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Comment désarmer les rebelles philippins

Bangsamoro Islamic Armed Forces (BIAF) combatants, the armed wing of the Philippine Moro Islamic Liberation Front (MILF), near Camp Salahuddin, a fishing village in the Tarragona district of Davao Oriental province on the Philippine island of Mindanao tha Guy Oliver/IRIN
What will it take for these MILF fighters to put down their arms?
Les négociations de paix entre le gouvernement philippin et les rebelles musulmans de Mindanao visant à mettre fin à une longue insurrection progressent lentement. Selon les autorités et les analystes, le plus dur sera vraisemblablement de trouver comment désarmer les milliers d’insurgés.

Après des mois de blocage, les deux camps sont tombés d’accord en juillet sur une entente sur le partage des richesses. Cette entente donnera au Front de libération islamique moro (MILF) le pouvoir de lever des impôts et lui accordera une part « avantageuse » des gisements minéraux d’ici 2016 dans une région autonome qu’il gouvernera.

Cette entente attribue au MILF 75 pour cent de tous les revenus dérivés de l’exploitation des minéraux métallifères, la moitié de tous les revenus du gaz naturel et du pétrole et le droit de lever des impôts sur les entreprises opérant dans la région. Le MILF pourra également recevoir des financements directement des bailleurs de fonds au lieu de passer par le gouvernement central.

Selon la conseillère présidentielle pour le processus de paix, Teresita Deles, le gouvernement veut des « objectifs concrets » en matière de désarmement de la part du MILF. Le Front a mené une insurrection depuis les années 1970 qui a fait des dizaines de milliers de morts et maintenu une grande partie de la population du Sud dans la pauvreté.

Mme Deles a annoncé qu’un « organe de désarmement » était sur le point d’être constitué en accord entre les deux camps afin de déterminer le sort des armes du MILF (mitrailleuses, fusils d’assaut, grenades propulsées par fusée, armes à feu de petit calibre, armes antichar et mortiers).

L’échéancier du processus de paix prévoit que le MILF cesse d’être une force rebelle et devienne un mouvement politique qui prendra les rênes de la région autonome proposée de Bangsomoro en 2016, soit à la fin du mandat de six ans de l’actuel président Benigno Aquino.

« Il y a des décisions difficiles à prendre ici », a dit Mme Deles. « On ne veut pas que ce processus de normalisation soit un objectif sans fin et qu’ils puissent toujours recruter tout en étant en plein processus de désarmement. »

Selon Miriam Coronel-Ferrer, négociatrice en chef des pourparlers de paix, le gouvernement doit commencer par effectuer un inventaire des armes du MILF, recenser tous les combattants et déterminer comment les persuader de déposer les armes. Cela risque d’être difficile, car la plupart d’entre eux ont été élevés au combat et possèdent une arme depuis l’enfance. Forcés à la méfiance par des années d’opposition, de nombreux combattants craignent que les armes remises soient utilisées contre eux.

Le modèle de l’IRA

Selon Mme Coronel-Ferrer, l’un des modèles pris en exemple est celui de l’Irlande. L’Armée républicaine irlandaise (IRA) a signé un accord de paix en 1998 et accepté de déposer ses armes dans un entrepôt en vue de leur destruction.

Deux échéances de désarmement sont passées avant que l’IRA accepte, en 2001, une méthode de destruction de son arsenal. Ce geste a été salué et qualifié d’« historique » et de « grand pas en avant » par les dirigeants de l’époque. Quatre ans plus tard, une commission indépendante annonçait la destruction totale de l’arsenal des combattants irlandais.

Pourtant, selon Ed Quitoriano, analyste en matière de sécurité et ancien guérillero communiste de haut rang philippin qui a travaillé avec les gouvernements étrangers pour évaluer la prolifération des armes dans le sud de Mindanao, demander le désarmement du MILF est plus facile à dire qu’à faire.

La législation nationale est selon lui très tolérante en matière de possession d’armes sous prétexte que les citoyens ont le droit de se défendre et de protéger leur foyer. Toute personne âgée de 18 ans ou plus est autorisée à posséder une arme, sous réserve d’un contrôle strict.

« Pourquoi le MILF accepterait-il de déposer les armes alors que le gouvernement dit que les contribuables et les sociétés peuvent s’armer plus que de besoin ? », s’est interrogé M. Quitoriano.

Il est bien connu que les sociétés du Sud et les chefs de guerre politiques emploient des armées privées, ce qui entraîne la prolifération des armes à feu dans ce pays catholique où les musulmans sont une minorité.

« Je ne pense pas que le Népal ni Aceh, ni aucun autre modèle ne soient pertinents pour le MILF », a-t-il dit. « Il reste la possibilité d’un désarmement symbolique en échange de quelque chose ».

Népal

Conformément à un accord de paix signé en 2006 par le gouvernement népalais et les rebelles maoïstes, ces derniers ont dû remettre leurs armes qui ont été entreposées dans des conteneurs sous surveillance des Nations Unies.

En échange, le Parti communiste unifié du Népal (maoïste) a été reconnu légalement et a obtenu le droit de participer aux élections. Il a par ailleurs été convenu que la branche armée du parti — l’Armée Populaire de Libération — serait intégrée à l’armée népalaise, processus qui n’a pas encore été parachevé en 2013. Environ 9 500 combattants remplissent les conditions requises pour intégrer l’armée et le gouvernement a accepté d’en incorporer 6 500.


En 2012, l’armée nationale népalaise a pris le contrôle de sept des principaux cantonnements rebelles (et 20 bases secondaires) et s’est emparée d’environ 3 500 armes stockées dans des conteneurs sous scellé.

Small Arms Survey, un projet de recherche indépendant basé à Genève, a publié en mai 2013 un document estimant cependant qu’en s’appuyant sur d’autres expériences de désarmement et en prenant en compte le nombre de combattants on pouvait évaluer à environ 6 000 le nombre d’armes qui n’auraient jamais été remises aux Nations Unies.

Aceh

Dans la province indonésienne d’Aceh, après près de 30 ans de lutte contre le gouvernement central, les séparatistes du Mouvement pour un Aceh libre (GAM) ont signé en 2005 l’Accord d’Helsinki par lequel ils s’engageaient à remettre toutes leurs armes, leurs explosifs et leurs munitions à une mission de surveillance financée par l’Union européenne (UE).

Interrogé par IRIN sur les raisons pour lesquelles les combattants avaient déposé les armes sans que cela cause trop d’affrontements ou de dissensions, Kamaruddin Abubakar, l’ancien numéro deux de la rébellion a répondu : « Nous avions confiance en nos chefs. Lorsqu’on nous a dit de déposer les armes, nous l’avons fait. Nous étions optimistes quant à cet accord étant donnée la présence d’observateurs de l’UE ».

L’UE a financé l’envoi de 300 observateurs du processus de paix à Aceh dont la mission est arrivée à terme à l’occasion des élections locales qui se sont tenues en décembre 2006.

Les gouvernements philippin, sri lankais et thaïlandais ont récemment envoyé une délégation à Aceh pour mieux connaître le déroulement de son processus de paix et notamment du désarmement, a dit Irwansyah (qui ne porte qu’un seul nom), ancien commandant rebelle, fondateur d’un nouveau parti politique à Aceh et représentant local au sein de la mission d’observation de L’UE.

« Il était difficile pour nous de déposer les armes, car nous avions peur de nous faire arrêter », a expliqué Irwansyah. « Mais en raison du soutien international, nous l’avons quand même fait malgré nos craintes », a-t-il dit à IRIN avant d’ajouter que l’accord de paix avait été une réussite, en dépit de quelques manquements démocratiques.

Les enjeux de la réintégration

Aux Philippines, a dit M. Quitoriano, le MILF s’est fait des ennemis au cours des longues années de lutte armée. Les gouvernements précédents ont d’ailleurs autorisé des clans politiques à s’armer pour constituer une force supplémentaire contre le MILF.

Par ailleurs, la question se pose de savoir ce que vont devenir les guérilleros du MILF une fois désarmés. Selon Mme Coronel-Ferrer, une solution serait d’intégrer les membres qualifiés à une force de police qui serait chargée de la sécurité dans la région autonome. Cependant, la grande majorité des combattants n’ont jamais été scolarisés.

« Le MILF ne s’engagera pas à désarmer ses sympathisants. C’est au gouvernement de persuader ces derniers, » a dit M. Quitoriano. « Ce que veut le MILF, ce n’est pas déposer les armes, mais prendre en charge la sécurité sur le nouveau territoire. »

Le MILF bénéficie d’un fort soutien dans ses zones d’influence, notamment de la part des autorités musulmanes de communautés reculées où le mouvement rebelle a comblé l’absence de la police dans la lutte contre la délinquance.

Le MILF et le Front de libération national moro (MNLF) dont il est issu et dont il s’est séparé en 1978 sont en rébellion depuis quarante ans pour une plus grande autonomie. Cette lutte a fait des dizaines de milliers de morts et contrecarré les efforts de développement de Mindanao, région riche en minerais où de nombreux musulmans revendiquent de larges pans de territoire comme faisant partie de leur « domaine ancestral ».

Le MNLF a signé un accord de paix avec le gouvernement en 1996 et une région autonome a été créée pour qu’il la gouverne. Pourtant, malgré les millions de dollars d’aide au développement reçus, l’autonomie a été qualifiée d’« expérience ratée », pour reprendre les mots du président Aquino. De nombreuses zones de la région restent parmi les plus pauvres du pays.

Certains éléments du MNLF ont été intégrés à l’armée, mais ils n’ont pas été bien formés et étaient mal préparés aux rigueurs d’une force militaire au règlement strict. Les combattants qui n’ont pas été intégrés n’ont pas remis leurs armes et sont retournés dans la jungle ou l’arrière-pays où ils se sont regroupés ou ont rejoint de petits groupes de bandits.

Le gouvernement de M. Aquino a signé l’année passée un « accord-cadre » avec le MILF qui réclamait la création d’un nouveau territoire politique sous son autorité dans les trois ans pour remplacer la région créée antérieurement par le MNLF.

Ghazali Jaafar, vice-président du MILF chargé des affaires politiques, a dit à IRIN que le prochain cycle de négociations prévu en août pourrait être plus difficile que les précédents. Il espère que le gouvernement trouvera des propositions « créatives » pour régler la question de la normalisation.

« Nous détestons le mot reddition. Nous ne pouvons pas simplement remettre nos armes. Cela nous exposerait à des menaces. Nous ne déposerons les armes que si nous voyons que nous n’avons manifestement plus besoin de nous battre », a-t-il dit.

aag/pt/cb-ld/amz


This article was produced by IRIN News while it was part of the United Nations Office for the Coordination of Humanitarian Affairs. Please send queries on copyright or liability to the UN. For more information: https://shop.un.org/rights-permissions

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