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Le Secrétaire général des Nations Unies présente sa vision de la réforme humanitaire

United Nations Secretary-General Ban Ki-moon Ryan Rayburn/World Bank
UN Secretary-General Ban Ki-Moon calls on states to address the political root causes of humanitarian crises

Ban Ki-moon, Secrétaire général des Nations Unies, a partagé dernièrement sa vision sur la manière dont le monde peut améliorer la réponse apportée aux personnes dans le besoin : une approche cohésive et coordonnée de l’aide humanitaire pour établir un lien plus efficace entre l’aide d’urgence et le développement, et investir davantage – à la fois politiquement et financièrement – dans la prévention des crises.
 


Au moment où – comme M. Ban l’a lui-même reconnu – « beaucoup émettent des doutes sur la capacité de la communauté internationale à tenir les promesses de la Charte des Nations Unies de mettre un terme aux guerres et de s’attaquer aux défis mondiaux », sa vision doit conduire les gouvernements, les agences des Nations Unies et le reste du secteur de l’aide humanitaire, qui pèse 24 milliards de dollars, à entreprendre des changements majeurs lors du prochain Sommet humanitaire mondial (SHM) qui est l’aboutissement d’un processus de consultations entamé il y a presque trois ans et qui vise à améliorer l’acheminement de l’aide pour les populations touchées par les crises.

A lire : Humanitarian reform: What's on - and off - the table

Certains ont dit que c’était une source d’inspiration et ont parlé d’un « cadre ambitieux » avec une « vision audacieuse ». Mais pour d’autres, elle est « naïve », elle accuse beaucoup de « baratin » et des « lacunes importantes » – notamment elle ne s’attaque pas à la réforme des Nations Unies, elle ne protège pas l’indépendance de l’action humanitaire dans des environnements politisés et elle ne traite pas de manière adéquate des questions clés soulevées lors des consultations réalisées sur le terrain.

Commençons par le commencement

Le rapport tant attendu, Une humanité unique, une responsabilité partagée, brosse un tableau édifiant de l’épouvantable situation internationale ; il rappelle le nombre record de personnes déplacées, la multiplication des guerres civiles majeures et l’augmentation des évènements climatiques extrêmes associés au changement climatique. Trop souvent, le leadership politique nécessaire pour faire face à ces défis résulte d’« intérêts liés à la sécurité nationale et d’intérêts économiques immédiats et étroitement définis », écrit M. Ban. 

De manière rafraichissante, il s’intéresse en premier lieu à la prévention des crises et aborde les préoccupations formulées par certains travailleurs humanitaires qui avaient déjà fait part de leur frustration, en expliquant que le processus du SHM passait à côté de l’essentiel car il se concentrait exclusivement sur la fourniture de l’aide humanitaire : pourquoi ne pas s’attaquer aux racines du problème ?

« Il met l’accent sur la nécessité de chercher des solutions aux crises, d’avoir un leadership, une diplomatie préventive et de résoudre les problèmes à la racine – pour mettre plus rapidement un terme à cette misère au lieu d’y trouver une solution après coup ou par charité », a expliqué Claus Sorensen, conseiller du responsable des affaires humanitaires de la Commission européenne. « C’est la notion selon laquelle il faut mettre fin aux besoins pour éviter d’avoir à mettre en place des activités caritatives... Et je pense que c’est la bonne approche », m’a expliqué M. Sorensen, ancien directeur général de la Direction Générale de l'aide humanitaire et de la protection civile de la Commission européenne.

M. Ban aborde la question des atrocités de masse et souligne la nécessité de prévenir les massacres comme ceux du Rwanda, du Sri Lanka et de la Syrie. Ceci étant dit, le rapport final évite les termes crus d’une version antérieure du rapport, dans lequel il encourageait tous les personnels des Nations Unies à « faire preuve de courage moral face aux violations graves et massives plutôt que de se taire en échange de la mise en place d’un accès humanitaire ». De même, la déclaration selon laquelle « en tant que communauté internationale, nous sommes toujours en échec » n’apparait pas dans la version finale du rapport.

Une orientation ?

En substance, « il y en a pour tous les goûts » dans le rapport, a dit une haute responsable de l’humanitaire. Il aborde tous les sujets clés : le genre, la protection, le droit international humanitaire, la préparation. Mais il n’établit pas de priorité entre les 122 recommandations présentées et ne donne pas une orientation d’ensemble.

« Il y a de nombreuses recommandations et beaucoup sont utiles, mais il y en a tellement que cela en devient rébarbatif parfois », a expliqué un bailleur de fonds occidental.

« Il y a tellement de choses dans ce rapport : que veut-on faire exactement ? », a demandé la haute responsable de l’humanitaire. « Ce rapport est un menu. Quelles vont être les principales priorités en matière de politique ? Où sont les engagements ?”
 

« Il aurait été judicieux de se concentrer sur ce que les Nations Unies et les Etats membres peuvent faire  », a-t-elle ajouté. « Pour le moment, c’est un peu la jungle ».

Mais selon Mukesh Kapila, professeur dans le domaine des affaires humanitaire et conseiller auprès du Secrétariat du SHM, « le Secrétaire général peut juste dire au monde : ‘Ecoutez, voilà la nature du problème. Voilà la nature des insuffisances rencontrées. Voilà ce qu’il va falloir faire, si vous voulez vraiment résoudre ces problèmes ».

« Les principes humanitaires en danger »

Le fil conducteur de la vision de M. Ban est une nouvelle « approche commune » qui verrait les agences humanitaires et les agences de développement présenter un front uni. Cette orientation a été particulièrement saluée par les gouvernements qui déplorent depuis longtemps que les approches thématiques ne sont pas utiles aux personnes dans le besoin. Définir des résultats collectifs attendus plutôt qu’un horizon pluriannuel et se demander, comme le propose M. Ban, « Que faut-il faire pour atteindre ce résultat et qui va s’en charger ? » constituera une bonne nouvelle pour ceux qui réclament une meilleure optimisation de la complémentarité des rôles au sein du réseau des intervenants humanitaires. 

Mais j’entends au moins trois grandes inquiétudes.

La première : le travail de développement dépend des gouvernements nationaux. Certains craignent que dans les situations de conflit, comme au Soudan ou en Syrie, l’aide humanitaire qui n’est pas distincte du développement ne pâtisse de la politisation et ne perde son indépendance. Comme l’a expliqué un responsable d’une ONG [organisation non gouvernementale], « les principes humanitaires sont en danger » dans l’approche développée par M. Ban. Le Comité international de la Croix-Rouge (CICR), réputé pour ne pas prendre parti en cas de conflit, a fait part de ses inquiétudes lors de la publication du rapport, en expliquant que « dans certains cas, il est impossible d’un point de vue politique et émotionnel ou dangereux pour les acteurs locaux d’être neutres et impartiaux ». Son représentant a également mis en lumière la tendance des Nations Unies « à la totalisation ». 

« Au fond, je mettrais en garde contre [la tendance à la collaboration avec les gouvernements] dans les pays en guerre et où il y a une politisation, une militarisation et une sécurisation de l’assistance, car alors les populations ne reçoivent ni l’attention ni le soutien qu’elles méritent », m’a dit Jan Egeland, ancien secrétaire général adjoint des Nations Unies chargé des affaires humanitaires et actuel secrétaire général du Conseil norvégien pour les réfugiés.  

Quand bien même on trouverait des solutions à ces dilemmes (M. Ban n’en offre aucune), est-ce qu’une approche combinée pourrait fonctionner dans la pratique ? « Proposer une analyse conjointe des données des [secteurs] politique, du développement, des droits de l’homme et humanitaire en cas de crise peut sembler judicieux en théorie. La réalité est que, en cas d’intervention, nous avons eu des difficultés à produire une analyse commune des données et une planification commune entre les acteurs humanitaires », a expliqué la haute responsable humanitaire.

Et troisièmement, est-ce que cela n’entraînerait pas une bureaucratie plus lourde encore que la machinerie labyrinthique actuelle ? Et est-ce que cela répondrait au meilleur intérêt des personnes que les agences d’aide humanitaire essayent d’aider ? 

Secretary General report world cloud
Ben Parker/IRIN

Nous avons soumis le rapport à l’examen de notre buzz-o-mètre – la méthodologie que nous avons élaborée pour évaluer le degré auquel les mots tendance, le jargon et les clichés sont utilisés dans le rapport – et nous avons constaté que les mots « durable », « préparation » et « résilience » revenaient le plus souvent.

Mais les concepts nobles d’humanité, de responsabilité partagée et de solidarité sont un thème commun à la vision de M. Ban. « Investir dans l’humanité, c’est le meilleur placement que l’on puisse faire », dit-il. Pour certains, il est courageux de « réinitialiser les normes pour l’humanité » à un moment où, comme l’explique le rapport, la brutalité des conflits actuels risque de conduire le monde « à un retour à une ère de guerre sans limites ». D’autres sont moins impressionnés par la rhétorique. « Michael Jackson aurait pu écrire cela », a dit un haut responsable d’une ONG (en évoquant les paroles : « You are not alone; I am here with you » ou « tu n’es pas seul ; je suis avec toi »).

Et contrairement à d’autres rapports écrits plus tôt dans le processus, celui-ci n’offre pas de définition claire du concept d’« humanité ». 

Oubliée la définition très précise du terme – ancrée dans le droit international et les principes humanitaires – qui veut dire soulager les souffrances humaines, « tout à coup, l’humanité est juste quelque chose pour tout le monde », a dit la haute responsable humanitaire.

Idéaliste vs concret

Le rapport du Secrétaire général offre quelques recommandations concrètes, comme l’engagement des Etats à réduire les déplacements internes de moitié d’ici 2030. Mais le cadre établi pour la réalisation de ces objectifs n’est pas clair. Par exemple, les Etats doivent-ils s’accorder sur des objectifs humanitaires communs comme ils l’ont fait dans le cadre des objectifs du Millénaire pour le développement (OMD) ?

« Quand vous examinez toutes les recommandations, vous offrent-elles suffisamment de réponses aux problèmes évoqués par le rapport ? », demande le bailleur de fonds occidental. Est-ce que la machine des Nations Unies est prête à assurer un suivi sur toutes ces questions ? Est-ce vraiment réaliste ? ».

Lors du lancement du rapport à New York, il a été demandé à M. Ban si ces recommandations seraient mises en œuvre. Il a répondu que son Secrétaire général adjoint aux affaires humanitaires, Stephen O’Brien, contacterait les gouvernements pour trouver un moyen d’avancer sur les éléments principaux de « l’Agenda pour l’humanité », et s’est concentré sur quelques questions clés : le déplacement, un nouveau modèle opérationnel pour le secteur humanitaire, une plateforme internationale de financement pour traiter la question des crises prolongées et le respect du droit international.

Mais lorsque M. O’Brien a identifié les questions pour lesquelles « des engagements concrets » seraient demandés au cours des tables rondes rassemblant les chefs d’Etat ou d’autres représentants politiques de haut niveau, il a énuméré une longue liste : construire un leadership politique pour mettre un terme aux conflits, aborder la question du déplacement et limiter le phénomène, renforcer la résilience dans les situations de crise prolongée, améliorer la réponse aux catastrophes naturelles, protéger les femmes et les filles, investir dans l’humanité… 

M. O’Brien, qui supervise le processus de réforme, a jusqu’ici résisté aux appels des Etats membres d’identifier des propositions et des résultats concrets pour ne pas préjuger des consultations menées sur le terrain. Lors de la publication du rapport de M. Ban, il a annoncé la création d’une « base de données des engagements » qui serait rendue publique en amont du Sommet, permettant ainsi à tous les acteurs de rendre leurs engagements publics.

La voix des communautés affectées

Le processus du SHM avait pour objectif de mettre les populations affectées par les crises au cœur de l’aide humanitaire. Les consultations mondiales réalisées auprès de 23 000 personnes issues de divers secteurs dans le monde entier – pour un coût d’environ 24 millions de dollars – visaient à garantir la prise en compte de points de vue variés, récoltés sur le terrain.

La vision du Secrétaire général n’a jamais eu pour objectif de refléter le résultat de ces consultations (qui sont résumées dans un rapport de synthèse séparé), mais certaines personnes craignent que les questions régulièrement abordées au cours du processus – l’autonomisation des intervenants locaux, la protection des principes humanitaires, la redevabilité envers les bénéficiaires de l’aide et une plus grande proximité avec le terrain – ne soient expédiées.

« Toutes ces questions qui étaient centrales sont vraiment minimisées », a dit la haute responsable humanitaire. Par exemple, le projet Charter4Change [charte pour le changement], un projet concret pour une aide humanitaire locale, n’est pas mentionné.

Mais s’il est une critique récurrente à l’endroit de la vision du changement du Secrétaire général, c’est qu’il est « un peu léger » ou qu’il « manque de clarté » en ce qui concerne les réformes au sein des secteurs placés sous sa responsabilité directe, à savoir la réforme des mandats des Nations Unies qui se recoupent et qui génèrent une pensée institutionnelle étroite. Il entrouvre la porte, en expliquant que « il est temps de se concentrer sur la demande plutôt que sur l’acheminement des fournitures, sur les résultats collectifs et l’avantage comparatif plutôt que sur l’exécution des projets et la notion de « mandats d’abord ».

Mais comme le dit un bailleur de fond : « Si les mandats ne doivent plus être le facteur dominant, alors toutes les organisations que vous dirigez devraient être concernées ?... Comment allez-vous y arriver en tant que premier responsable des Nations Unies ? ».

Ce rapport va-t-il changer la donne ? Comme pour le Sommet humanitaire mondial, cela dépendra avant tout de ce que les gouvernements, les agences des Nations Unies, les ONG et M. Ban lui-même sont vraiment prêts à faire. Un petit rappel : le sommet se tiendra dans 100 jours.

Pour plus d’informations, lire : Humanitarian reform: What's on - and off - the table

ha/bp/ag-mg/

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