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Vers une meilleure prise en charge des victimes de violences sexuelles en Syrie

Syrian girls spool yarn for weaving into rugs in a women's-only space at Nizip Camp for Syrian refugees in southern Turkey Patrick Adams/IRIN
Des progrès restent à faire concernant la santé et le bien-être des femmes et des enfants touchés par le conflit en Syrie, a dit Babatunde Osotimehin, directeur exécutif du Fonds des Nations Unies pour la population (UNFPA), lors d’une récente visite au camp de réfugiés de Nizip, à environ 40 km à l’est de la ville de Gaziantep, au sud de la Turquie.

Nizip, l’un des camps turcs les plus récents, accueille quelque 10 000 réfugiés. Ces « hôtes », comme le gouvernement préfère les désigner, sont hébergés dans des tentes en toile et des conteneurs, bien alignés le long des rives rocailleuses et blanchies par le soleil de l’Euphrate.

Ce camp est, à bien des égards, un modèle d’aide humanitaire.

Les réfugiés de Nizip disposent de machines à laver collectives, d’une mosquée, d’un centre médical, d’eau et de repas chauds, d’écoles et de terrains de jeux, d’un salon de coiffure et d’un supermarché où ils peuvent compléter leurs rations grâce à des bons d’achat sur cartes électroniques. Les enfants peuvent faire partie d’une équipe de football et participer à des tournois d’échecs, regarder la télévision et tisser des tapis. Le camp dispose du gaz, de l’électricité, d’installations sanitaires et d’un service de sécurité renforcé.

Mais les autorités turques semblent avoir oublié un détail important. Selon les travailleurs humanitaires, nulle part à Nizip ni dans aucun des 16 autres camps turcs les victimes de violences sexuelles ne peuvent trouver une aide psychosociale spécialisée. Les experts estiment pourtant qu’elles en ont désespérément besoin.

« Je suis impressionné par ce que j’ai vu ici », a dit M. Osotimehin, ancien ministre de la Santé nigérian, à un groupe de journalistes réunis devant l’école du camp. « Ce que la Turquie a fait à ses propres frais est remarquable », s’est-il exclamé avant de souligner les besoins urgents des femmes enceintes ou allaitantes et des victimes de violences sexuelles dont le nombre serait en hausse en Syrie.

Violence sexuelle en Syrie

En effet, comme le fait remarquer un rapport publié en janvier par l’International Rescue Committee, « le viol est une caractéristique importante et bouleversante de la guerre civile syrienne ». Cette idée est confirmée par les enquêtes menées auprès des réfugiés en Jordanie et au Liban, dont les répondants citent systématiquement la violence sexuelle comme « l’une des premières raisons pour lesquelles leur famille a fui le pays ».

Plusieurs semaines après la publication de ce rapport, Erika Feller, adjointe au Haut Commissaire de l’agence des Nations Unies pour les réfugiés, s’est faite l’écho de ces préoccupations en citant des rapports selon lesquels « le conflit en Syrie est de plus en plus marqué par des viols et des violences sexuelles employés comme armes de guerre ».

Dans un article de The Atlantic publié le mois dernier, Lauren Wolfe, directrice du projet Women Under Siege, qui recueille des informations sur la fréquence des viols en zone de conflit, a décrit la manière dont « l’ampleur de la crise du viol » était en train de « créer une nation de victimes traumatisées ».

Jusqu’à présent, la Turquie accueille environ 193 000 réfugiés répartis dans 17 camps et six nouveaux camps sont en cours de construction. À la limite de ses capacités, le pays a été félicité pour sa politique d’accueil et son aide généreuse. Au moins une lacune se fait cependant sentir.

« De ce que l’on a pu apprendre, les camps ne disposent actuellement de pratiquement aucun soutien psychosocial [adapté aux victimes de violences sexuelles] », a dit Leyla Welkin, psychologue clinicienne et conseillère en matière de violence sexiste pour l’UNFPA.

Les services adaptés aux victimes de violences sexuelles ou sexistes sont rarement la priorité en situation d’urgence, a dit Meltem Agduk, responsable du programme d’égalité des sexes à l’UNFPA. Comme ailleurs, les autorités turques ont d’abord cherché à fournir de la nourriture et des abris au nombre croissant de réfugiés.   

« Vous pouvez constater que nos camps sont en meilleur état que ceux de Jordanie », a dit un fonctionnaire turc. « Les gens ici sont très heureux ».

Le Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR) à Ankara a déclaré avoir été informé par le gouvernement que des professionnels spécialisés étaient à disposition des réfugiés syriens, qui peuvent être pris en charge à l’intérieur même du camp ou dirigés vers des hôpitaux à l’extérieur le cas échéant.

« Il y a un besoin criant de soutien professionnel », a cependant dit Mme Welkin à IRIN après une réunion avec des femmes « mukhtars » (chef de village) qui ont fondu en larmes lorsqu’elle les a interrogées sur les violences sexuelles.

Les femmes et les enfants des camps ont accès à des services psychosociaux, mais l’absence d’espaces privés fait qu’il est difficile pour les femmes de parler de leur expérience de violences sexuelles ou sexistes. La loi du silence s’est donc installée et entrave gravement les efforts fournis pour résoudre ce problème.

Renforcement des capacités

Le manque de soutien psychosocial pour les victimes de violence sexuelle dans les camps de réfugiés turcs reflète une insuffisance dans l’ensemble du pays, a dit Mme Welkin, qui exerce au bureau de l’UNFPA à Ankara, la capitale turque. « La Turquie est plutôt démunie en matière de violences sexuelles et sexistes ».

Le manque de personnel est un réel problème pour le ministère de la Famille et de la Politique sociale en général, a ajouté Mme Agduk. Certaines villes comptent seulement un psychologue et un travailleur social pour traiter à la fois les Turcs et les réfugiés syriens qui affluent (on compte 130 000 réfugiés en dehors des camps).


Ces dernières années, la Turquie s’est employée à renforcer sa capacité à répondre aux cas de violences sexuelles ou sexistes au sein des foyers. Le pays a ouvert des centres à guichet unique offrant aux victimes une aide psychologique, des conseils juridiques et d’autres services, le tout dans un même lieu. Mais la Turquie a moins d’expérience en matière de réponse aux violences sexuelles et sexistes en situation de catastrophe, situations dans lesquelles les traumatismes sont multipliés, a précisé Mme Agduk.

Le gouvernement turc est soucieux de résoudre le problème des violences sexuelles et sexistes en situation de catastrophe, a-t-elle ajouté, et il a fait appel à l’UNFPA pour son expertise technique.

En collaboration avec le ministère turc de la Famille et de la Politique sociale, l’UNFPA a conçu un programme pilote pour préparer et former 24 professionnels de santé pour mener des examens psychologiques et des traitements préliminaires dans les camps. Le programme conduira également une campagne d’éducation du public aux problèmes de violences sexuelles et sexistes, a annoncé Mme Welkin, incluant une intervention ciblant spécifiquement les hommes, « dont certains seront eux-mêmes auteurs [de telles violences] ».

L’UNHCR a par ailleurs donné aux autorités turques ses recommandations, ou procédures opérationnelles standards, pour la prévention et la réponse aux violences sexuelles et sexistes « afin qu’elles les transmettent à leurs employés travaillant auprès des réfugiés syriens dans les camps ».

L’UNFPA a déjà formé des professionnels de santé turcs à la gestion clinique des victimes de viol, notamment en ce qui concerne les méthodes de contraception d’urgence, la prévention des infections sexuellement transmissibles et la collecte de preuves médico-légales. Mais en l’absence d’aide psychologique, a dit Mme Welkin, les victimes sont peu susceptibles de se soumettre à un examen médical, surtout si l’on considère le tabou qui entoure cette question. Les différences culturelles et la barrière de la langue posent également des difficultés, a ajouté Mme Agduk.

La nouvelle formation commencera d’ici deux semaines et les services devraient fonctionner d’ici deux mois, a-t-elle dit. La première phase du programme cible les professionnels de santé, les psychologues et les travailleurs sociaux à l’échelle des municipalités et des gouvernorats, dans le but de développer des capacités au sein des structures qui pourront ensuite être renforcées.

« Ce que j’espère, c’est que cette catastrophe puisse être une opportunité pour la Turquie de progresser en matière de prévention et d’intervention contre les violences sexuelles et sexistes et que les professionnels que nous formons puissent appliquer les compétences acquises dans les camps dans leur propre communauté, » a dit Welkin.

Les autorités considèrent en effet que ce programme « ouvre la porte » à de nouveaux services, non seulement pour les réfugiés syriens, mais également en cas de nouvelle catastrophe.

« C’est très important qu’ils prennent maintenant cette question au sérieux », a dit Mme Agduk.

Une nouvelle législation, adoptée l’année dernière, a nettement amélioré les lois relatives aux violences sexuelles et sexistes. Leur définition a ainsi été étendue pour prendre en compte les victimes de violences domestiques non mariées ou les femmes divorcées qui se font agresser par leur ex-mari.

Comprendre les besoins

La tâche à accomplir ne va cependant pas être facile, d’autant plus que les Nations Unies sont actuellement confrontées à un important déficit de financement. Sur les 1,5 milliard de dollars de dons annoncés par les bailleurs de fonds internationaux pour couvrir les besoins des réfugiés syriens au premier semestre 2013, à peine plus de la moitié a été attribuée. Pour la même période, les besoins de l’UNFPA relatifs à la crise syrienne dans l’ensemble de la région s’élevaient à 20,7 millions de dollars. Selon ses représentants, l’agence en a jusqu’à présent reçu moins de la moitié.

Une autre difficulté réside dans le fait que l’on n’a pas encore très bien évalué l’ampleur et la diversité des besoins liés aux violences sexuelles et sexistes chez les réfugiés syriens.

« Ce qui nous inquiète, ce n’est pas le nombre de psychologues formés, mais le manque d’informations sur la réalité du terrain », a dit Ayman Abulaban, représentant du Fonds des Nations Unies pour l’enfance (UNICEF) en Turquie. Selon lui, l’UNICEF ne dispose actuellement d’aucune information sur le sujet, mais espère en obtenir bientôt, lorsque le projet commencera ses activités.

Selon M. Abulaban, il faut évaluer les lacunes, étendre les services globaux de prévention et d’action et créer un système d’aiguillage standardisé. Il espère qu’un nouveau projet de l’UNICEF visant à renforcer la résilience des enfants et des jeunes dans les camps aiderait le gouvernement à répondre aux besoins en la matière (selon un récent rapport de Save the Children, les violences sexuelles en situation de conflit touchent les enfants et les adolescents de manière disproportionnée).

« Il est extrêmement important que les réfugiés syriens aient accès à des services spécialisés en matière de violences sexuelles et sexistes », a dit M. Abulaban dans une déclaration écrite.

En préparation de leur projet de formation, l’UNFPA, le ministère de la Famille et de la Politique sociale et l’AFAD (l’unité gouvernementale de gestion des catastrophes et des urgences) prévoient de mener une évaluation étendue des besoins, a dit Mme Agduk.

En attendant, le conflit fait toujours rage en Syrie et les réfugiés continuent d’affluer. Quelque 7 000 nouveaux arrivants sont enregistrés chaque jour dans l’ensemble de la région. D’ici la fin de l’année, a averti le coordinateur régional du HCR pour les réfugiés syriens, leur nombre dans la région pourrait dépasser les quatre millions.

Le ministère de la Famille et de la Politique sociale n’a pas répondu à l’invitation d’IRIN à commenter la situation.

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This article was produced by IRIN News while it was part of the United Nations Office for the Coordination of Humanitarian Affairs. Please send queries on copyright or liability to the UN. For more information: https://shop.un.org/rights-permissions

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