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La Jordanie place de grands espoirs dans le projet controversé de canal de liaison entre la mer Mort

There are an increasing number of sink holes in the southern shores of the Dead Sea as a result of shrinking water levels Wikimedia Commons
There are an increasing number of sink holes in the southern shores of the Dead Sea as a result of shrinking water levels
La Jordanie, l’un des pays au monde souffrant le plus de la pénurie d’eau, est confronté à ce que l’on peut qualifier de « combinaison parfaite » de conditions défavorables, comme la pénurie chronique d’eau, la surconsommation, le gaspillage et l’augmentation massive de la demande du fait de l’arrivée de réfugiés, selon un rapport publié ce mois-ci par l’ONG Mercy Corps.

En plus des problèmes liés à l’eau, le pays traverse actuellement la saison des pluies la moins abondante depuis des décennies.

Après des débats qui se sont poursuivis pendant des décennies, une solution proposée sera mise en œuvre d’ici la mi-2018, suite à la signature d’un accord controversé sur le partage des ressources en eau avec Israël et l’Autorité palestinienne en décembre 2013.

Cet accord prépare le terrain pour le projet longuement débattu de construction d’un canal entre la mer Rouge et la mer Morte, même si le projet n’est pas repris dans sa totalité. Il englobe la construction d'une station de dessalement dans le port jordanien d'Aqaba, qui dessalera entre 800 millions et 1 milliard de mètres cubes (m3) par an pour les pays concernés, et le pompage de saumure pour réhabiliter la mer Morte par l’intermédiaire d’un canal de 180 km.

D’après le ministère de l'Eau et de l'Irrigation, la Jordanie aura choisi une entreprise d’ici avril 2015, la construction débutera fin 2015, et la mise en œuvre durera près de 2 ans et demi.

« Avec [ce projet], nous allons résoudre les problèmes de la Jordanie pour les 30 prochaines années au moins », a déclaré Nabeel Zoubi, chargé du programme mer Rouge-mer Morte.

La station devrait produire au moins 80 millions de m3 chaque année, selon M. Zoubi. « Israël achètera à la Jordanie près de 50 millions de m3, au prix de 0,42 dollars par m3 et le reste – entre 30 à 40 millions de m3 -  sera alloué à la province jordanienne d'Aqaba », a ajouté M. Zoubi.

Dans le cadre de l'accord, la Jordanie peut acheter environ 50 millions de m3 d'eau à Israël (provenant de la mer de Galilée) pour fournir de l'eau à Amman et la partie nord de la Jordanie.

« La Jordanie ne dispose pas d’autre moyen pour faire face au manque d'eau compte tenu de l’augmentation de la population et des questions liées au changement climatique », a déclaré M. Zoubi.

Des préoccupations liées aux coûts

Cependant, certains experts ont exprimé leurs préoccupations liées au coût du projet de canal de liaison, estimé à 4 milliards de dollars, et aux risques environnementaux potentiels associés aux rejets de saumure dans la mer Morte.

« Il s'agit d'une solution appropriée, mais elle est très risquée en raison du contexte politique actuel, des troubles régionaux, de la situation géographique et de son coût élevé », a déclaré à IRIN Amal Dababseh, écologiste et spécialiste du changement climatique. « Le projet sera situé le long de la vallée du Rift, qui est une région à forte activité sismique. Les donateurs risquent d’y réfléchir à deux fois avant de financer un tel projet. »

Le projet a bénéficié du soutien moral et de l’appui technique de la Banque mondiale, qui a publié une étude de faisabilité, mais jusqu'à présent, aucun financement n'a été prévu pour le projet et il est encore difficile de savoir qui va payer pour cette infrastructure.

La Jordanie a déclaré que pour le projet de construction du canal, elle tentait d'obtenir le financement de pays « voisins et amis ». « Sauver la mer Morte incombe à la communauté internationale, pas seulement à la Jordanie », a déclaré à IRIN M. Zoubi.

Selon le bureau de la Banque mondiale en Jordanie, « la Jordanie peut bénéficier des prêts et des instruments financiers de la Banque mondiale, mais n'a demandé aucune assistance financière de leur part pour le [projet] mer Morte-mer Rouge. »

L’impact sur l’environnement


En plus de fournir une source d'eau douce dans un pays pauvre en eau, le projet de canal vise à réhabiliter la mer Morte, qui recule de plus d’un mètre par an.

« L’écosystème de la région de la mer Morte est unique - les plantes, les oiseaux, les insectes, et les micro-organismes doivent être protégés. En outre, l'extraction de minéraux [pour les produits de beauté] est très importante pour la Jordanie et doit être maintenue », a déclaré M. Dababseh.

Cependant, Valerie York, experte en eau et consultante internationale, fait valoir que « les quantités d'eau et de saumure acheminées vers la mer Morte ne représenteraient qu’une fraction du montant requis pour compenser le déclin annuel des niveaux de la mer Morte."

« De plus, un tel lien entre la mer Rouge et la mer Morte risque de provoquer une catastrophe environnementale », a-t-elle ajouté.

Citant l'étude de faisabilité de la Banque mondiale, Mme York a déclaré à IRIN lors d’un entretien téléphonique que le mélange des eaux des deux mers (soit l’introduction de la saumure dans la mer Morte) « pourrait provoquer une réaction chimique favorisant l’apparition de gypse et d’algues. »

Le mois dernier, le ministère de l'Eau et de l'Irrigation a publié un communiqué de mise en garde dans lequel il fait part de ses préoccupations concernant l’approvisionnement en eau potable de la population cet été, alors que le pays n’a enregistré que 31,3 pour cent de ses précipitations annuelles moyennes à long terme cet hiver (saison des pluies), laissant les niveaux des barrages à 43 pour cent de leur capacité.

« Avec peu de ressources supplémentaires dans le pays pouvant être développées pour réduire l'écart, les Jordaniens pourraient faire face à une pénurie totale d’eau avec seulement 90 m3 par habitant et par an d'ici à 2025 » ,  a signalé Mme York dans un document de travail.

Mme York et de nombreux écologistes plaident pour une solution alternative aux problèmes d'eau de la Jordanie : un partage régional des ressources en eau plus équitable et une meilleure utilisation des ressources existantes. De nombreux experts craignent que le projet de canal ne fournisse pas assez d'eau, et qu’il faille des années pour le terminer, alors que la crise de l'eau continuera de s'aggraver en Jordanie.

Grave pénurie

Occupant au mieux la quatrième place dans la liste des pays aux ressources limitées en eau, la Jordanie dispose d'un approvisionnement annuel par habitant de 145 m3, un chiffre en baisse comparé à celui de 1946 (360 m3), soit deux ans avant que la Jordanie accueille une grande partie des 700 000 Palestiniens ayant fui la guerre en 1948.

« Avec [ce projet], nous allons résoudre les problèmes de la Jordanie pour les 30 prochaines années au moins. »
Les eaux souterraines, qui représentent 54 pour cent de l'approvisionnement total en eau, ne sont pas gérées de façon durable en raison de « la croissance de la population et l'expansion de l'agriculture », selon le document sur la stratégie gouvernementale de l’eau 2010-2022. Les experts de l'eau annoncent qu’en Jordanie, les sources d'eaux souterraines sont surexploitées jusqu'à 200 pour cent au-delà du niveau d’exploitation sans risque.

« Dix des 12 sources d'eau souterraine en Jordanie sont confrontées à la surexploitation, parfois deux fois supérieure à leur taux de réalimentation », a déclaré Atef Kharabsheh du Centre international de recherche sur l'eau, l'environnement et l'énergie à l'Université appliquée d’Al-Balqaa.

« Cette situation est alarmante alors même que la population continue de croître », a-t-il dit.

La situation sur le sol n’est pas meilleure : la Jordanie ne bénéficie que d’un accès limité aux eaux de surface. Le pays est soumis aux accords transfrontaliers pour la gestion de l’eau. La Jordanie a longtemps accusé Israël de pompage excessif des eaux du Jourdain, aujourd’hui très polluées, et a également indiqué que la Syrie voisine ne respectait pas un accord de 1987 sur le partage de la rivière Yarmouk.

« La Syrie a construit plus de 47 barrages sur la rivière Yarmouk, qui ont empêché la Jordanie d’y accéder », a déclaré M. Dababseh.

Des pressions liées à l’accueil des réfugiés

Depuis le début de la crise syrienne, la Jordanie a reçu plus de 1,3 million de Syriens. Plus de 600 000 d'entre eux sont inscrits comme réfugiés auprès du Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR).

Cette situation exerce une énorme pression sur les ressources en eau limitées du pays. Le Fonds des Nations Unies pour l'enfance (UNICEF) estime que dans le camp Zaatari, où vivent 92 000 Syriens, plus d'un million de litres d'eau est consommé chaque jour.

Des retards dans l’approvisionnement voire des coupures d’eau pour les Jordaniens ont entraîné des protestations et des émeutes, en particulier dans les provinces du nord, où plus de 80 pour cent des Syriens résident dans des communautés d'accueil.

Pour certains Jordaniens, acheter de l’eau est même devenu « impossible ». « Nous demandons aux camions de s’arrêter et de nous vendre de l'eau, mais ils poursuivent leur route vers le camp [Zaatari] », a déclaré Ahmad Maseed, un habitant de la ville de Mafraq en Jordanie.

« La situation n’était pas aussi terrible il y a deux ans, » a-t-il ajouté.

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This article was produced by IRIN News while it was part of the United Nations Office for the Coordination of Humanitarian Affairs. Please send queries on copyright or liability to the UN. For more information: https://shop.un.org/rights-permissions

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