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L’externalisation ouverte — les difficultés de la vérification des données pour les humanitaires

A live crisis map built solely on crowd sourced information that helped OCHA stay abreast of the situation in Libya which kept on revolving as the uprising continued Edgar Mwakaba/IRIN

L’évolution des technologies favorise la prolifération des données (« big data ») en situation d’urgence, que ce soit par l’externalisation ouverte (crowdsourcing), le crowdseeding (fournir des téléphones portables et des crédits téléphoniques aux communautés afin de récolter des informations sur le terrain) et l’utilisation des médias sociaux. Les organisations humanitaires cherchent désormais une manière de s’assurer que ces données sont exactes avant de les utiliser.

L’obtention d’informations par le biais de l’externalisation ouverte présente de nombreux avantages. « Cela résout un véritable problème pour les organisations humanitaires, à savoir comment être au courant de la situation dans un environnement instable », a dit à IRIN Chris Albon, directeur de projets de données d’Ushahidi, une organisation kenyane de cartographie de crise. « Les données récoltées grâce aux technologies d’externalisation ouverte peuvent représenter pour les organisations humanitaires de nouveaux et puissants flux de renseignements concernant la région dans laquelle elles interviennent ou s’apprêtent à intervenir. »

Cependant, rien ne garantit que les informations provenant de sources multiples sur le terrain soient exactes. En situation de crise, les informations peuvent être limitées, peu fiables et mal analysées. Comme le dit Paul Currion, spécialiste et conseiller en technologies de l’information et coordination humanitaire pour le Conseil international des agences bénévoles (International Council of Voluntary Agencies, ICVA, un réseau d’organisations non gouvernementales de développement humanitaire basé à Genève), « L’externalisation ouverte peut rarement être représentative, car les participants sont par définition volontaires. Ce fait ne pose pas de réel problème tant qu’il est pris en compte et tant que l’externalisation ouverte n’est pas la seule source de données ».

Ainsi, Somalia Speaks, un programme mis sur pied par Al Jazeera en 2011 en prévision de la Conférence de Londres sur la Somalie, a demandé aux Somaliens d’envoyer par SMS les opinions et les questions qu’ils souhaitaient adresser à leur gouvernement au sujet de la conférence. L’Union internationale des télécommunications a reçu plus de 3 000 messages, mais le taux de pénétration de la téléphonie mobile en Somalie n’est que de sept pour cent. Les messages envoyés sont donc probablement loin de représenter l’opinion de tous les Somaliens.

« Dans le contexte de l’externalisation ouverte, c’est donc une erreur de dire que l’on “s’adresse” aux gens, car en réalité, on les “sollicite” », a dit M. Currion à IRIN.

Cisco, une entreprise offrant des services de réseau, estime qu’en 2012, le trafic IP a atteint 43,6 exaoctets par mois dans le monde (un exaoctet équivaut à environ 10 milliards d’exemplaires de The Economist, selon ce même magazine). Entre 2012 et 2017, Cisco prédit que la transmission des données mobiles sera multipliée par 13.

En situation de crise, le partage d’informations monte en flèche. Dans les jours qui ont suivi le séisme de 2011 au Japon, 572 000 nouveaux comptes Twitter ont été créés et 177 millions de tweets ont été envoyés (environ 1 200 tweets par minute rien qu’à Tokyo). Selon le Bureau de la coordination des affaires humanitaires des Nations Unies (OCHA), après le séisme en Haïti, plus de 80 000 SMS ont été envoyés au numéro de détresse 4636, créé pour recevoir les demandes de secours. Environ 90 pour cent de ces messages étaient cependant des doublons ou des perturbations.

Goulots d’étranglement

« Le traitement de l’information demande de plus en plus de temps et de personnel, ce qui crée un goulot d’étranglement », a écrit Eric Gujer dans un rapport publié en 2011 pour la fondation ICT4Peace. Les systèmes qui ne sont pas équipés pour traiter et filtrer le grand nombre d’informations, souvent répétées, qui affluent en situation de crise risquent donc d’être surchargés.

La technologie utilisée pour l’externalisation ouverte n’est pas toujours adaptée. Lors de l’attentat de Boston en mai 2013, la population a participé activement à l’identification du suspect, mais a d’abord accusé une personne à tort. Les rumeurs s’étaient en effet propagées rapidement par le biais de sites Internet comme Reddit, un réseau social d’actualité et de divertissement sur lequel les membres peuvent publier du contenu pour lequel les internautes peuvent ensuite voter afin qu’il apparaisse en haut de liste ou non.

Analyser la véracité des informations

Patrick Meier, directeur des médias sociaux au Qatar Computing Research Institute (QCRI) et grand spécialiste dans le domaine de l’utilisation des nouvelles technologies dans les interventions en situation de crise, estime qu’un problème de poids avec les sites Internet comme Reddit, Twitter et Facebook est qu’ils permettent aux gens de retransmettre des informations sans vérifier personnellement leur véracité.

« Reddit n’est pas conçu pour favoriser une réflexion critique. Les gens ont publié toutes sortes d’informations douteuses [concernant l’attentat de Boston] et cela a fait boule de neige », a dit M. Meier à IRIN.

Selon lui, s’il existait une technologie pouvant obliger les internautes à analyser la véracité des données qu’ils publient, l’externalisation ouverte pourrait être mieux exploitée en situation de crise.

M. Meier fait partie d’une équipe travaillant à la création d’une plateforme en ligne appelée veri.ly, qui vise à collecter et vérifier les informations en situation de crise. « Les gens pourraient publier des demandes de vérification sous forme de questions auxquelles on peut répondre par oui ou par non. Un simple bouton de partage leur permettrait de les partager avec leur réseau », a-t-il dit à IRIN. Les utilisateurs ne se contenteraient pas de partager ou publier de nouvelles informations, mais devraient écrire une phrase expliquant la raison pour laquelle ils estiment que telle ou telle information est vraie ou fausse.

« L’une des raisons pour lesquelles veri.ly fonctionne est que vous n’êtes éloigné que de quelques degrés de la personne proche de la catastrophe », a dit M. Meier. « Vous voulez avoir la confirmation des communautés sinistrées pour vérifier si l’information est exacte ou non ».

Dans son guide de vérification, Ushahidi recommande que les développeurs de plateformes d’intervention d’urgence basées sur l’externalisation ouverte prennent des mesures supplémentaires pour s’assurer que les informations mises en ligne sont exactes. L’organisation les incite également à faire la distinction entre des réponses « vérifiées » et « non vérifiées » et à être sensibles au risque que des « données empoisonnées » soient publiées pour induire en erreur ou distraire de manière délibérée.

Viser la simplicité

« L’externalisation ouverte n’est pas [un système] prêt à l’emploi », a précisé M. Albon. « Pour mettre en place un système d’externalisation ouverte efficace, il ne suffit pas d’installer un logiciel comme la plateforme Ushahidi. Il faut également former du personnel, évaluer les risques et développer un modèle permettant de traduire réellement les informations recueillies en actions concrètes sur le terrain.

Selon Benjamin Davies, directeur adjoint du programme Signal sur la sécurité humaine et la technologie de l’Harvard Humanitarian Initiative, il est plus facile de se fier à la population si on lui donne des tâches relativement simples sur une plateforme avec laquelle elle est déjà familière, car la prise de décision après une crise « est très imprévisible ». Ainsi, après l’ouragan Sandy de 2012 aux États-Unis, qui a entraîné des pénuries d’essence autour de la ville de New York, Google a créé une application liée à ses cartes et permettant aux internautes de signaler les stations approvisionnées en essence.

De manière semblable, lors du typhon Bopha de 2012 aux Philippines, le gouvernement a créé un hashtag sur Twitter sous lequel les internautes pouvaient publier des informations relatives au cyclone. Cela a permis aux premiers secours d’identifier qui avait besoin d’aide et de diffuser des alertes précoces. Selon M. Meier, de telles mesures sont essentielles pour limiter la confusion et obtenir rapidement des informations utiles en temps de crise.

« Permettre aux gens de fournir des informations géographiques est l’une des mesures les plus importantes qu’un gouvernement peut prendre », a dit M. Meier. « Demander aux gens lors d’une catastrophe de connecter leur GPS aux médias sociaux » peut permettre de trouver certaines personnes et d’obtenir certaines informations plus rapidement, a-t-il dit. « Agir de la sorte, c’est tout simplement faire preuve de philanthropie lors des catastrophes ».

Faire équipe avec les informaticiens

L’OCHA a travaillé en collaboration avec des informaticiens et des fournisseurs de services médias pour cartographier cinq crises, dont la plus récente en Syrie. En 2011, en Libye, l’OCHA a cartographié la crise en partenariat avec une « équipe de veille » composée de 250 internautes bénévoles qui ont participé à la création en deux mois d’une carte des évènements.

Pour Imogen Wall, coordinatrice de la communication avec les communautés affectées pour l’OCHA, tout est question de partenariat. « Comment travaille-t-on avec des données massives ? C’est une question de partenariat (voir Flowminder en Haïti, par exemple) », a-t-elle dit dans un récent chat en ligne.  « Comment rétablit-on les télécommunications et les connexions Internet ? C’est une question de partenariat avec le secteur privé qui fournit ces services. Comment se prépare-t-on pour limiter les impacts des crises sur les réseaux ? Cela implique de travailler en partenariat sur les questions de préparation aux catastrophes. Ce n’est pas qu’une question d’argent. C’est une question de partage des ressources (données, capacités, compétences, technologies), de vision commune et de collaboration sur le terrain. »

« Le secteur humanitaire institutionnel est de moins en moins adapté et est dépassé par tout un ensemble d’autres acteurs comme l’armée, le secteur privé, la diaspora et les communautés sinistrées elles-mêmes », a remarqué M. Currion. Selon lui, les humanitaires doivent changer de mode de fonctionnement en impliquant un ensemble plus large d’acteurs tout en s’attachant à préserver et promouvoir les principes humanitaires plutôt que les institutions.

Technologie satellitaire

Croiser les informations provenant de multiples sources grâce à une diversité des technologies permet d’améliorer leur exactitude. M. Davies participe au Satellite Sentinel Project de l’Harvard Humanitarian Initiative, qui a eu recours à la technologie satellitaire pour collecter des images des évènements dans la région frontalière entre le Soudan et le Soudan du Sud de décembre 2010 jusqu’au milieu de l’année 2012. Des informations ont également été recueillies dans des documents au code source ouvert (journaux, rapports, etc.) et obtenues de sources sur le terrain. Les participants au projet cherchaient où des incidents étaient signalés pour savoir où placer les satellites. « Nous avions un rapport de la situation en temps réel », a dit à IRIN Britney Card, coordinatrice de l’analyse des données du projet.

« Les satellites offrent un angle unique sur la face de la terre qui peut aider à prendre des décisions », a dit M. Davies. « Un propriétaire peut voir que son garage s’est effondré, mais que sa toiture est intacte. »

Mais un écart important subsiste entre les connaissances de la communauté humanitaire et celles des développeurs, ce qui freine le bon fonctionnement de ces outils pour les humanitaires et les personnes touchées par les catastrophes.

Combler cet écart

L’OCHA recommande plusieurs solutions pour combler cet écart dans un récent rapport intitulé Humanitarianism in the Network Age  (l’humanitaire à l’ère des réseaux). Il s’agit notamment de mettre en place des équipes composées d’humanitaires, d’informaticiens et d’autres acteurs pouvant être déployées sur le terrain ; de créer un espace de dialogue neutre pour que les spécialistes de la technologie, les humanitaires et les bénévoles puissent partager des idées avant et après les catastrophes ; d’instaurer des normes en matière de données ; et de faire plus de place à la recherche et au développement dans les organisations humanitaires.

Après le typhon Pablo, l’OCHA a créé le Digital Humanitarian Network, un groupe d’experts techniques et d’internautes bénévoles auquel il est possible de faire appel en cas de crise (jusqu’à présent, ce réseau a servi au Soudan, aux Philippines, en Inde, aux îles Samoa et en République démocratique du Congo). En rassemblant les humanitaires et des experts techniques, la technologie est utilisée de manière plus efficace pour communiquer avec les communautés touchées.

Pour Mme Wall, il existe « très peu de réponses. Le monde change trop vite. Allez sur le terrain, appliquez les principes et regardez ce qui est efficace là où vous vous trouvez. Ce sera, en pratique, différent partout. Car la communication est une activité sociale et culturelle, peu importe l’outil utilisé, et elle est donc différente partout ».

VIDÉO : Interview avec Sara Pantuliano, directrice du Groupe de travail sur les politiques humanitaires de l’Institut de développement d’outre-mer

aps/aj/cb-ld/amz


This article was produced by IRIN News while it was part of the United Nations Office for the Coordination of Humanitarian Affairs. Please send queries on copyright or liability to the UN. For more information: https://shop.un.org/rights-permissions

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