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Une initiative écologique lucrative

Olivier Mushiete se considère comme un pionnier : sa forêt d’acacias en pleine croissance, sur le plateau des Bateke, à 120 kilomètres à l’est de Kinshasa, est la première plantation puits de carbone d’Afrique centrale.

« On emprisonne avec les acacias de 25 à 30 tonnes de CO2 à l’hectare. Ils poussent vite et n’ont pas de prédateurs connus, ni parasites, ni virus. En plus, ce sont des légumineuses dont les feuilles fertilisent le sol. Ce sont des champions ! », explique t-il avec enthousiasme.

Chaque jour, la plantation emprisonne plusieurs tonnes de dioxyde de carbone, gaz responsables de l’effet de serre. M. Mushiete, ingénieur-agronome, a vendu une partie de ce CO2 stocké, sous forme de crédit carbone, pour 4 millions de dollars, dont le premier paiement devrait être versé en 2012, lorsque les premiers arbres seront arrivés à maturité.

Ces crédits sont le résultat du Mécanisme de développement propre du protocole de Kyoto, qui vise à permettre aux pays industrialisés de compenser leurs émissions en soutenant certains types de projets de développement dans des pays plus pauvres.
Les crédits correspondent à un certificat attestant d’une réduction de gaz à effet de serre. Ils peuvent être vendus à des entreprises, des institutions ou des individus. Chaque crédit carbone représente une réduction d’une tonne de CO2.

Comme pour les biens concrets, le prix des crédits varie en fonction de l’offre et de la demande. En raison des risques d’incendies, de maladies et d’abattage et de la nécessité d’attendre cinq ans après le début du projet pour pouvoir évaluer correctement la quantité de carbone séquestré, les crédits provenant de projets sylvicoles ont relativement peu de valeur (quatre dollars actuellement) comparés à ceux correspondant à d’autres types de puits de carbone.

Malgré tout, les projets comme celui de M. Mushiete sont populaires auprès de certains investisseurs soucieux de leur image, notamment en Europe, car ils contribuent visiblement au développement des communautés rurales, freinent l’érosion et protègent les ressources en eau.

Obstacles bureaucratiques

L’initiative de M. Mushiete a vu le jour en 2005, lorsqu’il a commencé à transformer un vaste terrain de savane dont il avait hérité et qui servait autrefois de pâturage. Ce terrain avait été fortement endommagé par des habitants qui abattaient les arbres pour faire du charbon et brûlaient l’herbe. Le sol était devenu encore moins fertile.

Avec son frère et sa sœur, M. Mushiete a remis sur pied l’entreprise de son père, NOVACEL, et, dans le cadre du programme de développement rural de l’entreprise, il s’est attaqué au labyrinthe bureaucratique et à la tâche coûteuse que représente le lancement d’un projet de puits carbone et d’échange de crédits.

Les obstacles bureaucratiques étaient considérables.  « Par exemple, on m’a demandé de prouver qu’il n’y avait pas de forêt ici avant. Mais aucune photo aérienne n’a été prise depuis 1950, alors comment puis-je démontrer que personne n’a planté d’arbres depuis pour les abattre ensuite ? » a-t-il demandé.

Mais les frères Mushiete ont persévéré et planté des acacias, qui sont parfaitement adaptés au sol pauvre et sablonneux de la savane des Bateke. En moins de trois ans, 1 500 hectares ont été couverts d’arbres de cinq mètres de haut.

M. Mushiete a obtenu des financements considérables du Fonds BioCarbone du groupe « Finance carbone » de la Banque mondiale, qui a acheté 500 000 crédits de réduction des émissions de CO2. L’initiative compte d’autres partenaires, comme l’entreprise française Orbeo, qui appartient au groupe Rhodia, un fabricant de produits chimiques, et la Société Générale.

Orbeo a déjà revendu ses 500 000 crédits au géant de l’alimentaire Danone, qui a récemment envoyé une équipe pour discuter de plusieurs projets environnementaux avec M. Mushiete, et notamment d’une plantation de 2 400 hectares.
Manioc

Mais le projet – appelé Village Ibi du nom d’une des localités du plateau - ne s’arrête pas à la plantation d’arbres. Ainsi, des milliers de plants de manioc poussent maintenant entre les acacias, servant de coupe-feu naturel et fournissant, grâce à une usine de transformation, de la farine pour les marchés de Kinshasa.

« Nous produisons 10 à 15 tonnes de manioc séché par semaine et employons près de 100 personnes », a dit le chef de la production, François Miena.

Women at work in a cassava processing plant in DRC
Photo: Fabienne Pompey/IRIN
Avantages complémentaires : cette usine de transformation du manioc produit plusieurs tonnes de farine par semaine
« Avec l’argent que je gagne, je peux envoyer mes enfants à l’école et m’occuper de  mon mari malade », a dit une ouvrière, Marie, qui travaille pour deux dollars par jour.

Si, d’après certains écologistes, le système de crédits carbone encourage les entreprises à continuer à polluer au lieu de réduire leurs propres émissions, le programme semble populaire sur le plateau des Bateke.

« Le projet Ibi a transformé le paysage du plateau des Bateke, tant sur le plan social qu’environnemental », a dit Dani Mulabu, qui dirige la pépinière de manioc.

« Nous avons maintenant une école primaire, un centre de santé, des points d’eau… tout a changé, même la mentalité des habitants ».

Ibi compte environ 1 000 habitants qui joignaient les deux bouts en fabricant et en vendant du charbon. « Nous coupions les arbres près de la rivière. Mais il n’en reste presque plus maintenant. Il n’y a plus de chenilles, plus de champignons. Nous avons perdu beaucoup en détruisant la forêt primaire », a expliqué Franck Estève Mbumba Madiamba, président du comité de développement d’un village local.

À la périphérie de Kanisa, l’un des douze hameaux d’Ibi, une petite parcelle de jeunes acacias et de manioc a été plantée. Les arbres ont à peine 10 mois, mais mesurent déjà deux mètres de haut. Le manioc sera prêt pour les vacances de Noël.

« Nous pouvons nourrir la totalité du village avec les feuilles et les tubercules et cela nous laisse même des surplus que nous pouvons vendre », a dit M. Mbumba Madiamba.

Forêts gérées

« Nous couperons bientôt les acacias pour le charbon, puis nous replanterons », a-t-il ajouté en se référant à une plantation séparée du puits de carbone où une partie des arbres est coupée chaque année et où des jeunes arbres sont replantés immédiatement. Comme la source de charbon est une forêt gérée et non pas naturelle, ce système est considéré comme respectueux de l’environnement.
Le vice-président du comité de développement, José Mguankoto, était visiblement fier du projet. « Nous créons de l’oxygène pour nous-mêmes, mais également pour l’Europe et le monde entier », a-t-il dit.

Oliver Mushiete on the Bateke plateau in Democratic Republic of Congo, the site of Central Africa's first carbon sink
Photo: OMUS
Oliver Mushiete (à droite) sur le plateau des Bateke
Chaque village du plateau possède sa propre plantation. Cela dissuade les habitants de couper les arbres des forêts primaires et des puits de carbone pour faire du charbon. Le projet fournit également une aide technique essentielle avec des tracteurs pour labourer la terre, des graines d’acacia et des financements pour les formations.

M. Mushiete, lui-même chef coutumier, a créé le poste de « chef des affaires familiales et coutumières », une fonction visant à empêcher le plateau d’être envahi par des personnes venant d’ailleurs qui voudraient profiter des richesses disponibles.

Seulement trois pour cent des 500 milliards de dollars de crédits carbone échangés chaque année proviennent de l’agroforesterie. Les règles actuellement en vigueur entravent la croissance de ce secteur.

« Beaucoup de questions se posent quant à la durabilité de ces puits de carbone, qui peuvent être détruits par la main de l’homme ou par le feu », a dit M. Mushiete.

« Ils valent moins que les autres formes de stockage du carbone et leur commerce est certainement plus difficile. Il existe encore de nombreux obstacles et nous espérons que le sommet de Cancún [la Convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques, qui a lieu à Cancún, au Mexique, du 29 novembre au 10 décembre] en éliminera quelques-uns », a-t-il ajouté.

« Nous avons démontré ici qu’une forêt gérée ne brûlait pas. Nous sommes des pionniers et nous espérons que le village Ibi deviendra un modèle », a-t-il dit.

fp/am/cb – gd/amz

This article was produced by IRIN News while it was part of the United Nations Office for the Coordination of Humanitarian Affairs. Please send queries on copyright or liability to the UN. For more information: https://shop.un.org/rights-permissions

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