Les éléments positifs sont les suivants : un projet pilote créé par la loi agricole de 2008 afin d’étudier la faisabilité de l’approvisionnement local et régional en aide alimentaire dans les situations d’urgence a été transformé en un programme standardisé qui allouera 80 millions de dollars chaque année pour l’approvisionnement local et régional (ALR). En outre, la nouvelle loi agricole prévoit de faire passer de 13 à 20 pour cent le pourcentage de financement du plus important programme d’aide alimentaire, baptisé ‘Des vivres pour la paix’ (ou Titre II), qui peut être alloué aux programmes non-urgents par le biais de ressources basées sur les liquidités ou de marchandises plutôt que par le biais de la pratique très critiquée de l’aide alimentaire monétisée.
La monétisation est une faille majeure du système d’aide alimentaire des Etats-Unis : les céréales américaines sont distribuées aux organisations non gouvernementales (ONG) et à d’autres « organismes parrains » qui vont ensuite vendre ces céréales aux pays bénéficiaires afin de dégager des fonds pour financer leurs projets. La quasi-totalité des principales agences d’aide humanitaire ont abandonné cette pratique, car la vente des denrées alimentaires données fausse les marchés locaux et est préjudiciable à la sécurité alimentaire à long terme.
« Les principales évolutions positives [de la nouvelle loi agricole] ont été l’autorisation d’un programme d’ALR permanent (bien que modeste) et la hausse significative du plafond du financement des organismes parrains, ce qui permet réellement à USAID [l’Agence des États-Unis pour le développement international] de mettre fin à une monétisation manifeste de l’aide alimentaire », a dit Chris Barrett de l’université Cornell, un éminent spécialiste de l’aide alimentaire.
« Ce sont des évolutions importantes. Mais la loi agricole est très loin de donner à USAID la flexibilité nécessaire pour utiliser les liquidités, les coupons ou l’ALR dans les situations où ces outils d’aide alimentaire seraient les plus appropriés, car le principal programme d’aide alimentaire américain (Titre II de la PL480) reste soumis à des dispositions législatives prévoyant l’achat de marchandises aux Etats-Unis et le transport maritime depuis les Etats-Unis d’au moins la moitié des cargaisons des cargos battant pavillon américain. Cela entraîne des pertes et des retards non nécessaires sans que l’économie américaine en tire de grands avantages. On peut donc dire que la loi agricole 2014 représente un progrès modeste ».
Un débat « sans précédent »
Cependant, le processus législatif a donné aux défenseurs de la réforme un espoir pour l’avenir. « Cela fait dix ans que je travaille sur la question », a dit Eric Munoz, conseiller politique principal auprès d’Oxfam Amérique. « J’ai vu passer deux lois agricoles. Et c’est la première fois, d’après mon expérience, qu’il y a eu un débat sérieux, que de vraies propositions ont été faites et qu’il y a eu une véritable demande pour que les intérêts particuliers favorables au statut quo défendent le programme dans sa forme actuelle. Cela n’était jamais arrivé. Je ne pense pas que le débat soit fini et, de notre côté, nous allons continuer à exercer des pressions pour nous assurer que les lacunes du programme soient corrigées ».
L’un des éléments les plus marquants est l’amendement à la loi agricole (présenté conjointement par Ed Royce, représentant républicain de la Californie, et Eliot Engel, représentant démocrate de New York) qui proposait de donner à USAID la flexibilité nécessaire pour utiliser jusqu’à 45 pour cent des fonds d’aide alimentaires pour l’ALR, les transferts de fonds ou les coupons alimentaires. Lors d’une séance organisée par le comité des affaires étrangères de la chambre des représentants, des membres du Congrès ont dit craindre que le recours accru aux transferts ou aux coupons ne permette pas aux Etats-Unis de tirer un avantage des dons de denrées en termes d’image. (Voir la vidéo de la séance.)
« Voilà à quoi ressemble l’aide alimentaire », a dit Adam Kinzinger, représentant républicain de l’Illinois au Congrès, en montrant une photo d’un grand sac portant la mention ‘US’. « Cela veut dire, `De la part du peuple américain. USAID.’ Cela montre très clairement qu’il s’agit d’un produit américain ». Si l’aide alimentaire est distribuée sous la forme de coupons, a-t-il dit, la générosité des Etats-Unis ne sera pas correctement mise en avant. « Je pense que nous perdrons l’impact de notre action, c’est-à-dire le fait de donner aux populations d’Afghanistan ou du Darfour ou de n’importe quel autre pays un cadeau produit aux Etats-Unis par le peuple des Etats-Unis », a-t-il dit.
“M. Le membre du Congrès, pourriez-vous nous montrer la photo d’un coupon alimentaire ? », a demandé Andrew Natsios, ancien administrateur de USAID de 2001 à 2006 auditionné par le Congrès, en faisant référence à une seconde photo. « On peut lire, `Aide des Etats-Unis de la part du peuple américain’ sur le côté droit ».
« Oui, mais ce n’est pas exactement la même chose qu’un sac contenant de la nourriture », a dit. M. Kinzinger, membre du Congrès.
Puissants intérêts du secteur du transport maritime
Cependant, ce n’est pas la crainte de perdre les bénéfices de l’aide alimentaire en termes d’image qui a précipité le rejet de l’amendement, mais l’intense campagne de lobbying des compagnies et des syndicats de transport maritime. L’amendement Royce-Engel a été rejeté par un vote de 200 voix contre 203. Selon une analyse du Center for Public Integrity (Centre pour l’intégrité publique), les membres du Congrès qui ont reçu des contributions des deux principaux syndicats de transport maritime ont rejeté la mesure par 83 voix contre 29.
« Je ne connais pas une autre source que les groupes d’intérêt spéciaux affectés financièrement par ces réformes qui pense que le système actuel fonctionne bien et à notre avantage », a dit M. Natsios.
Frédéric Mousseau, directeur des politiques du Oakland Institute, a noté que les présidents Bush et Obama ont tous deux tenté de réformer l’aide alimentaire américaine au cours des dix dernières années. « A chaque fois, le Congrès américain a refusé les changements à cause de l’influence combinée des agroentreprises américaines et de l’industrie du transport maritime qui bénéficient grandement de cette forme de subventions cachées et empochent chaque année des centaines de millions de dollars d’argent public grâce à ce business », a-t-il dit.
Mais le signe le plus fort d’un changement majeur à venir a peut-être été la diffusion d’un sketch satirique sur le débat relatif à l’aide alimentaire dans le Daily Show de Jon Stewart, une émission de la chaîne Comedy Central qui représente l’une des voix les plus progressistes de la culture américaine. Lors d’un reportage présentant des entretiens avec Chris Barrett et le rédacteur en chef d’un journal de l’industrie maritime, la correspondante Jessica Williams a demandé sur un ton moqueur que les besoins des « plus vulnérables d’entre nous » - « les conglomérats du transport maritime international » - soient « évalués par rapport aux besoins des personnes qui ont faim ».
Nora O’Connell, vice-présidente des politiques publiques et du plaidoyer de l’association Save the Children, a souligné que les réformes modestes inscrites dans la loi agricole donnent de l’espoir pour l’avenir. « C’est le début d’une discussion sur la réforme », a-t-elle dit.
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