Manal Tayyar a fui au Liban après que des combats aient éclaté dans son quartier de Tadamun, dans la banlieue de la capitale syrienne Damas en juillet dernier. Les voisins soignaient un blessé chez elle et elle a abandonné son appartement tâché de sang.
Elle a suivi son mari, qui avait travaillé au Liban avant le début de la crise en Syrie, pour aller s’installer dans la ville côtière de Tyr, au sud dans une chambre unique dont le plafond fuit et où l’eau et l’électricité sont parfois coupées pendant plusieurs jours. Elle a vendu ses boucles d’oreille en or pour payer le loyer à un propriétaire antipathique et a ensuite accueilli sa mère, ses sœurs, ses nièces, ses neveux et ses beaux-frères dans l’unique pièce lorsqu’ils ont fui à leur tour quelques mois plus tard.
« Toute notre famille va nous suivre », a déclaré à IRIN sa mère Khidra Hamad. « Personne ne restera en Syrie sous les bombes ».
S’ils ne comprennent pas encore totalement ce qui pousse les gens à s’installer dans le sud du fait des susceptibilités communautaires présentes dans un Liban divisé, les travailleurs humanitaires avancent quelques hypothèses :
À l’image du mari de Mme Tayyar, beaucoup d’immigrés syriens travaillaient au Liban avant la guerre. Depuis, ils ont fait venir leurs familles. D’autres pensent que les villes et villages pauvres au nord ont atteint les limites de leur capacité d’absorption et que les réfugiés peuvent penser qu’ils auront plus de chances de trouver un travail dans le sud.
De plus, le sud du Liban, qui a été pendant des décennies le théâtre de la guerre et de l’occupation, est désormais l’un des endroits les plus sûrs du pays, protégé jusqu’à présent des problèmes qui ont fait sombrer des endroits comme la ville de Tripoli, près de la frontière nord, ou même la capitale, Beyrouth, où les retombées du conflit syrien ont provoqué des affrontements meurtriers et des enlèvements entre partisans et opposants du régime syrien.
Inquiétudes
Cependant, certains habitants du sud s’inquiètent.
Le 23 janvier, le maire de Tyr a convoqué une réunion avec les travailleurs humanitaires pour discuter des besoins croissants de la population.
« Le nombre [de réfugiés syriens] augmente de jour en jour », a déclaré à IRIN Hassan Dbouk après la réunion. « Nous sommes très inquiets concernant les problèmes futurs qui pourraient résulter de leur présence ici, à tous les niveaux : économique, social et sécuritaire ».
« Le nombre d’incidents reste peu élevé, mais nous sommes très inquiets concernant l’avenir », a-t-il ajouté. « Les êtres humains sont humains. S’ils ont faim, les vols vont augmenter, les délits vont augmenter, la mendicité va augmenter, les problèmes sociaux vont augmenter ».
Il a également mentionné une hausse de la concurrence sur le marché de l’emploi dans une région qui souffre déjà d’un fort taux de chômage, et les conséquences de la surpopulation en matière de santé publique.
Nécessité d’une aide supplémentaire
Contrairement au district du Akkar, au nord, et à la vallée de la Bekaa, à l’est, où une mission humanitaire de grande ampleur est en cours depuis 2011, les organisations humanitaires ont seulement commencé à envoyer de l’aide dans le sud l’année dernière.
Jusqu’à présent, le Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR) a recensé 10 612 personnes dans les deux gouvernorats du sud, avec 22 300 personnes supplémentaires qui attendent leurs convocations pour s’enregistrer.
L’ONG (organisation non gouvernementale) locale Intervention économique, humanitaire et sociale (SHEILD) qui recense les nouveaux arrivants déclare qu’il y a au moins 20 000 familles non enregistrées dans le sud du Liban. (SHEILD assure le transport en bus des réfugiés qui veulent s’enregistrer au bureau du HCR le plus proche, à Sidon, à une heure de route au nord de Tyr ou plus pour ceux qui viennent de villages lointains).
De nombreux réfugiés non enregistrés franchissent la frontière illégalement, évitant tout contact avec les services de renseignement libanais (auprès de qui doivent se faire connaître les étrangers dans le sud du Liban) et vivent discrètement dans des villages le long de la frontière israélienne où « leur situation est déplorable », selon Rima Khayat, directrice de projet pour SHEILD.
Dans ces régions, certains Syriens vivent dans des écoles abandonnées, des tentes ou, dans le cas d’une famille, dans la salle des moteurs d’une cage d’ascenseur, a déclaré Mme Khayat. Au moins 2 000 familles de réfugiés non enregistrées n’ont reçu aucune aide, a-t-elle dit, même si certaines ONG internationales essaient de les trouver.
Mais les habitants affirment que l’aide humanitaire est limitée dans le sud : « Les réfugiés dans le sud n’ont rien, les ONG sont très peu présentes ici », a déclaré Anis Slika, maire d’Al-Fardis, un petit village du sud, au nord de la frontière israélo-syrienne.
« Tout le monde travaille dans le nord et dans la vallée de la Bekaa », a déclaré à IRIN Mme Khayat. « Nous travaillons avec très peu de ressources ».
Même dans la ville principale de Tyr, où la plupart des organisations ont leurs bureaux, l’aide humanitaire pour certains réfugiés est ralentie.
Mme Tayyar attend depuis deux mois sa convocation pour s’enregistrer. Le manque de personnel a retardé le processus et le HCR déclare que le délai d’attente pour se rendre au bureau de Sidon est de trois mois en moyenne. (La priorité pour l’enregistrement est donnée à ceux qui ont besoin d’une aide urgente, et plusieurs ONG apportent de l’aide aux réfugiés qui ne sont pas encore déclarés).
Les organisations humanitaires sont conscientes des besoins croissants et renforcent leurs actions.
Le Programme alimentaire mondial (PAM) a commencé les distributions en décembre et le HCR va ouvrir un deuxième bureau dans le sud à Tyr au cours des prochaines semaines afin d’accélérer l’enregistrement de réfugiés. (Les effectifs du HCR au niveau national sont passés d’environ 60 personnes au début de la crise à plus de 250 aujourd’hui). Le portail de la société civile libanaise Daleel Madani publie de nombreux postes de travailleurs humanitaires à pourvoir dans le sud.
Tensions possibles
Si jusqu’à présent le peu d’aide humanitaire était justifié par le très petit nombre de réfugiés installés dans le sud, les enjeux peuvent être plus complexes.
« Dans le sud, vous avez une communauté qui est en majorité favorable au régime de Bachar », a déclaré Sahar Atrache, analyste d’International Crisis Group (ICG) au Liban, faisant référence au président syrien qui est accusé de crimes odieux perpétrés contre une opposition majoritairement sunnite.
De toute évidence, la communauté religieuse n’a pas posé de problème jusqu’à présent.
La famille de Mme Tayyar a déclaré qu’elle n’avait pas rencontré de problème de ce genre et le maire de Tyr ne manque pas de signaler que « personne ne demande aux réfugiés syriens s’ils sont sunnites ou chiites, pour ou contre le gouvernement syrien… Nous estimons que les Syriens ont la même origine, nous sommes [tous] arabes.
« Le problème [entre les communautés religieuses] au Liban est un conflit politique, pas un conflit social ».
Les Libanais chiites accueillent les réfugiés sunnites dans la vallée de la Bekaa, par exemple, depuis le début de la crise.
Mais il existe des mécanismes pouvant déclencher des tensions.
Même au nord, où les Libanais à majorité sunnite accueillent leurs « frères » sunnites, la rancœur commence à croître entre les habitants pauvres et les réfugiés, car ces derniers reçoivent toute l’aide humanitaire. Les travailleurs humanitaires soulignent la nécessité d’un financement des bailleurs de fonds pour la création de programmes destinés aux Syriens et aux communautés hôtes afin d’éviter ce genre de tensions.
« Le sud est la région la plus sensible », a déclaré Mme. Atrache. « S’il y a un trop-plein [de réfugiés] là-bas, la rancœur que vous avez constatée dans le nord sera également présente dans le sud. Mais ensuite, vous avez un problème politique et communautaire ; le problème va s’aggraver ».
La volonté d’éviter une crise sur son territoire est peut-être l’une des raisons qui poussent le Hezbollah à venir aussi en aide aux réfugiés, a déclaré Mme. Atrache. Le mouvement a mis un point d’honneur à différencier publiquement ses positions politiques et ses actions humanitaires. Néanmoins, selon Mme. Atrache, l’aide humanitaire serait aussi un moyen pour le Hezbollah de « contrôler les réfugiés », mais ce n’est pas la seule crainte.
« Il y a la crainte que le nombre de Syriens augmente et qu’ils finissent par rester pour toujours », a déclaré Abdel Magid Saleh, député à Tyr du Mouvement Amal, un parti chiite rattaché à l’Alliance du 8 mars qui est au pouvoir. « Nous avons accepté les Palestiniens, pensant que cela allait durer 10 ou 15 jours, un mois, deux mois, mais 64 ans après, le nombre de Palestiniens ne cesse d’augmenter.
« La crainte est que les statistiques démographiques du Liban soient bouleversées », a déclaré à IRIN M. Saleh, faisant notamment référence aux chrétiens qui sont devenus beaucoup plus minoritaires et à un possible afflux d’extrémistes sunnites ou de figures de l’opposition syrienne au Liban qui constitueraient une menace pour la sécurité du pays. « Nous sommes en droit d’être prudents ».
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