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La leishmaniose pourrait exacerber les animosités dans les villes frontalières turques

Two-year old Asma receives the first dose of Glucantime injection in al-Nasser IDP camp in northern Syria. The girl has suffered from leishmaniasis, a skin infection spread by sandflies, for 4 months. The disease has spread since the conflict in Syria beg Polish Humanitarian Action
Rien ne distinguait ce jeune garçon aux yeux écarquillés, se tortillant sur le fauteuil du docteur en s’armant de courage pour recevoir une injection dans l’avant-bras, des hordes d’autres enfants réfugiés qui ces deux dernières années sont entrés en traînant des pieds dans la clinique du docteur Tayfur Savas, dans le sud de la Turquie, à la recherche d’un traitement contre une maladie de peau du nom de leishmaniose.

Et pourtant, les paroles de sa mère sont restées gravées dans la mémoire de M. Savas.

« Ces cicatrices sont une honte », se souvient-il qu’elle lui avait dit. « Les gens pensent qu’il est contagieux. Nos voisins ne veulent pas respirer le même air ».

« Elle a dit que les gens refusaient de s’asseoir à côté de son fils dans le bus », a-t-il dit en se remémorant les 4 lésions noires, en forme de cratère, qui parsemaient son avant-bras.

M. Savas a dit que c’est la première fois qu’il avait entendu parler de réfugiés syriens en Turquie stigmatisés parce qu’ils étaient malades, un récit édifiant sur l’urgence de s’attaquer aux maladies transmissibles des deux côtés de la frontière.

« Les problèmes de santé peuvent devenir des problèmes sociaux », a dit M. Savas à IRIN. « Nous ne voulons pas risquer d’aggraver les relations entre Turcs et réfugiés ; la situation est déjà bien assez tendue ».

L’une des maladies transmissibles les plus répandues chez les réfugiés syriens est la leishmaniose cutanée, une maladie parasitaire à transmission vectorielle qui se transmet d’homme à homme par l’intermédiaire du phlébotome, en particulier en milieu surpeuplé ou insalubre. Elle engendre de grosses plaies qui défigurent le malade à vie.

Cet été, lorsque l’Organisation mondiale de la santé (OMS) a alerté de l’effondrement imminent du système de santé syrien, elle a admis que l’hépatite, la typhoïde, le choléra et la leishmaniose se propageaient de façon croissante et généralement non maîtrisée à l’intérieur de la Syrie et chez les populations réfugiées.

Contrairement à la leishmaniose viscérale, la leishmaniose cutanée n’est généralement pas mortelle. Elle n’a pas déclenché le même état d’alerte que les autres maladies, mais « elle est extrêmement stigmatisante, et particulièrement désastreuse chez les jeunes filles qui ne trouvent plus à se marier, défigurées par les cicatrices qu’elle laisse parfois sur le visage et sur le corps », a dit Peter Hotez, doyen de l’École nationale de médecine tropicale du Baylor College of Medicine, au Texas. « Elle donne également l’impression d’être très contagieuse, et les personnes qui ne connaissent pas la maladie peuvent avoir peur des malades en voyant leurs lésions ».

Le surnom médiéval de la leishmaniose — le « diable d’Alep » — laisse entendre que cette maladie endémique à la Syrie et au Moyen-Orient depuis des siècles serait restée largement cantonnée aux régions entourant cette ville du nord de la Syrie, la deuxième plus grande du pays. « Mais c’est également une maladie étroitement liée aux migrations humaines », a dit M. Hotez. « Les réfugiés dorment à l’extérieur sans la moindre protection contre les phlébotomes, des populations qui n’ont jamais été exposées à la maladie transitent par Alep et l’accès aux soins de santé est inexistant. Tout cela crée les conditions idéales pour que le "diable d’Alep" s’établisse ».

Une étude publiée en août par l’ordre turc des médecins (TTB) a averti que les régions frontalières avaient été prises au dépourvu par la leishmaniose cet été. Les médecins ont affirmé qu’un « système d’alerte précoce avait fait défaut [au pays] » et ont souligné la nécessité de mettre en place un épandage d’insecticide plus systématique et d’autres mesures de précaution dans le futur.

Le front contre la leishmaniose

La réponse sanitaire de la Turquie à la leishmaniose s’est traduite par le traitement de dizaines de milliers de patients dans des camps et hôpitaux publics cette année. Pourtant, ce sont les établissements de santé mal approvisionnés des villes frontalières du pays, dans lesquels exercent des médecins et infirmiers syriens, qui ont dû assumer le gros du fardeau.

« L’accès à des soins de santé gratuits est garanti pour les 200 000 personnes vivant dans les camps », a dit le porte-parole de l’unité gouvernementale de gestion des catastrophes et des urgences (AFAD).

Mais à l’extérieur des camps, les Syriens « peinent à être soignés », a dit Saban Alagöz, le secrétaire général de l’association des médecins de Gaziantep et Kilis. « Le gouvernement et les associations de médecins commencent à peine à s’attaquer au problème » a-t-il dit, en racontant en détail l’inauguration à Gaziantep cette année d’un centre de santé dédié à la leishmaniose pour les réfugiés vivant à l’extérieur des camps. Il a estimé que les médecins turcs des villes de Gaziantep et Kilis, au sud du pays, avaient soigné un petit peu moins de 10 000 cas de leishmaniose cet été.

« La leishmaniose n’a pas gagné la population turque de manière significative, mais le problème est que de nombreux Syriens n’ont toujours pas accès à des soins », a-t-il dit.

De nombreux Syriens n’ont pas les moyens de se payer les injections qui servent au traitement de la leishmaniose, et sont à la recherche de dispensaires gérés par un mélange de groupes d’aide et d’activistes syriens qui soignent les réfugiés gratuitement. En principe, les hôpitaux turcs ne font pas payer les soins d’urgence aux réfugiés enregistrés, mais ils font souvent payer les médicaments et les opérations lorsque la vie du patient n’est pas en danger.

S’exprimant dans la chaleur suffocante des pièces surpeuplées d’un appartement transformé en dispensaire, dans la poussiéreuse ville frontalière de Kilis, Hasan al-Mallouhi de l’Association médicale des expatriés syriens (SEMA) a dit que le nombre de patients atteints de leishmaniose dans son dispensaire oscille entre « 4 à dix patients par jour, même s’il arrive que ce chiffre grimpe à trente ».

Pendant 4 mois, le centre de santé géré par la SEMA a été le seul dispensateur de soins médicaux pour les près de 3 000 réfugiés qui campaient dans des tentes de fortune installées dans un parc municipal du centre-ville. « Ces gens ne peuvent même pas s’offrir de vraies tentes. Alors évidemment, ils ne peuvent pas se faire soigner à l’hôpital », a dit M. al Mallouhi. L’association a dit que ses stocks de Glucantime, le médicament le plus courant contre la leishmaniose, s’étaient maintenus à flot grâce aux dons de l’association humanitaire internationale d’aide médicale Médecins sans Frontières.

Ce mois-ci, les autorités ont évacué le campement de fortune et transféré ses habitants dans un nouveau camp non loin de la ville. « Mais notre dispensaire est encore plein tous les jours », a dit M. al Mallouhi. « Nous voyons désormais des gens vivant dans d’autres quartiers de la ville dans l’incapacité de payer le moindre soin médical, alors ils viennent pour qu’on les aide ».

Dans un centre de santé géré par l’Union des organisations syriennes de secours médical (UOSSM) dans la ville frontalière de Reyhanli, soigner la leishmaniose est devenu d’autant plus difficile que les stocks sont épuisés et que les besoins ont augmenté en Syrie.

« La colère peut exploser à tout moment de façon inattendue [...] c’est une autre raison pour laquelle nous devons prendre le contrôle de la situation »
Daher Zidan, le pharmacien en chef du centre, a dit que cette année l’UOSSM avait envoyé à l’hôpital mobile du groupe à Bab al-Hawa, juste de l’autre côté de la frontière, assez de Glucantime pour soigner plusieurs milliers de malades de la leishmaniose. Mais l’UOSSM explique ne pas disposer d’assez de médicaments pour soigner les 10 patients quotidiens qui arrivent en moyenne à Reyhanli. « Nous savons que le problème est plus urgent en Syrie, alors nous envoyons les médicaments là-bas lorsque nous en avons », a dit M. Zidan.

Parce que le Glucantime contient des toxines, il n’est pas disponible en vente libre en Turquie et selon la loi turque, les médecins syriens ne sont pas autorisés à s’en procurer. Dans un centre de santé perché au-dessus d’un garage automobile ailleurs à Reyhanli, le docteur Fatma Salah dit que ces restrictions l’ont conduite à entreprendre une démarche inhabituelle : se fournir en Glucantime auprès de pharmacies en territoire syrien.

« Maintenant [...] les stocks sont épuisés », a-t-elle dit, en faisant observer que d’aimables médecins turcs lui ont fourni de petits lots de Glucantime en complément pour l’aider à composer avec la pénurie. « Même ainsi, ces deux derniers mois nous n’avons pas pu soigner les quelque 5 patients qui se sont présentés chaque jour pour la leishmaniose. Maintenant, on essaie surtout de se fournir en analgésiques, en matériel sanitaire, des choses très basiques » a-t-elle dit.

L’Afflux de réfugiés dans des infrastructures médicales surmenées

Avec l’afflux de nouveaux réfugiés en Turquie, la pression est vouée à s’accroître sur les centres de santé syriens déjà surmenés. Les Nations Unies estiment qu’à la fin de l’année, le nombre de réfugiés habitant en Turquie atteindra le million, ce qui ne manquera pas d’exacerber la pression sur les systèmes de santé, le prix des logements et les tensions sociales. L’AFAD en accueille actuellement un peu plus de 200 000 dans des camps, et un porte-parole a dit que l’association aura des difficultés à assister les 300 000 réfugiés supplémentaires qui se trouvent déjà en Turquie mais ne vivent pas dans des camps.

« Nous travaillons à obtenir davantage de soins gratuits pour les personnes atteintes de rougeole et de leishmaniose en dehors des camps », a dit M. Alagöz, qui a néanmoins admis qu’il était hautement improbable que la fourniture en soins gratuits suffise à faire face à la demande. « À l’heure actuelle, nous essayons surtout d’appréhender l’envergure du problème ». Le gouvernement n’a pas encore pris de mesures préventives, comme la pulvérisation intradomiciliaire d’insecticide ou la distribution de moustiquaires pour lit traitées avec de l’insecticide, a-t-il ajouté.

Une étude de l’organisation caritative turque Support to Life (STL) a alerté en août qu’avec l’amenuisement des économies des familles et leur incapacité à prendre en charge leurs propres dépenses médicales, les besoins médicaux et en matériel des réfugiés urbains déjà présents en Turquie étaient également susceptibles de s’accroître exponentiellement.

Alors que la demande en soins de santé gratuits augmente chez les Syriens, de nombreux Turcs affirment ne pas savoir si les hôpitaux devraient ou non revoir leur politique de facturation des soins.

« Nous avons déjà donné assez aux réfugiés ici », a dit Selma Doganer, professeure de lycée à Antioche. Mme Doganer a suggéré que les prochaines factures devraient être prises en charge par les organisations d’aide humanitaire internationales, et non par Ankara. « Les Syriens pensent peut-être que notre premier ministre paiera pour tout. Mais nous réglons une bonne partie de l’addition ».

Si la capacité des centres de santé à soigner les maladies transmissibles des Syriens n’évolue pas avec la demande, la propagation de la maladie pourrait ajouter une nouvelle dimension à une situation déjà tendue. La plupart de ces tensions ont été attribuées aux fractures ethniques entre les réfugiés sunnites et les vastes populations de Turcs alaouites et alévis qui vivent le long de la frontière. Mais au-delà des différences sectaires, les étrangers sont souvent les premiers à être pointés du doigt en cas de problème.

M. Savas, le médecin, cite le bombardement de la ville frontalière de Reyhanli en mai dernier, qui s’est soldé par la mort de 50 personnes : « Reyhanli est une ville sunnite, mais tout à coup ils se sont mis à rejeter toute la faute de ce qui s’était passé sur les réfugiés. La colère peut exploser à tout moment de façon inattendue ».

Il a fait observer que la leishmaniose, avec ses plaies visibles qui semblent contagieuses, n’aiderait pas. « C’est une autre raison pour laquelle nous devons prendre le contrôle de la situation », a-t-il dit.

M. Hotez, le professeur d’université américain, est du même avis : « C’est l’une des maladies les plus stigmatisantes qui soient ».

Cliquez ici pour plus de témoignages IRIN sur la façon dont le manque d’accès à l’eau, à l’assainissement et à une hygiène satisfaisante menace notamment les Syriens dans toute la région.


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This article was produced by IRIN News while it was part of the United Nations Office for the Coordination of Humanitarian Affairs. Please send queries on copyright or liability to the UN. For more information: https://shop.un.org/rights-permissions

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