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Calme précaire à Sebha

A resident of Tayuri stands against a bullet-riddled wall of his house. Part of it was destroyed during the clashes in Libya Zahra Moloo/IRIN
A resident of Tayuri, Libya, stands against a bullet-riddled wall of his house
Une paix fragile règne à Sebha, une ville du sud-ouest de la Libye, plus d’un mois après les affrontements tribaux qui ont fait 70 morts. Selon les habitants, les tensions sont toujours vives entre les communautés. Nombre d’entre elles disposeraient de leur propre milice.

« Vous voyez cet endroit ? » demande Adoum Abaka, un Toubou de Tayuri, un quartier pauvre de Sebha où vivent principalement des familles toubou et touarègues, en montrant du doigt un édifice en haut d’une colline dont les murs ont fait place à des trous béants. « C’est là que certains d’entre nous se sont cachés quand [la tribu] des Awlad Soulayman a attaqué Tayuri. Nous nous battions avec des Kalachnikovs. Une personne a été tuée. »

Les derniers affrontements ont éclaté en mars entre le groupe ethnique Toubou et les tribus arabes Awlad Soulayman et Awlad Abu Seif. Les combats auraient été déclenchés par l’assassinat d’un membre de la famille Abu Seif par des Toubou. D’autres sources affirment que le conflit résulterait d’un différend concernant plusieurs millions de dollars que le parti au pouvoir, le Conseil national de transition (CNT), prévoyait de dépenser à Sebha. Les violences se sont poursuivies pendant six jours, jusqu’à ce que le CNT fasse venir des troupes du nord pour y mettre un terme.

Les mêmes communautés s’étaient déjà affrontées en février dans l’oasis de Kufra.

Les forces du CNT ont apporté un semblant de paix à Sebha, mais la plupart des tribus ont encore leur propre milice. Wanees Abu Khamada, chef des forces spéciales et gouverneur militaire du sud de la Lybie, a dit à IRIN que l’armée avait récemment interdit aux habitants de porter des armes la nuit. Aucun système n’a toutefois été mis en place pour saisir ces armes.

IRIN a demandé à Wanees Abu Khamada si l’armée n’avait pas la capacité de reprendre le contrôle de la région. « Nous essayons toujours », a-t-il répondu. « L’armée n’est pas faible, mais elle est soumise à la loi. Les milices, par contre, peuvent [prendre elles-mêmes la décision] d’attaquer un endroit. »

Malgré la présence de l’armée, les habitants de Sebha sont inquiets. Adam Ahmad, de Tayuri, a dit que le cessez-le-feu entre les deux groupes était une « obligation » et que beaucoup de gens avaient peur des conséquences que pourrait avoir un retrait de l’armée.

« Les combats ont cessé, mais nous ignorons pour combien de temps », a dit Ayoub Al-Zarooq, du conseil municipal.

Toutes sortes d’armes, dont des mortiers, des roquettes, des pièces d’artillerie et des munitions non explosées jonchent les alentours de la salle du conseil du camp de Tayuri.

À Al-Hijara, les vestiges calcinés de maisons et de voitures abandonnées témoignent des ravages causés dans le quartier. Ali Mohamed Boubacar Julwar, un enseignant qui avait fui Sebha pour se réfugier à Al-Qatroun, une ville plus au sud, a découvert en rentrant que sa famille était partie et que sa maison avait été détruite.

« J’ai trouvé mes voisins dehors, sans abri et dépossédés de leurs biens », a-t-il dit. « Ils m’ont dit que c’était [des membres] d’Awlad Soulayman qui avaient fait ça, ainsi que quelques familles de Sebha. »

Identités et allégeances

Les Toubou, une tribu africaine noire, vivent dans le sud de la Libye, sur les flancs du massif Tibesti, ainsi qu’au Tchad et au Niger. Si certains Toubou du Tchad ont été incités à migrer vers le nord pour travailler dans l’industrie pétrolière sous le régime de l’ancien président Mouammar Kadhafi, de nombreux indigènes de Libye ont été marginalisés et exclus par ce même régime et ont pris les armes avec les rebelles lors du soulèvement de 2011. Ceux qui vivaient à Kufra, dans le sud-est, se sont vu retirer leur carte d’identité et leur passeport, conformément à une décision prise en 2007 visant à les dissuader d’entrer en Libye. Les autorités de la région avaient pour instruction de les traiter comme des étrangers.

« Le régime précédent privait les tribus sahariennes de leurs droits en raison de leur nomadisme et parce que le territoire qu’elles parcourent s’étend sur les pays voisins », a dit à IRIN Adam Ahmad, chef toubou et responsable du conseil du camp de Tayuri.

Lors des récents affrontements, la violence a été alimentée par le fait que la population locale considérait les Toubou comme des étrangers. Ainsi, des habitants de Sebha qui n’avaient rien à voir avec le différend initial ont été appelés à prendre les armes contre eux.

« Les Awlad Soulayman ont dit aux habitants de Sebha que les Toubou voulaient prendre le contrôle de la ville », a dit Omar, un habitant de Sebha qui a préféré ne donner que son prénom, à IRIN. « Les habitants de Sebha, qui ont toujours eu des préjugés contre les Toubou, ont donc attaqué leur secteur. »

An assortment of ammunition used during the attacks on Tayuri settlement in Sebha lie scattered outside Tayuri camp council
Photo: Zahra Moloo/IRIN
Des munitions utilisées lors des attaques contre le camp de Tayuri, à Sebha, jonchent toujours les alentour du conseil du camp
Le débat concernant la véritable identité libyenne explique les témoignages contradictoires concernant les affrontements à Sebha et la politique identitaire de la région.

La ville, qui compte 210 000 habitants, a longtemps servi de plaque tournante pour les migrants qui traversaient la frontière sud, souvent illégalement, en provenance du Niger, du Tchad et d’autres pays. Avec l’arrivée croissante de Toubou rejoignant Sebha pour soutenir les membres de leur tribu pendant les affrontements, le conflit s’est intensifié et la xénophobie a conduit à des arrestations arbitraires de migrants africains venant de pays voisins comme le Tchad.

« Tous les Toubou ne sont pas Libyens. Les Libyens sont les bienvenus ici, mais pas les étrangers », a dit Mohamed Shahhat, un membre du conseil municipal de Sebha appartenant à la tribu Awlad Soulayman. « Il y a des rumeurs qui courent selon lesquelles les Toubou auraient leur nation dans le sud de la Libye. Nous craignons une situation similaire à celle du Mali, où les Touaregs essayent de créer leur propre pays. Les Toubou ne sont pas juste une tribu, ils sont une nation. »

Les Awlad Soulayman craignent que les Toubou ne prennent le pouvoir. Pourtant, les Al Khadaddfa et les Awlad Soulayman comptent parmi les tribus les plus influentes de Sebha. Nombre de ces derniers étaient des alliés du régime de Kadhafi, alors que d’autres se sont battus aux côtés des rebelles lors du soulèvement. Des habitants ont déclaré que, dans les quatre mois qui ont suivi la libération de Sebha, les milices Awlad Soulayman ont pris le contrôle de la ville et des crimes ont été commis.

Les membres de la tribu Awlad Soulayman ont hésité à parler à IRIN de leur participation au conflit ou à accepter des entretiens avec des proches des victimes.

Selon M. Al-Zarooq, les Awlad Soulayman pourraient caresser l’ambition de prendre le contrôle de la région de Sebha. « Une grande partie des milices appartient à la tribu des Awlad Soulayman. Les rumeurs racontent qu’ils veulent prendre le contrôle de la ville et peut-être même de tout le sud de la Libye », a-t-il dit.

Selon Bill Lawrence, directeur du North Africa Project de l’International Crisis Group (ICG), il est difficile de déterminer qui tient vraiment les rênes. « Certains districts de Sebha et des alentours sont davantage sous le contrôle d’un groupe ou d’un autre et les Awlad Soulayman sont vraisemblablement majoritaires, mais je ne dirais pas qu’un groupe détient véritablement le pouvoir plus qu’un autre, surtout après la révolution, qui a rendu la situation encore plus floue », a-t-il dit.

La sécurité au sud de la ville


Les Toubou comme les Awlad Soulayman ont cohabité pendant des décennies et vivent dans des régions qui s’étendent au-delà des frontières libyennes. C’est dans ces régions frontalières, où transitent les migrants et les marchandises de contrebande en route vers le nord, que le conflit qui a touché Sebha aurait commencé. « On dit que les hostilités se sont déclenchées ici, à Sebha, mais en réalité, les deux groupes dépendent des filières de trafic et de contrebande », a dit Omar. « Et chacun paye l’autre. C’est là que le conflit a vraiment commencé, à la frontière. »

Ahmad Naas Mohamed, un membre du conseil municipal appartenant à la tribu Abu Seif, a démenti ces propos. « Les Awlad Soulayman ne contrôlent pas les zones frontalières, ils y font juste du commerce », a-t-il dit. « Ce sont les Toubou qui ont le contrôle. »

Adam Ahmad, du conseil municipal de Tayuri, a dit qu’une grande partie de la région frontalière du sud était sous le contrôle des Toubou, mais que les Awlad Soulayman avaient peut-être aussi leurs propres filières de trafic. Selon M. Al-Zarooq, les frontières représentent la principale menace pour la sécurité du sud et la stabilité à Sebha dépend en grande partie de la sécurisation de cette région.

« La stabilité dépend en partie du dialogue entre les communautés et de la capacité des leaders à éviter le pire », a dit M. Lawrence, de l’ICG. « Au final, la stabilité générale de la Libye et de ces régions dépendra des questions de légitimité et de gouvernance et des services fournis. »

Le gouvernement a déclaré qu’il enquêterait sur les affrontements de Sebha, mais M. Abu Khamada, le gouverneur militaire, a dit que cela prendrait du temps et qu’il était difficile de recueillir des informations.

Pendant ce temps, les habitants d'Al-Hijara attendent toujours que justice soit faite. Yusuf Said, un jeune Toubou qui a raconté que sa mère avait été tuée à l’hôpital pendant le conflit, pense que les Toubou doivent se tenir prêts à se défendre à nouveau.

« Nous croyons que la guerre n’est pas finie », a-t-il expliqué.

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This article was produced by IRIN News while it was part of the United Nations Office for the Coordination of Humanitarian Affairs. Please send queries on copyright or liability to the UN. For more information: https://shop.un.org/rights-permissions

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