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Les raisons de la présence militaire dans la vallée pakistanaise de Swat

Pakistan soldiers passing out toys and shoes delivered by U.S. Army 16th Combat Aviation Brigade for flood relief in Swat Valley, Pakistan (November 24, 2010) U.S. Army/Sgt. Jason Bushong
Pakistan soldiers hand out toys and shoes during flood relief operations in Swat
Plus de quatre ans après l'offensive majeure lancée par l'armée pakistanaise contre des militants islamistes dans la vallée de Swat, près de la frontière afghane, la sécurité n'est toujours pas revenue dans ce district montagneux, autrefois une destination touristique importante.

Annoncé pour le mois de septembre, le retrait des troupes a été suspendu le 15 septembre, après que le plus haut responsable militaire de l'armée pakistanaise a été tué dans l'explosion d'un engin explosif improvisé (EEI) dans le district de Swat, situé dans la province de Khyber Pakhtunkhwa. L'offensive de 2009 a provoqué une crise humanitaire majeure qui a entraîné le déplacement de plus de 2,5 millions de personnes.

« L'armée est encore là, car le leadership des groupes [militants] n'a pas été éliminé », a dit à IRIN un officier de haut rang qui a choisi de conserver l'anonymat. « Ils [les leaders des militants de Swat] sont en Afghanistan, ils attendent de revenir ».

Si bon nombre d'habitants espèrent que l'armée ne quittera pas tout de suite la région, d'autres, comme le gouvernement nouvellement élu de la province de Khyber Pakhtunkhwa, seraient favorables à un retrait progressif des troupes et au retour du pouvoir aux civils.

En mai 2009, des milliers de soldats sont venus mettre fin à une offensive de contre-insurrection contre les forces dirigées par Maulana Fazlullah, militant local qui s'est allié aux talibans pakistanais et qui a mené campagne pour une application stricte de la loi islamique.

Une division entière est encore stationnée dans le district de Swat. Des soldats de l'armée et des Frontier Corps tiennent les postes de contrôle ; d'autres sont postés toutes les quelques centaines de mètres dans les rues principales des villes comme Mingora.

L'armée occupe les hauteurs des montagnes entourant la vallée et les toits des grands bâtiments des zones urbaines. Entourés de de fils barbelés concertina, les logements et les zones commerciales situés à proximité des postes de contrôle sont bien souvent utilisés par l'armée.

Le musée de Swat - qui abritait une importante collection d'objets anciens de la vallée - a été sévèrement endommagé par les talibans en 2009. Sa situation, à proximité des bureaux administratifs de la capitale du district, Saidu Sharif, en fait un lieu idéal pour l'armée, qui occupe encore le site.

Les troupes stationnées dans la ville de Kanju, sur l'autre berge de la rivière Swat, occupent une université publique pour filles. À quelques kilomètres de là, des soldats sont hébergés dans le principal aéroport de la région, où les touristes arrivaient chaque jour depuis Islamabad.

Les ONG ont travaillé avec l'armée

Après le retour des déplacés en 2009, plusieurs centaines d'organisations non gouvernementales (ONG) ont lancé des projets dans le district de Swat. Bon nombre d'entre elles ont choisi de travailler directement avec l'armée plutôt qu'avec le gouvernement provincial à cause de la corruption, selon Muhammad Amir Rana, directeur du 'Pakistan Institute for Peace Studies', un groupe de réflexion basé à Islamabad. Mais depuis l'arrivée du nouveau gouvernement provincial, et dans le contexte du projet de retrait de l'armée, les attitudes ont changé.

« Le retrait [de Swat] était demandé », dit M. Rana, « par les partenaires du développement et par la population locale également. Il est très important que le gouvernement transfère le pouvoir aux civils ».

Le parti 'Pakistan Tehrik-e-Insaaf', dirigé par l'ancien capitaine de l'équipe de criquet du Pakistan Imran Khan, a remporté une victoire importante lors des élections générales provinciales de mai. Son programme de campagne prévoyait notamment le retrait progressif de l'armée du district de Swat.

M. Rana pense que le dirigeant taliban Maulana Fazlullah ne pourra pas reprendre le contrôle de la vallée, même en cas de retrait de l'armée. M. Fazlullah se trouverait désormais dans la province de Kunar, en Afghanistan. « L'armée s'est cassée le dos et la population locale ... ne lui laissera plus la possibilité d'agir », a dit M. Rana. Il reconnait cependant que les talibans pourraient facilement lancer des attaques dans la région.

C'est pour cette raison que certains habitants craignent le retrait de l'armée. « Tant que l'armée ne sera pas partie, nous ne saurons pas si la sécurité existe, n'est-ce pas ? », a dit à IRIN Ali, un vendeur de sandwichs. « Je suis assis ici et l'armée ne me dérange pas. Grâce à leur présence, les gens comme moi peuvent poursuivre leurs activités habituelles ».

Entretemps, l'armée a pris racine dans la région. Il est notamment question d'établir un « camp » non loin de Mingora pour accueillir les officiers et leurs familles.

Insécurité

La dernière attaque massive subie par le Swat eu lieu en janvier : une bombe ciblant des membres du Tablighi Jamaat - un mouvement réformiste islamique - rassemblés dans une mosquée de Mingora a fait 22 victimes.

Les talibans ont également conduit des assassinats ciblés contre des civils soupçonnés d'avoir coopéré avec l'armée. Le 1er septembre, un membre d'un Comité Amn (défense) - mis en place pour permettre aux soldats de créer des liens avec les civils - a été tué par balle à Matta. Le lendemain, des hommes armés ont tué un prêcheur du Tablighi Jamaat dans une mosquée de la région de Bahrain, dans le district de Swat.

Le 5 octobre, deux membres du Comité Amn ont été tués à Charbagh. « Chaque mois, un ou deux [membres du comité] sont tués par des talibans », a dit à IRIN Haroon Siraj, un journaliste pakistanais basé à Mingora.


« Il est évident que les actes terroristes se poursuivent », a dit à IRIN l'officier de haut rang du district de Swat, « mais il y en a moins que dans le reste du pays [où dans certains cas] des centaines de personnes sont tuées chaque jour ».

Mujeedullah Khan marche en boitant depuis qu'il a été blessé par un obus de mortier tiré par l'armée pakistanaise en 2008 sur sa maison, située dans le village de Kuza Bandai, au nord de Mingora.

Son frère, Sher Muhammad Khan, critiquait ouvertement les talibans. Il a été tué par des hommes armés en 2010. « Je me souviens avoir vu des talibans traîner des villageois que je connaissais dans la rue le matin. Le soir, des hommes revenaient avec leur tête [portées par les cheveux], une dans chaque main », a dit à IRIN M. Mujeedullah Khan. « Il est clair que l'armée a amené la sécurité - on ne voit [plus] de talibans comme ça ».

Cependant, de nombreux rapports font état de la disparition de civils - certains estiment que leur nombre s'élève à 4 000 - qui auraient été arrêtés par l'armée, qui les soupçonnait d'être des militants ou des sympathisants des militants.

« Chaque jour, des femmes, des enfants viennent à notre `hujra' [audience publique] pour nous demander de les aider à retrouver leurs hommes », a dit à IRIN M. Khan. Bon nombre de familles disent que leurs proches disparus ont été arrêtés sur la base de fausses accusations ou ont été fouillés par des membres du comité Amn pour régler des comptes personnels.

Passer à l'action

L'armée reste dans le Swat pour des questions de sécurité et d'autres raisons pratiques. La vallée a été confronté à une série d'urgences : en 2005, un grave tremblement de terre a fait plus de 400 morts dans la région du Cachemire, dans le district de Swat ; en 2007, une insurrection a éclaté et elle se poursuit encore aujourd'hui ; en 2010, la vallée a dû faire face à de graves inondations ; et depuis quelques mois, on assiste à une flambée épidémique de fièvre dengue.

L'armée - désireuse de gagner le soutien de la population locale dans sa lutte contre les militants - a contribué à combler les lacunes d'une administration civile généralement inefficace, indiquent les spécialistes, avec la mise en ouvre de divers projets, comme la construction de dizaines de ponts temporaires.

« Après les inondations de 2010, nous avons eu besoin de l'armée », a dit à IRIN Zahid Khan, un travailleur humanitaire. « Elle était [déjà] ici et elle est passée à l'action ».

uf/jj/cb-mg/amz

La vie à Mingora
À Mingora, la plus grande ville du district de Swat, quelques magasins de musique et de vidéo situés près de la Place verte ont rouvert leurs portes. Les habitants font la queue, clé USB en main, pour copier les chansons et clips vidéo proposés dans la collection du propriétaire du magasin. Le stand voisin propose des centaines de films piratés, gravés sur des disques compacts. « Nous n'avons plus de problèmes avec les talibans », a dit à IRIN ce propriétaire mal à l'aise, qui a demandé à garder l'anonymat.

Sous le régime taliban, qui a été de courte durée, la place a été rebaptisée « Place sanglante » : c'est là que les militants exposaient les têtes coupées et les corps des personnes assassinées. Outre les assassins et les voleurs, les militants prenaient pour cible les personnes qui vendaient de la musique et des films importés, jugés « indécents ».

Des centaines de soldats et des milliers de militants ont trouvé la mort lors des combats de 2009. Il est difficile d'établir le nombre exact de victimes civiles - les journalistes n'ont pas eu accès à la région pendant la quasi-totalité de l'opération militaire. Mais les groupes de défense des droits de l'homme ont recensé des centaines de cas d'exécutions sommaires, de détentions illégales et de punitions collectives. L'armée a démenti avoir commis de tels actes.

M. Anaitullah est propriétaire d'un magasin de cadeaux depuis 18 ans. « Les talibans étaient plus forts dans le Nord », a-t-il dit à IRIN ; « ils ont fini par arriver à Mingora et ils ne sont restés que quelques jours, puis l'opération [militaire] a débuté ».

Son magasin est couvert d'étagères chargées de châles confectionnés à Islampur, un village situé non loin de là. L'une des étagères présente des drapeaux de pays comme le Canada, les États-Unis et l'Iran - avant la guerre, la vallée de Swat attirait les touristes étrangers ; 30 à 40 d'entre eux entraient dans le magasin de M. Anaitullah chaque jour.

« Ils [les talibans] n'ont plus de soutien maintenant », a dit M. Anaitullah. La quasi-totalité des habitants de Mingora, qui en compte 200 000, a quitté la ville pendant l'opération militaire. M. Anaitullah est l'un des 20 000 habitants qui sont restés. Il regrette sa décision - il n'a pas pu quitter son domicile pendant plusieurs semaines en raison d'un couvre-feu imposé par l'armée.

Selon le gouvernement provincial, environ 11 755 logements ont été entièrement détruits et 11 738 autres logements ont été partiellement détruits pendant le conflit de 2009.

Dans le cadre d'un programme mis en ouvre par le gouvernement, les propriétaires des logements partiellement détruits devaient recevoir 2 000 dollars et les propriétaires des logements entièrement détruits devaient recevoir 5 000 dollars. Le gouvernement indique que 87 pour cent des propriétaires ont été dédommagés, mais certains habitants indiquent qu'ils n'ont toujours rien reçu.

M. Anaitullah souhaiterait que l'armée reste dans le Swat, mais il aimerait aussi qu'elle lève les restrictions imposées aux étrangers, car elles les empêchent de visiter la région. Les visiteurs étrangers doivent encore obtenir un certificat de non objection (CNO) délivré par les autorités - ce qui entrave le travail humanitaire et freine le tourisme, et un nombre croissant d'organisations non gouvernementales (ONG) se sont plaintes, indiquant que la situation sécuritaire est suffisamment stable pour que les restrictions soient levées.

« Les CNO nous posent régulièrement des problèmes », a dit Zahid Khan, qui travaille pour le Programme d'aide rurale de la région de Sarhad, une organisation pakistanaise qui construit des infrastructures et des réseaux de soutien dans les zones rurales de Swat, au nord de Mingora - où les talibans avaient le plus de partisans.




This article was produced by IRIN News while it was part of the United Nations Office for the Coordination of Humanitarian Affairs. Please send queries on copyright or liability to the UN. For more information: https://shop.un.org/rights-permissions

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