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Travail humanitaire dans les bidonvilles

Youths in Kibera slums carry crude weapons ready to fight youths from the rival side, Nairobi, Kenya January 2008. Three people were killed as a result of the confrontation before police could calm the situation. Julius Mwelu/IRIN
Dans une décision qui, selon les experts, pourrait permettre aux acteurs de l'aide d'offrir une réponse solide à la violence chronique qui sévit dans les zones urbaines, l'Office d'aide humanitaire de la Commission européenne (ECHO) va allouer deux millions d'euros aux bidonvilles minés par la violence en Amérique centrale et au Mexique jusqu'à la fin 2014.

Les dix villes les plus dangereuses du monde en 2012 se trouvaient en Amérique latine, selon une étude (en espagnol) réalisée par le Conseil citoyen pour la sécurité publique et la justice pénale, basé à Mexico ; l'Amérique latine apparaît comme la région du monde où les habitants des bidonvilles sont les plus durement touchés par le crime organisé et par les violences autres que les conflits armés traditionnels. Mais alors qu'un nombre croissant de villes connaît une urbanisation rapide et souvent non maîtrisée, les experts soulignent que d'autres régions du monde pourraient être confrontées à des défis similaires.

Si la mise en ouvre d'opérations humanitaires à grande échelle dans le contexte d'« autres situations de violences » est la voie de l'avenir, les travailleurs humanitaires devront garder un certain nombre de choses à l'esprit.

« Cela concerne notamment les situations de violences urbaines et, plus généralement, les questions urbaines - elles représentent un défi réel et important pour le modèle d'action humanitaire actuel », a dit à IRIN Paul Knox Clarke, directeur de recherche et de communication du réseau d'apprentissage actif pour la redevabilité et la performance dans l'action humanitaire (Active Learning Network for Accountability and Performance in Humanitarian Action - ALNAP).

L'ALNAP finalise actuellement un rapport sur les « leçons apprises » : pour cela, il s'appuie sur les quelques interventions réalisées par des agences d'aide humanitaire dans des bidonvilles touchés par la violence.

Dans l'attente de la publication de ce rapport, voici quelques stratégies :

Aller au-delà des besoins fondamentaux

Alors que l'un des bidonvilles de Rio de Janeiro, connu pour la violence, préparait l'ouverture d'un centre d'art visuel en avril, certains se sont interrogés sur l'intérêt de construire un tel lieu dans un bidonville.

« Il est faux de dire qu'une favela n'est qu'un lieu de pauvreté », dit Jailson de Souza e Silva, professeur agrégé à l'Université fédérale Fluminense et directeur de l'Observatório de Favelas (l'observatoire des favelas).

Nombre d'habitants des bidonvilles sont pauvres, mais ce n'est pas la pauvreté qui les définit.

« Dans ces communautés, les habitants sont privés de leurs droits fondamentaux, mais le tissu social est très actif », a dit Adriano Campolina, responsable d'ActionAid au Brésil. Ces habitants peuvent être perçus comme des personnes très faibles et les acteurs humanitaires peuvent commettre l'erreur de se concentrer sur les besoins les plus élémentaires - le logement, la nourriture, les soins d'urgence, a dit à IRIN M. Campolina en marge d'une conférence organisée à Rio.

« En fonction de la manière dont [une agence d'aide humanitaire intervient], si l'on se concentre uniquement sur ce point et que l'on néglige le fait que les habitants se battent pour jouir des droits auxquels ils peuvent prétendre en tant que citoyens, on prend le risque de les dévaloriser ».

S'appuyer sur les réponses mises en ouvre par la communauté

La fourniture d'une aide humanitaire aux communautés marginalisées des bidonvilles risque de les stigmatiser davantage, a dit M. Campolina d'ActionAid. « Au fil des ans, ces communautés ont appris à se mobiliser, à s'organiser et à négocier. Si l'on ignore cela et que l'on se contente de donner une aide humanitaire, on risque de les ostraciser davantage ».

Robert Muggah, professeur à l'Institut des relations internationales de l'université catholique de Rio de Janeiro et directeur de recherche à l'Institut Igarapé, un groupe de réflexion basé à Rio, dit que les acteurs humanitaires et leur « mentalité basée sur l'intervention et le retrait rapides » risquent de bouleverser les formes de résilience et de réponse locales.

Il dit que les habitants des zones urbaines dépendent davantage des services que les habitants pauvres des zones rurales. « La distribution rapide de l'aide risque de bouleverser leurs réseaux et leurs associations de manière non intentionnelle, mais souvent dangereuse. Les acteurs de [l'action humanitaire ici] devront développer une grande sensibilité aux réalités locales, exprimer une volonté de mettre en place des partenariats communautaires et avoir pleinement conscience de la situation ».

Comprendre les dynamiques locales

Lors de la conférence organisée par l'HASOW (Humanitarian Action in Situations Other than War), les discussions sur les bidonvilles brésiliens ont permis de souligner l'importance de comprendre ce que Ronak Patel de l'Initiative humanitaire de Harvard appelait la « politique avec un petit P » des bidonvilles : les relations de pouvoir au sein des divers groupes ; les facteurs qui déterminent l'identité et le statut ; et l'interaction entre les résidents, les autorités et les groupes armés.


Les spécialistes de l'aide humanitaire indiquent que, s'il est essentiel de prendre en compte le contexte local lors d'une intervention humanitaire, il est tout aussi important - et compliqué - de le faire en cas d'intervention dans les bidonvilles minés par la violence.

« C'est cela qui fait la différence entre une intervention pertinente et efficiente et une intervention à l'aveugle », a dit Vicente Raimundo, coordinateur de la réponse d'urgence pour l'Amérique latine et les Caraïbes à ECHO. « La situation en El Salvador, par exemple, est très différente de la situation au Honduras ou au Guatemala. "D'autres situations de violence" est un phénomène régional qui comporte un grand nombre de caractéristiques locales ».

Mais la complexité du contexte local ne devrait pas empêcher les agences d'aide humanitaire d'intervenir, dit Javier Rio Navarro, conseiller aux opérations pour Médecins Sans Frontières au Mexique et en Amérique centrale.

« Lors d'une intervention, il est essentiel de comprendre les acteurs et le contexte pour agir de manière responsable », a dit à IRIN M. Navarro. « C'est vrai, intervenir en zone urbaine, ce n'est pas la même chose que d'intervenir dans le bush. Dans le bush, vous êtes seul avec vos patients. En zone urbaine, vous êtes confrontés à une multitude d'acteurs - et à un plus grand nombre d'auteurs de violences. Cela complique les choses, mais nos activités et nos missions restent fondamentalement les mêmes ; et ces environnements urbains violents ne doivent pas devenir des zones de non-droit où les acteurs humanitaires ne se rendent plus ».

Procéder à un ciblage rigoureux

Le ciblage relativement étroit, typique des interventions humanitaires, ne serait pas pertinent dans la majorité des zones urbaines, notamment dans les zones où la violence s'est installée, dit François Grünewald, directeur exécutif du groupe URD (Urgence, Réhabilitation et Développement), un institut de recherche, de formation et d'évaluation basé en France.

« Dans les sociétés urbaines gangrénées par la violence, les gens ne survivent pas seuls », a-t-il dit. « Ils appartiennent à des réseaux - que ce soit des gangs, des groupes d'âge, des bandes de quartier. Mais lorsqu'une personne est stigmatisée, parce qu'elle a été choisie pour bénéficier de l'aide humanitaire, elle va devoir décider si elle veut faire partie de ce groupe choisi ou de son réseau. Et c'est parfois un choix entre la vie et la mort ».

La stigmatisation peut être due au simple fait d'avoir été « choisi » pour bénéficier de l'aide, alors que des personnes appartenant à votre réseau n'ont pas été choisies.

M. Grünewald dit qu'il est « à la fois fascinant et terrifiant » de voir que la communauté humanitaire et la communauté des bailleurs de fonds semblent ne pas s'intéresser aux études anthropologiques qui permettent de comprendre ces dynamiques. Selon lui, la compréhension de l'environnement sociologique et anthropologique est une question opérationnelle importante.

Se méfier de son mandat - et de son expertise

Bon nombre de spécialistes de l'aide humanitaire disent que le débat sur l'intervention dans l'environnement urbain s'est déplacé : il ne porte plus sur l'opportunité de l'intervention, mais sur la forme de l'intervention. Mais il y a plus de questions que de réponses, notamment celle de l'applicabilité du droit humanitaire international.

Certains observateurs disent que les agences d'aide humanitaire qui prennent de tels engagements vont au-delà de leur mandat. Selon Michael Barnett, professeur d'affaires internationales et de science politique, et auteur de « Empire of Humanity: A History of Humanitarianism », les agences d'aide humanitaire internationales devraient se limiter aux interventions qu'elles maîtrisent : les interventions d'urgence. Même si les agences internationales pouvaient intervenir dans les villes violentes, dans un cadre juridique, a-t-il dit, il serait préférable de financer des agences locales - « celles qui connaissent le terrain, pas des agences extérieures ».

« Qu'est-ce que les agences extérieures peuvent faire de plus que les agences locales pour améliorer la situation sur le terrain ? Il y a peut-être une question de neutralité, mais pas d'un point de vue opérationnel . Je ne pense pas qu'elles [les ONG internationales] apportent quoi que ce soit. Dans les environnements urbains - les humanitaires apportent de l'aide aux réfugiés ou interviennent en cas de catastrophes naturelles - mais c'est tout ».

Il a reconnu que la définition de l'humanitarisme a été étendue au cours des dernières décennies. « Mais si l'aide humanitaire est efficace, c'est notamment parce qu'elle intervient dans des situations d'urgence ... Les violences en milieu urbain sont typiquement liées à la question des droits de l'homme et du développement ».

Certaines agences et certains bailleurs de fonds, y compris ECHO, indiquent que le manque de clarté du cadre juridique ne les empêche pas d'agir.

« Nous nous concentrons sur les conséquences humanitaires, sur les besoins humanitaires, quelles que soient les causes », a dit à IRIN M. Raimundo d'ECHO. « S'il est établi qu'il existe des besoins non satisfaits, alors il y a une raison pour intervenir ».

Pour en savoir plus, consultez l'article d'IRIN qui montre que l'apparition des besoins humanitaires est liée à la peur des violences urbaines.

np/ha/cb-mg/amz


This article was produced by IRIN News while it was part of the United Nations Office for the Coordination of Humanitarian Affairs. Please send queries on copyright or liability to the UN. For more information: https://shop.un.org/rights-permissions

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