas encore de résultats concrets en matière de politiques », a-t-il dit, ajoutant toutefois que les gouvernements des pays en développement « commencent à prendre conscience que s’ils n’instaurent pas les changements nécessaires dans les premières années de vie de l’enfant, le niveau d’éducation et, ultimement, la productivité nationale s’en trouveront limités. »

Pour les enfants vivant dans la pauvreté en Afrique du Sud, où les taux de violence domestique sont élevés, le stress toxique « est une pandémie nouvellement reconnue contre laquelle il faut agir », soutient M. Morgan.

Investir dans le développement de l’enfant

Mais quels types d’interventions peuvent être faites ? M. Aber cite les avantages du système d’« allocations sous conditions » mis en place dans le cadre des efforts d’atténuation de la pauvreté en Amérique latine et, de plus en plus souvent, dans des pays d’Afrique et d’Asie du Sud.

« Ces transferts en espèces sont accordés aux familles très pauvres à condition qu’elles investissent dans le développement de l’enfant », a-t-il dit. Ces programmes encouragent notamment les mères à assister à des cours prénataux, à faire vacciner leurs bébés et à envoyer leurs enfants à l’école. Ils peuvent également être mis en œuvre pour contribuer à atténuer les effets de la pauvreté et de la violence.

À Khayelitsha, en Afrique du Sud, des visites faites par des travailleurs de la santé aux nouvelles mères ont permis d’améliorer les pratiques parentales. Les programmes ayant pour but d’aider les parents à comprendre les dangers de l’exposition du jeune enfant au stress toxique et à trouver les moyens de les en protéger peuvent également contribuer à résoudre le problème.

M. Aber estime toutefois qu’il faut bien plus que des interventions programmatiques à petite échelle. « Le système entier doit s’attaquer au problème au niveau de l’ensemble de la population. »

pg/oa –gd/amz



This article was produced by IRIN News while it was part of the United Nations Office for the Coordination of Humanitarian Affairs. Please send queries on copyright or liability to the UN. For more information: https://shop.un.org/rights-permissions

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