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Survivre au viol et au déracinement

Allongée par terre pour tenter de soulager les terribles douleurs qui l’empêchent de s’asseoir, Masoka Furha, les larmes aux yeux, se remémore son calvaire. «Les soldats sont arrivés dans le village, ils ont réuni une partie de ma famille dans notre case, puis ils y ont mis le feu. Ensuite, ils ont violé toutes les femmes».

Sept ans après avoir été victime de ce viol commis par une dizaine de militaires dans son village près de Kalémie, dans le nord de la province congolaise du Katanga, cette jeune femme de 32 ans, qui en paraît 10 de plus, lutte toujours contre des infections sexuellement transmissibles (IST) et les nombreuses blessures que ses agresseurs lui ont infligées.
Jeanne Musinde, elle aussi, n’a plus jamais été en bonne santé depuis ce jour de 1999 où elle a été rattrapée puis violée par «quatre hommes en uniforme», alors qu’elle tentait de fuir les violences de la guerre à Kalémie.

«Je suis toujours épuisée et faible, je ne prends pas de poids et je dors mal», se désole cette femme de 45 ans aux cheveux blancs, qui se dit prête aujourd’hui à faire le test de dépistage du VIH qui lui faisait si peur il y a encore quelques mois.

«Docteur Bernadette», alias Bernadette Mukando, une infirmière venue elle aussi de Kalémie qui tente, sans moyens, de soulager les souffrances des malades, le constate tous les jours: les IST et le VIH font des ravages parmi les déplacés.

C’est à pied que Masoka, Jeanne et Bernadette ont parcouru le millier de kilomètres qui séparent Kalémie de Lubumbashi, la capitale de la province du Katanga, pour arriver à Elakat, un entrepôt pillé et abandonné d’un quartier populaire de la ville, où tentent de survivre des centaines de personnes, elles aussi déplacées par la guerre qui a secoué la République démocratique du Congo (RDC) pendant près d’une décennie.

Les histoires de Masoka et de Jeanne sont loin d’être uniques parmi les déplacés de guerre d’Elakat, en majorité des femmes veuves et des enfants, qui doivent faire face à la fois à la misère dans laquelle la guerre les a jetés et aux traumatismes et maladies qui en découlent.

Ces victimes n’ont pas eu accès à des soins qui auraient pu leur éviter des blessures irréversibles --comme Masoka qui ne pourra plus avoir d’enfant--, ou une infection au VIH, grâce au kit dit de prophylaxie post-exposition, un cocktail d’antirétroviraux (ARV) qui permet de réduire le risque d’infection par le virus du sida s’il est administré dans les 72 heures suivant l’exposition au VIH.

Des crimes non dénoncés

Hormis les difficultés d’être soignées dans des zones rurales isolées et pauvres, l’une des raisons pour lesquelles les victimes n’ont pas accès à ces soins est qu’elles ne dénoncent pas, ou trop tard, les violences qu’elles ont subies, par peur, par honte ou encore par certitude que les auteurs de ces sévices ne seront pas punis, une situation que déplorent des organisations de défense des droits des femmes en RDC.

Pourtant, des dizaines de milliers de femmes auraient été violées pendant les années de conflit notamment dans l’est du pays où la prévalence du VIH est la plus forte, selon ces organisations, qui soulignent que les violences sexuelles sont un phénomène répandu en RDC, y compris en temps de paix où elles se déroulent souvent dans l’intimité du cercle familial.

«Quand une personne qui a subi un viol vient nous voir, ce n’est pas pour porter plainte mais seulement pour recevoir un soutien psychologique», constate maître Ida Kitwa, de l’ONG congolaise Solidarité pour le développement humain (SDH) à Lubumbashi.

Il est alors souvent trop tard pour essayer de prévenir l’infection au VIH, ajoute Mme Kitwa, également coordinatrice au Katanga du Réseau action femmes (RAF) qui regroupe 70 organisations de défense des droits de la femme en RDC.

En plus de devoir trouver des moyens de subsistance, en faisant des lessives ou des ménages pour les habitants du quartier, il s’agit donc aussi, pour les victimes infectées au VIH, d’avoir accès à des soins appropriés, éventuellement aux ARV.

C’est le cas de Prospérine Kalunga. Originaire de Kalémie, cette mère de huit enfants qui dit ne pas avoir été violée pendant la guerre «parce qu’[elle] est d’une famille de militaires», a accepté de faire le test de dépistage du VIH qui lui a été conseillé lorsqu’elle a développé une tuberculose, la principale infection opportuniste liée au VIH/SIDA.

Son test, effectué au centre de traitement ambulatoire de l’association congolaise Amocongo, était positif.

L’ONG fournit des ARV à près de 600 personnes à Lubumbashi grâce à un financement du Fonds mondial de lutte contre le sida, la tuberculose et le paludisme.

Les déplacés, trop mobiles pour recevoir des ARV

Jeanne, qui n’avait jamais entendu parler du sida avant de se faire dépister en 2005, est l’une des rares personnes du camp à bénéficier d’un suivi médical pour des infections opportunistes, mais elle n’est pas encore sous ARV.

Car en dépit d’une accélération du mouvement en faveur de l’accès universel au traitement du sida au cours des derniers mois, grâce à une intensification de l’aide internationale, moins de 10 pour cent des personnes séropositives en attente de ces médicaments contre le sida en reçoivent.

Ce pourcentage est encore plus faible parmi les déplacés, dont beaucoup ne reçoivent aucune aide.

«Nous ne pouvons pas fournir d’ARV aux déplacés car ce sont des populations trop mobiles, un traitement ARV est un traitement qui se prend à vie, il faut donc d’abord stabiliser les populations», affirme le docteur Augustin Okenge, directeur du Programme national de lutte contre le sida (PNLS).

Or pour les déplacés d’Elakat, la «stabilisation» n’est pas pour demain.

Bien que vivre le reste de leur vie dans ces bâtiments en ruine soit difficile à envisager -- le toit n’est fait que de vieux sacs d’aide alimentaire internationale et les sanitaires, une pièce vide sans eau ni porte, dégagent une odeur pestilentielle --, rentrer chez eux est, pour certains, hors de question.

«Je ne veux plus retourner à Kalémie à cause de tout le sang que j’ai vu là-bas», a dit Prospérine, qui a reçu par retour de courrier la lettre qu’elle avait essayé d’envoyer à sa famille, par l’intermédiaire de la Croix-Rouge: personne ne sait ce que ses proches sont devenus.

Pour mieux protéger les victimes et leur permettre d’avoir accès aux soins, le RAF n’en démord pas: il faut mettre fin à l’impunité dont jouissent les auteurs de ces crimes.

C’est dans ce but que le réseau a élaboré un projet de loi qui a été adopté par le Parlement congolais début juin.

Cette loi, soutenue par d’autres organisations, notamment la Mission des Nations unies au Congo (Monuc), redéfinit l’acte de viol, qui n’incluait jusqu’alors que «la pénétration d’un organe féminin par un organe masculin, avec éjaculation», a expliqué maître Kitwa.

Désormais, l’introduction d’un objet, tel qu’un fusil, dans l’organe sexuel de la victime est qualifiée de viol et passible des mêmes peines, entre 10 et 20 ans de réclusion. Cet acte a été largement pratiqué pendant la guerre mais il n’était considéré que comme un ‘attentat à la pudeur’.

De petites victoires, mais le chemin est encore long

Une autre victoire, surtout pour les personnes déplacées, a estimé maître Kitwa, est de pouvoir porter ‘plainte contre inconnu’.

«Dans le cas d’un militaire [auteur de viol], sa hiérarchie l’affectait ailleurs et la victime ne pouvait plus rien faire. Maintenant on peut aller chercher l’accusé où qu’il soit», a-t-elle dit.

La prochaine étape sera de faire voter une loi qui reconnaisse la responsabilité civile de l’Etat lorsque les violences sexuelles sont commises par une personne armée dépositaire de son autorité, comme un policier ou un militaire. Elle contraindrait l’Etat à prendre en charge la victime, notamment dans le cas d’une infection au VIH, et à l’indemniser.

Selon le PNLS, 20 pour cent des victimes de viol ont été infectées au VIH/SIDA au cours des violences qu’elles ont subies.

Les efforts déployés par les ONG, les partenaires internationaux et les autorités pour lutter contre les violences sexuelles se sont traduits par la création en 2005 d’une «synergie» qui regroupe tous ces acteurs au sein de trois commissions : juridique, médico-sanitaire et psychosociale.

Les victimes reçoivent d’abord un soutien psychologique, puis un suivi médical, avant d’être redirigées vers la commission juridique, chargée de monter un dossier.

«Les violences sexuelles existaient depuis longtemps mais elles n’étaient pas dénoncées. Avec la synergie, les gens commencent à comprendre que cette violence est un problème», constate Mujijima Bora Kabera, chef de la Division provinciale de la Condition féminine et de l’enfance (Condifa) au Katanga.

Et les plaintes affluent. A la suite d’une campagne de sensibilisation, la commission juridique de la synergie a été totalement débordée le 8 mars dernier, lors de la journée mondiale de la femme.

Entre janvier et juin, cette commission a enregistré 1 246 plaintes à Kalémie, dont la moitié pour violences sexuelles, commises entre autres par des hommes en uniforme ou des miliciens. Les victimes venaient de zones situées jusqu’à 200 kilomètres de là.

«Même dans le cas de violences commises par les forces armées, les gens n’ont plus peur et ils cherchent réparation», dit Mme Kabera. «C’est encore timide, mais les choses évoluent».

This article was produced by IRIN News while it was part of the United Nations Office for the Coordination of Humanitarian Affairs. Please send queries on copyright or liability to the UN. For more information: https://shop.un.org/rights-permissions

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