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Le gel des aides au développement pourrait perturber les services de santé publique en Ouganda

A protester holds up a sign at a rally against Uganda's Anti-Homosexuality Bill, 2009, in November 2009 at the Uganda High Commission in New York, USA Kaytee Riek/Flickr
Depuis la promulgation d’un projet de loi draconien contre l’homosexualité il y a un peu plus d’un mois, les bailleurs de fonds ont réduit ou suspendu les aides destinées au pays en guise de protestation. Les fonctionnaires de santé, les défenseurs des droits de l’homme et les ONG (organisations non gouvernementales) préviennent de l’impact majeur que cela pourrait avoir sur les services de santé publique, notamment pour les patients atteints du VIH/SIDA.

La Banque mondiale, les États-Unis, ainsi que plusieurs pays européens dont la Suède, les Pays-Bas, la Norvège et le Danemark ont suspendu ou redirigé des enveloppes et des projets d’aide au développement d’une valeur de près de 140 millions de dollars, en réaction à la promulgation de la loi par le président ougandais, Yoweri Museveni, le 24 février 2014.

La nouvelle loi prévoit jusqu’à 14 ans d’emprisonnement pour les personnes reconnues coupables d’« actes homosexuels » et la perpétuité pour les cas « graves » tels que ceux impliquant des personnes séropositives, des mineurs, des handicapés ou des délinquants.

Officiellement, l’État a déclaré faire peu de cas des sanctions budgétaires des bailleurs de fonds. Le 31 mars, le président Museveni a prononcé un discours à l’occasion d’un défilé de « reconnaissance » organisé par des chefs religieux pour fêter la loi antihomosexualité (AHA). Il a qualifié la réduction des aides par les donateurs de « méprisable ».

Mais un haut fonctionnaire du gouvernement a déclaré en privé à IRIN que les conséquences de ces sanctions budgétaires étaient « terribles ».

« Nous sommes en crise. Le gouvernement a été obligé de revoir ses priorités et de procéder à des réajustements puisque les donateurs ont bloqué les aides », a déclaré le responsable. « Nous constatons que les services sociaux et les investissements publics sont au point mort. Les fonctionnaires n’ont pas reçu leur salaire [en février] ».

IRIN a examiné en quoi consistaient exactement ces sanctions et ce que cela impliquait pour l’Ouganda.

Qui sanctionne et quels sont les financements concernés ?

La sanction la plus forte émane de la Banque mondiale qui a suspendu une enveloppe de prêts de 90 millions de dollars destinée à renforcer le système de santé publique du pays, en attendant un réexamen de la situation. Le financement devait servir à rénover et équiper 13 hôpitaux régionaux et 27 centres de santé au niveau départemental.

Cette somme représente 20 pour cent du budget total consacré à la santé pour 2013-2014 en Ouganda et plus de la moitié de toutes les donations pour le secteur de la santé publique. Ce financement externe devait représenter 37 pour cent du budget total consacré aux soins médicaux.

« La discrimination institutionnalisée est néfaste pour les personnes et pour les sociétés », a écrit le président de la Banque mondiale, Jim Yong Kim, dans une lettre d’opinion en réaction à la loi, publiée par le Washington Post. « Cela montre clairement que lorsque les sociétés promulguent des lois qui empêchent des gens productifs de faire vraiment partie de la population active, les économies en pâtissent. »

Début mars, la Suède a annoncé qu’elle envisageait de suspendre une aide directe estimée à 10,1 millions de dollars et les Pays-Bas ont bloqué une subvention de 9,6 millions de dollars destinée au système judiciaire ougandais. Le Danemark et la Norvège, quant à eux, vont rediriger plus de 17 millions de dollars initialement destinés au gouvernement vers des ONG et des organisations de la société civile.

Les États-Unis ont suspendu 13,4 millions de dollars dans le cadre de plusieurs de leurs programmes. Le 28 février 2014, les Centres pour le contrôle et la prévention des maladies (CDC) ont suspendu un accord qui prévoyait que le gouvernement américain verse une partie ou la totalité du salaire de 87 employés du programme national de lutte contre le sida rattaché au ministère de la Santé. Les CDC ont également suspendu une enquête prévue en collaboration avec l’université Makerere afin d’évaluer l’effectif des populations les plus exposées au VIH/SIDA.

« Une stratégie efficace contre le VIH doit permettre d’atteindre et de traiter les principales populations à risque », a écrit dans un email envoyé à IRIN Erin Rattazzi, attachée de presse du bureau africain du département d’État américain. « Cependant, les dispositions de la loi qui condamnent la « promotion » et l’incitation à l’homosexualité soulèvent des questions sur le rôle des enquêteurs et des travailleurs sanitaires au regard de la loi. » En effet, les enquêteurs et les personnes interrogées dans le cadre de cette enquête pourraient s’exposer à des poursuites.

Les États-Unis ont également gelé 6,4 millions de dollars destinés au Conseil interreligieux de l’Ouganda (IRCU), une coalition d’organisations de plusieurs groupes religieux en Ouganda qui a publiquement approuvé la loi antihomosexualité. Néanmoins, les États-Unis ne vont pas suspendre les 2,3 millions prévus pour assurer le fonctionnement des services de santé destinés aux 50 000 personnes dont l’IRCU s’occupe. Le groupe participe à la prévention, les soins et le traitement des personnes atteintes du sida en Ouganda.

Le département de la Défense américain a bloqué trois millions de dollars supplémentaires destinés au tourisme et à la protection de la biodiversité, et a déplacé hors du territoire ougandais la tenue d’un colloque rassemblant les chefs des forces aériennes africaines, ainsi qu’une formation sur le renseignement militaire pour les sous-officiers en Afrique de l’Est.

Les États-Unis ont cependant souligné qu’ils continueraient de verser les 700 millions de dollars de l’aide annuelle et que les réductions n’auraient pas d’incidence sur les services de santé indispensables, les programmes agricoles et les initiatives pour la démocratie et la gouvernance. Mais ils ont ajouté que « pratiquement aucune partie de cet argent n’ira au gouvernement ».

Washington a également annoncé la semaine dernière que les États-Unis allaient renforcer la participation militaire dans le pays afin d’aider le gouvernement ougandais à lutter contre l'Armée de résistance du seigneur (LRA) et Joseph Kony, le chef du groupe de rebelles.

Quelles sont alors les conséquences pour le gouvernement ?

Il est clair qu’il y aura, du moins à court terme, un énorme déficit de financement, en particulier pour le secteur de la santé.

« Nous n’avions pas anticipé cette réduction des aides. Le gel [des projets d’aide au développement notamment] va certainement avoir des répercussions sur les prestations de services. Nous devons trouver des fonds pour combler cet énorme écart », a dit à IRIN Keith Muhakanizi, secrétaire permanent au ministère des Finances et du Développement économique.

« Je pense qu’il était prématuré de la part des donateurs de réduire les aides en réaction à cette loi. Les donateurs et le reste du monde auraient dû attendre de voir dans quelle mesure l’application de la loi aurait entravé l’accès aux services pour les groupes minoritaires », a-t-il déclaré.

Elioda Tumwesigye, ministre de la Santé en Ouganda, a déclaré à IRIN que la réduction des aides dans le secteur de la santé publique était un coup dur pour la lutte contre le VIH/SIDA.

« Leur action en Ouganda, au Nigeria ou dans n’importe quel pays africain pour donner satisfaction aux LGBTI [communautés lesbiennes, gays, bisexuels et transgenres] dessert la lutte contre le VIH. Si [les donateurs] continuent à réduire les aides, ils vont entretenir le VIH, la TB [tuberculose], le paludisme et d’autres maladies. C’est très dangereux, y compris pour la communauté minoritaire », a déclaré à IRIN M. Tumwesigye.

« Les homosexuels et lesbiennes que les donateurs veulent protéger vont être grandement pénalisés, car eux aussi bénéficient des services de santé publique. Tout le monde peut avoir accès à ces services. Nous n’exerçons pas de discrimination [à l’encontre] des personnes en raison de leur orientation sexuelle. Le personnel supplémentaire engagé par le ministère pour nous aider dans la lutte contre le VIH a dû être licencié à cause du gel du financement des États-Unis [au travers des CDC], ce qui compromet la programmation, la mise en oeuvre de notre politique, ainsi que la prévention et le traitement du VIH », a-t-il dit.

Mais Milly Katana, une militante de longue date dans la lutte contre le VIH, a déclaré à IRIN que l’application d’une politique non discriminatoire en matière de soins de santé était impossible dans la pratique avec cette loi. « Nous savons que la communauté qui est visée est en fait poussée davantage dans la clandestinité et cela met à mal tous les efforts pour leur apporter des services », a-t-elle déclaré.

Que pensent les défenseurs des droits des homosexuels de la situation ?

Même s’ils sont opposés à la loi AHA, les militants en Ouganda ont regretté la suspension des aides.

« Je ne suis pas en faveur de la réduction des aides. Mais je ne suis pas non plus en faveur des manoeuvres d’intimidation », a déclaré à IRIN Julian Pepe Onziema, directeur de programme de l’organisation de défense des droits des homosexuels Sexual Minorities Uganda (SMUG).

« Il y a tellement de lois horribles dans ce pays, mais stigmatiser, réagir de façon virulente contre la loi AHA est non seulement condescendant, mais cela accroît considérablement la vulnérabilité des personnes LGBTI face à l’homophobie, qu’elle soit cautionnée ou non par l’État. »

Certains pensent que la réduction des aides va compromettre les projets de développement clés dans le pays. « Cette aide est particulièrement destinée aux personnes vulnérables ayant besoin de traitement et de soins », a déclaré Dora Musinguze, directrice exécutive du Réseau ougandais sur le droit, l'éthique et le VIH/SIDA (UGANET), une ONG locale. « Je pense vraiment qu’il faut trouver un autre moyen pour attirer l'attention du gouvernement », a-t-elle dit à IRIN.

D’après les statistiques officielles, la prévalence du VIH est passée de 6,4 à 7,3 pour cent au cours des cinq dernières années.

« En tant que défenseur des droits de l’homme, je ne souhaite pas que les donateurs réduisent les aides pour l’Ouganda, car cela priverait tous les Ougandais de services dont ils ont besoin, en particulier ceux qui sont atteints par le VIH/SIDA », a déclaré Dennis Odwe, directeur exécutif de l’organisation AGHA (Action Group for Health, Human Rights and HIV/AIDS) qui milite pour la défense des droits de l’homme et l’accès aux soins en Ouganda.

Au niveau mondial, les hommes homosexuels risquent 13 fois plus d’être infectés par le VIH que le reste de la population, selon ONUSIDA qui a condamné cette loi.

Que va-t-il se passer ?

Ce n’est pas la première fois que des aides sont gelées en Ouganda et les représentants du gouvernement s’efforcent d’en récupérer une partie. En 2012, les donateurs avaient suspendu les aides, car certains responsables du cabinet du Premier ministre étaient accusés d’avoir détourné près de 13 millions de dollars de dons destinés à aider la reprise économique dans le nord de l’Ouganda.

« Il est souhaitable de les convaincre de ne pas réduire leurs aides, étant donné qu’il s’agit d’une initiative privée. Ce n’est pas [un projet de loi] déposé par le gouvernement. Nous devons les persuader de rétablir le financement », a dit à IRIN M. Muhakanizi, du ministère des Finances. Bien que la loi n’ait pas été votée par le Premier ministre, beaucoup de membres du parti au pouvoir, y compris le président, ont proclamé haut et fort leur adhésion à cette loi.

Le ministre de la Santé, M. Tumwesigye, a dit à IRIN que le gouvernement avait écrit à la Banque mondiale et aux États-Unis pour les faire revenir sur leur décision. « Nous leur avons assuré que la loi n’affecterait pas la prestation des services pour la communauté LGBTI. Nous espérons qu'ils vont revoir leur position et nous donner les fonds. Nous demandons à la Banque mondiale d’approuver le prêt ».

L’ambassadeur de l’Union européenne en Ouganda, Kristian Schmidt, a accepté de s’entretenir avec le gouvernement en avril, après avoir rencontré des responsables du ministère des Affaires étrangères.

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This article was produced by IRIN News while it was part of the United Nations Office for the Coordination of Humanitarian Affairs. Please send queries on copyright or liability to the UN. For more information: https://shop.un.org/rights-permissions

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