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Le Soudan du Sud espère relancer son économie grâce à ses ex-soldats

Agricultural tools used at the Mapel training facility for former combatants in South Sudan’s Western Bahr El-Ghazal State Guy Oliver/IRIN
Des outils pour l’agriculture devant le centre de formation pour anciens combattants de Mapel
L’ancien prisonnier de guerre blessé au combat Kuot Manyok, 33 ans, troque les compétences militaires acquises au service de l’Armée populaire de libération du Soudan (SPLA) pour exercer le métier de soudeur.

Il fait partie du premier groupe de 290 anciens combattants de l’APLS, incluant 18 femmes, qui ont récemment obtenu leur diplôme de l’établissement transitionnel (transitional facility, TF) de Mapel, dans l’État sud-soudanais du Bahr El-Ghazal de l’Ouest, dans le cadre de la phase pilote du programme national de Désarmement, Démobilisation et Réintégration (DDR). Le programme en question, conçu pour stimuler l’économie moribonde du pays à la suite d’une guerre civile intermittente de près d’un demi-siècle, cible des centaines de milliers d’anciens combattants.

M. Manyok a reçu une balle dans le genou en 2002. Il a ensuite été capturé et interné dans la capitale soudanaise, Khartoum, jusqu’à la signature, en 2005, de l’Accord de paix global (Comprehensive Peace Agreement, CPA) entre le Soudan et ce qui est maintenant le Soudan du Sud. Sa claudication est à peine visible. Il croit que ce ne sera pas un handicap pour son nouveau métier, qu’il prévoit d’exercer à Kanajak, sa ville natale, dans l’État du Bahr El-Ghazal du Nord. « Je peux tout faire maintenant », a-t-il dit à IRIN. « Je vais enseigner à mes fils à souder et envoyer mes filles à l’école. »

Il y a peut-être trois ou quatre soudeurs à Kanajak, a-t-il dit. « Je vais d’abord fabriquer des lits pour ma famille [deux femmes et cinq enfants] et pour la vente, ainsi qu’une table et des chaises. Je ne sais pas trop combien je vais pouvoir gagner par mois, car je n’ai pas l’équipement nécessaire… je vais peut-être essayer de travailler avec un autre soudeur pour commencer. »

M. Manyok n’a pas les moyens financiers pour se payer les équipements nécessaires, dont il estime le coût à environ 15 000 livres sud-soudanaises (SSP) (3 570 dollars). Il devrait notamment investir dans l’achat d’une génératrice, car il n’y a pas de réseau électrique national. Il continuera de recevoir son salaire mensuel de 850 SSP (202 dollars) de l’APLS pendant un an pour faciliter sa transition à la vie civile, mais il n’a pas fini de payer la dot de 60 têtes de bétail pour chacune de ses femmes et il doit acquitter un arriéré correspondant à l’équivalent de 25 vaches.

À 600 SSP (142 dollars) la vache, c’est l’équivalent de l’équipement de soudure qu’il ne peut s’offrir. La commission nationale responsable de la mise en oeuvre du programme de DDR s’est pourtant engagée à fournir aux artisans formés les équipements nécessaires pour qu’ils puissent exercer leurs nouveaux métiers.

Le consensus est que la première vague de DDR (connue sous le nom de CPA-DDR), qui a commencé quatre ans seulement après la signature de l’accord de paix, a échoué du fait du manque de rigueur du processus de vérification – qui a permis à des non-combattants de bénéficier du programme – et du fait que 9 000 des 12 000 démobilisés ont bénéficié des programme de réintégration de base et n’ont reçu aucune formation professionnelle.

Quelque 180 000 combattants ont été ciblés par le CPA-DDR, ou 90 000 de chacun des deux pays créés en 2011. Dans un compte-rendu publié en juillet 2013, Small Arms Survey (SAS), une organisation basée à Genève, a indiqué que le Soudan et le Soudan du Sud « n’avaient traité qu’une fraction des [90 000] cas qu’ils avaient prévu de traiter et que la situation politique et sécuritaire qui prévalait pendant la période du CPA signifiait qu’aucune des armées n’avait la volonté ou l’intention de réduire leurs forces. Le programme, qui a eu un coût total de 117 millions de dollars, a eu peu, voire aucun bénéfice en termes de sécurité humaine. »

Laissés pour compte

Dut Deng Ayuel, 60 ans, a rejoint les Forces armées soudanaises en 1975 et fait défection pour se joindre à l’APLS en 1983, quand la guerre civile a repris après une interruption de huit ans. Il s’est porté volontaire pour le programme CPA-DDR, « parce que j’avais entendu dire qu’on vous offrait une maison. Je commençais à me faire vieux et je voulais prendre soin de ma famille après la mort de ma femme », a-t-il dit à IRIN. Son aîné a 19 ans et son cadet, 7 ans.

M. Ayuel a reçu la formation standard de deux semaines pour apprendre à gérer une petite entreprise et l’équivalent de 1 250 SSP (297 dollars) en dinars. Il vit à Aweil, dans l’État du Bahr El-Ghazal du Nord. « Je vends du charbon de bois pour survivre. Je gagne environ 10 à 20 SSP (2,38 à 4,76 dollars) par jour. » Son salaire de premier lieutenant au sein de l’APLS était de 1 200 SSP (285 dollars) par mois.

Arek Akech Majak, 37 ans, était l’une des 31 femmes de l’unité de l’APLS – une unité forte de 700 soldats – stationnée dans l’État sud-soudanais de l’Équatoria-Oriental pour lutter contre l’Armée de résistance du Seigneur (LRA). Elle a rapidement épuisé la somme de 1 250 SSP (297 dollars) qui lui avait été offerte dans le cadre du programme de DDR lorsque sa petite entreprise s’est effondrée. « En tant que soldat, on est entraîné à tuer, comme ils [les membres de la LRA] ont tué nos enfants. Nous [les femmes] n’étions pas considérées comme braves, mais nous avons fait nos preuves et les hommes nous voient désormais différemment. »

Mme Majak a décidé de participer au programme CPA-DDR quand l’APLS a dit aux combattantes que, puisque la guerre était terminée, elles devaient retourner dans leurs familles respectives et s’occuper des enfants. Elle s’occupe maintenant de ses cinq enfants et son mari, un policier, « est maintenant responsable : c’est lui qui sert de pourvoyeur. »

Une économie chancelante

Le Soudan du Sud, qui compte environ 8 millions d’habitants, est le 42e plus grand pays au monde. Lorsqu’il est devenu un État-nation, en 2011, il a hérité d’une économie moribonde, d’infrastructures insuffisantes, voire absentes, et d’une dépendance presque totale envers les revenus pétroliers pour les dépenses gouvernementales.

La plupart des routes sont impraticables pendant la saison des pluies. L’une des seules pouvant être empruntées en tout temps est l’autoroute Juba-Nimule, un axe de 192 km qui relie la capitale, Juba, et l’Ouganda voisin, et qui a été ouvert à la circulation en septembre 2012.

Le Centre international de Bonn pour la conversion (BICC, selon son sigle anglais) a créé un questionnaire de 10 pages sur des thèmes allant du niveau d’éducation aux coûts de gestion des petites entreprises afin de réaliser une enquête sur la situation économique pour le programme pilote de DDR. L’enquête offre un aperçu de l’état des économies locales et de l’environnement commercial auquel les anciens combattants peuvent s’attendre.


La section du questionnaire consacrée aux commentaires reflète les préoccupations les plus courantes des propriétaires de petites entreprises et des consommateurs : « Oui, tout ce qui est sur le marché est trop cher. Les taxes sont élevées. L’électricité et l’eau potable font défaut. Le monde des affaires fonctionne au ralenti. Les routes sont mauvaises. »

Mary Musa Mabor, 31 ans, est propriétaire du Ma Ma Mary Restaurant, l’un des quelque 20 restaurants de Kuajok, dans l’État de Warrap. Il lui en a coûté 27 000 SSP (6 428 dollars) pour démarrer son entreprise, les articles les plus onéreux étant le réfrigérateur (833 dollars) et la génératrice (714 dollars). Le restaurant emploie 11 personnes. Les trois chefs gagnent chacun 95 dollars par mois, tandis que les six serveurs, le concierge et le porteur d’eau empochent chacun 71 dollars par mois.

Manque de compétences

Les denrées alimentaires importées depuis les pays voisins abondent sur les étals des marchés locaux et les artisans ougandais et kényans affluent au Soudan du Sud pour y trouver du travail, a dit à IRIN Majur Mayor Machar, vice-président de la Commission nationale pour le désarmement, la démobilisation et la réintégration (NDDRC, selon son sigle anglais).

« Ils [les anciens combattants] deviendront des contribuables et devront soutenir leurs familles. Ils créeront une économie locale », a-t-il dit. « Ils [les Kényans et les Ougandais] viennent ici et travaillent dans la construction, la soudure, la charpenterie, la plomberie. Ils repartent ensuite dans leur pays avec l’argent qu’ils ont gagné et ne nous laissent rien. »

En août 2013, le gouvernement a interdit aux étrangers de conduire des motos-taxis, ou Boda-Bodas, dans certains États, affectant du même coup les moyens de subsistance de centaines d’Ougandais qui avaient émigré au pays pour fournir ce service. L’interdiction a provoqué des tensions contre les communautés sud-soudanaises vivant en Ouganda.

M. Machar a dit que la réintégration de quelque 150 000 anciens combattants – 80 000 de l’APLS et 70 000 des forces de sécurité (des policiers, des pompiers et des employés des services de prison) –, prévue d’ici 2020, visait à produire une main-d’oeuvre locale et à contrer l’un des effets de la guerre, c’est-à-dire le manque de compétences professionnelles.

« Il faut payer pour la paix et la sécurité, et il faut aussi récompenser ces personnes [les anciens combattants]. Ce ne sont pas des gens simples. Il faut faire preuve de considération envers eux, sans quoi ils risquent d’être profondément blessés. Nous investissons dans ces personnes pour deux raisons : ils sont le moteur du développement futur du pays et nous permettent de libérer des ressources pour la création éventuelle d’une armée professionnelle », a dit M. Machar.

« C’est un peu comme aller chercher de l’eau avec un jerrican troué. Il est vide quand vous arrivez finalement à la maison. C’est ce qui se passe dans notre pays en ce moment. Les revenus du pétrole vont directement [dans les poches des travailleurs étrangers]. »

Le manque de financement disponible pour la formation des anciens combattants compromet toujours la réussite de leur intégration. M. Machar a dit que le gouvernement allemand avait contribué à hauteur de 2,76 millions de dollars à la réintégration du premier groupe de combattants démobilisés et que d’autres gouvernements et bailleurs de fonds avaient été invités à verser des fonds supplémentaires pour soutenir la réintégration des 150 000 anciens combattants.

Le gouvernement s’est engagé à débourser les salaires et les coûts de transport des anciens combattants pendant un an. D’autres bailleurs de fonds, comme la Mission des Nations Unies au Soudan du Sud (UNMISS), ont financé la construction de l’établissement de formation de Mapel et fournissent les fonds nécessaires au développement de deux autres sites de formation à Pariak, dans l’État du Jonglei, et à Torit, dans l’État de l’Équatoria-Oriental.

Il n’y avait pas encore eu d’évaluation des coûts, selon M. Machar, mais on estime qu’il en coûte entre 1 500 et 2 000 dollars pour former et équiper chacun des anciens combattants. La deuxième vague de DDR a cependant déjà fait l’objet de compressions importantes par rapport au projet initial. Celui-ci prévoyait en effet la création de 10 centres de formation, un pour chaque État, et le programme pilote ciblait 4 500 anciens combattants. Ce nombre a été réduit à 500 pour le centre de Mapel, mais ils n’étaient que 290 à compléter la formation le 18 septembre dernier.

Chan Moses Awuol, de la NDDRC, a dit à IRIN que le coût des prestations offertes était un investissement. « De nombreux habitants n’ont pas de compétences particulières. Les gens qui font des choses productives viennent de l’extérieur du pays. Nous n’avons pas d’électriciens sud-soudanais, par exemple. Le programme peut sembler onéreux à court terme, mais, à long terme, il est avantageux pour le pays. » Il a ajouté que les allocations de réintégration pour les diplômés seraient distribuées dans les capitales des États à la fin octobre.

Une grande importance a été accordée à la présence du président Salva Kiir Mayardit à la remise des diplômes à Mapel, illustrant une volonté politique généralement absente du processus CPA-DDR. Selon le compte-rendu publié par SAS, le Soudan du Sud ne peut se permettre d’entretenir une « armée de prestataires d’allocations » de 300 000 personnes et d’y consacrer des fonds destinés au développement, en particulier à l’approche des élections de 2015. « Pour [le gouvernement], le redimensionnement de l’armée à quelque 120 000 personnes est, fondamentalement, un impératif économique. »

Coopératives familiales

Contrairement au Soudan, aride, le Soudan du Sud est verdoyant. On considère généralement que son potentiel agricole est largement inexploité. Lual Nhial Mangong, 50 ans, a choisi de suivre la formation agricole de trois mois offerte à Mapel. S’il a déjà pratiqué l’agriculture, il reconnaît toutefois que ses connaissances au sujet de la production alimentaire étaient limitées avant la formation.

M. Mangong, qui a passé 20 ans au sein de l’APLS, avait réussi à s’élever au rang de sergent et percevait un salaire mensuel de 1 030 SSP (245 dollars). Il prévoit aujourd’hui de mobiliser ses trois femmes et ses huit enfants pour créer une coopérative agricole sur les huit hectares de terres qu’il possède dans l’État de Warrap. Il souhaite aussi transmettre ses compétences à la génération suivante.

« La guerre ne va pas me manquer : on ne peut pas regretter la guerre. Mais les gens mangent et ont besoin de nourriture », a-t-il dit à IRIN. « J’ai appris comment créer une pépinière – une vraie pépinière pour produire des semences et générer des semis et des cultures commerciales. Je vais planter des tomates, des oignons et des choux, et je serai un pionnier [pour ces cultures] dans cet État. »

Marill Madol, un vétéran de l’APLS de 46 ans, a aussi comme projet de faire travailler ses 13 enfants et ses trois femmes dans l’entreprise agricole qu’il souhaite créer sur les 10 hectares de terres qu’il possède à divers endroits dans l’État de Lake. Il a dit à IRIN qu’il était surtout préoccupé par la destruction des cultures par le bétail errant – qui l’obligerait à installer des clôtures –, l’obtention des intrants agricoles et l’insécurité. « La situation va changer, mais je m’inquiète quand même du banditisme. Si je suis forcé de rester en ville, je ne peux pas pratiquer l’agriculture, car je n’ai pas d’arme à feu pour me défendre. »

go/he-gd/amz


This article was produced by IRIN News while it was part of the United Nations Office for the Coordination of Humanitarian Affairs. Please send queries on copyright or liability to the UN. For more information: https://shop.un.org/rights-permissions

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