Dans les jours qui ont suivi le typhon, les rues étaient jonchées de cadavres. Les chiens erraient, se nourrissant de chair humaine. Les résidents frissonnent encore et se couvrent les yeux lorsqu'ils repensent aux horreurs qu'ils ont vues. La plupart des infrastructures ayant été détruites ou endommagées, les autorités locales et les survivants ont eu beaucoup de difficulté à répondre aux besoins des habitants de la région dévastée. Un psychiatre du gouvernement a parcouru chaque jour 10 km à pied - puis à vélo lorsque les routes sont devenues praticables - pour traiter les patients capables de se rendre au Centre médical régional des Visayas orientales.
Les eaux de pluie ont dû être pompées pour assécher les lieux de sépulture et empêcher les cadavres, placés dans des sacs, de flotter. Deux ministères gouvernementaux ont tenté d'identifier et de localiser les besoins afin de permettre aux survivants d'enterrer tous les corps, beaucoup plus nombreux que ce à quoi on s'attendait, a dit à IRIN le maire de Tacloban, Alfred Romualdez, le 5 janvier, lors de la deuxième journée d'inhumations. Jusqu'à présent, quelque 1 400 corps récupérés dans la ville n'ont pas été réclamés.
« Nous nous attendions à récupérer une vingtaine de corps par jour jusqu'à Noël [six semaines après le passage du typhon], mais nous en avons trouvé entre 70 et 80. Et nous continuons d'en récupérer », a-t-il dit.
Dans un premier temps, les corps des victimes, récupérés jusqu'à une semaine après le passage du typhon à certains endroits, ont été enterrés n'importe comment dans des fosses communes. Certains ont été examinés, étiquetés et enregistrés ; d'autres non.
« Nous sommes partis après cinq jours parce que nous ne pouvions plus supporter la puanteur des cadavres », a dit Maria Portia Garcia, qui habite le village d'Anibong, à 12 km de Tacloban. Sa sour est décédée lorsqu'un bateau a heurté la maison où elle avait trouvé refuge, à quelques centaines de mètres du rivage. Elle a été enterrée dans une fosse commune à San Isidro, une communauté située en périphérie de Tacloban, deux semaines après le passage du typhon.
Son corps fait partie des quelques centaines de cadavres qui ont été « traités » - comme disent les experts médico-légaux - et inhumés temporairement sur une parcelle de sept hectares située dans un cimetière voisin, dans le village de Basper, et acheté par le gouvernement local. Le traitement des dépouilles consiste à les étiqueter, à prendre les empreintes digitales et des photos du mort et, lorsque cela est possible, à récolter des échantillons d'ADN. L'information est analysée à la suite de la collecte d'échantillons de référence auprès de proches parents, ce qui, dépendant du nombre de victimes à traiter, peut parfois prendre des mois. Les cadavres sont exhumés plus tard pour confirmer l'identification.
« Nous n'avons pas vu sa dépouille lorsqu'elle a été tirée [des décombres], mais nous savons qu'elle est enterrée et cela nous apporte un certain soulagement », a dit Mme Garcia.
Maintenant seulement
Le ministère philippin de la Santé (Department of Health, DOH) met actuellement en ouvre une politique nationale en matière de gestion des dépouilles et des disparus lors de situations d'urgence ou de catastrophes.
Le Bureau national d'enquête (NBI) du ministère de la Justice des Philippines utilise un protocole développé par Interpol, l'organisation internationale de police, et appelé « identification des victimes de catastrophes » (IVC). Cette méthode emprunte aux sciences médico-légales utilisées dans les enquêtes criminelles.
Tandis que les responsables philippins tentaient de répondre aux besoins des vivants et des morts, certains se sont plaints que l'identification des victimes coûtait trop cher et que, pour les populations en deuil, elle exigeait trop de temps.
L'Organisation mondiale de la santé (OMS) et le DOH ont travaillé en collaboration avec l'expert médico-légal international Stephen Cordner pour mettre en ouvre la méthode rapide d'IVC développée par l'OMS et le Comité international de la Croix-Rouge (CICR). Cette méthode ressemble à celle d'Interpol, mais elle laisse de côté les prélèvements immédiats d'ADN.
« Dans les contextes de pertes humaines massives comme celui que nous avons connu ici, il est difficile de procéder à une identification complète dans les délais nécessaires. Avec l'information obtenue [en utilisant la méthode rapide d'IVC], nous pouvons identifier environ 50 pour cent des corps », a dit Julie Hall, représentante de l'OMS aux Philippines.
Antonio Vertido, le principal responsable médico-légal du NBI, a justifié la lenteur du gouvernement dans ces termes : « Nous ne pouvons pas écourter le processus parce qu'il suit le protocole international... Nous voulons nous aussi l'écourter - car nous sommes fatigués -, mais c'est impossible », a-t-il dit à IRIN alors qu'il supervisait une récente inhumation collective.
Selon Helena Ras, présidente du comité directeur d'Interpol en matière d'IVC, les protocoles d'identification de l'agence « ne visent pas seulement à identifier correctement les victimes, mais aussi à s'assurer que la procédure régulière est appliquée afin de garantir le respect des exigences légales nationales - l'émission d'un certificat de décès, par exemple - et d'éviter les disputes potentielles à l'avenir ».
Centralisation du processus décisionnel
Selon Janette Garin, sous-secrétaire à la Santé, le problème n'est pas seulement d'ordre médico-légal. « Les Philippines ont déjà une politique d'identification des cadavres utilisant des tests d'ADN. Or, dans une situation comme celle-ci, quand il faut gérer des milliers de dépouilles, [la mise en ouvre] est difficile et prend du temps. Les gens veulent généralement tourner la page, mais nous devons aussi répondre aux demandes des familles qui souhaitent procéder à un test d'ADN pour obtenir une identification positive/confirmative. »
Mme Garin a appelé à la création d'un organe semblable à l'Agence fédérale de gestion des urgences (Federal Emergency Management Agency, FEMA), aux États-Unis, pour faciliter la prise de décision en cas de catastrophes. En décembre dernier, le président philippin a confié à l'ancien sénateur Panfilo Lacson la tâche de superviser et de coordonner les efforts des agences gouvernementales impliquées dans le processus de réhabilitation, ainsi que de gérer les dépenses liées au passage du typhon. M. Lacson a fait écho à l'appel de Mme Garin en faveur d'une centralisation du processus décisionnel à la suite de catastrophes.
« Pour les gens d'ici comme d'ailleurs, la façon dont une dépouille est traitée et enterrée est très importante », a dit Lynne Jones, une conseillère en santé mentale d'International Medical Corps (IMC), depuis les Philippines. Mme Jones a participé à la rédaction des directives en matière de santé mentale pour le Comité permanent inter-agence (IASC, en anglais), un organe qui a pour mandat de coordonner les efforts des organisations humanitaires internationales et des agences des Nations Unies.
« Ce que les survivants recherchent, c'est la reconnaissance de l'importance et de l'individualité de leur perte. Ils veulent que leur perte importe », a dit Mme Jones. « Un enterrement donne une importance individuelle à la perte vécue par une personne et l'aide à passer à autre chose. »
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