La plupart des réactions aux réformes introduites par le président Thein Sein depuis son investiture le 11 mars 2011 reflètent l’espoir de voir le pays rompre avec un régime autoritaire et répressif associé à des violations des droits de l’homme qui valent au pays d’être la cible de sanctions économiques.
Quelques réactions et évènements récents :
• Aung San Suu Kyi, figure de proue de l’opposition et de la Ligue nationale pour la démocratie (LND), a rencontré M. Thein Sein à Nay Pyi Taw, la capitale, le 19 août et a estimé que le président était décidé à promouvoir « des changements positifs ». Son assignation à résidence, décidée par le précédent gouvernement, a été levée.
• Kurt Campbell, secrétaire d'État adjoint américain chargé de l'Asie orientale et des pays du Pacifique, a qualifié le dialogue entre Aung San Suu Kyi et le gouvernement de « très important », ajoutant qu’ « indéniablement des changements spectaculaires étaient en cours ».
• Tomas Ojea Quintana, Rapporteur spécial des Nations Unies sur la situation des droits de l’homme au Myanmar, a dit que le pays se trouvait à un « tournant décisif » de son histoire. « Il existe en effet de réelles opportunités de changements positifs et importants pour améliorer la situation des droits de l’homme et approfondir la transition du pays vers la démocratie. »
M. Quintana a reconnu que le gouvernement avait pris des mesures pour améliorer son bilan en matière de droits de l’homme, mais il a indiqué qu’il restait encore beaucoup à faire pour garantir les droits civils, politiques, économiques, sociaux et culturels.
Dans toute situation de transition vers la démocratie, la question critique est, selon les experts, de savoir si le pays peut assurer l’harmonie ethnique, qui fait défaut depuis que le pays a obtenu l’indépendance de la Grande-Bretagne en 1948.
Des violences ont à nouveau éclaté en 2011 dans le nord du pays, entre les forces armées de la « Tatmadaw » et la Kachin Independence Organization, et dans l’est du pays, entre les groupes armés shan et karen.
L’appel lancé en août par le Président pour l’organisation de pourparlers de paix reste pour l’instant sans effets.
Si les organisations humanitaires indiquent avoir un meilleur accès à la plupart des régions du pays en comparaison avec la période qui a suivi le Cyclone Nargis en 2008, elles n’ont toujours pas accès aux régions touchées par les troubles ethniques, selon un diplomate occidental et selon le directeur d’une agence des Nations Unies présents à Yangon.
Des progrès auraient été réalisés en ce qui concerne un point du conflit : l’opposition au recrutement forcé d’enfants soldats.
Le bureau de l’Organisation internationale du travail (OIT) à Yangon a indiqué avoir reçu 355 plaintes concernant des enfants soldats entre le début de l’année 2010 et la fin du mois de juin 2011 ; 77 enfants ont été démobilisés, tandis que les enquêtes se poursuivent dans les 242 cas restants.
Le nombre de plaintes est en nette augmentation depuis 2009, où 78 plaintes avaient été reçues (62 enfants démobilisés) et 2008, où 29 plaintes avaient été reçues (23 enfants démobilisés). L’OIT estime que cette tendance est liée à une meilleure prise de conscience.
Changements
Lors d’un discours inaugural devant le parlement le 30 mars, M. Thein a indiqué qu’il était nécessaire de lutter contre la pauvreté – un problème éludé par le précédent gouvernement – de mettre fin à la corruption, aux conflits entre les diverses minorités ethniques et de travailler à la réconciliation politique. Les élections organisées l’année dernière ont été boycottées par la LND.
Photo: Lynn Maung/IRIN |
• Augmentation des retraites des fonctionnaires ;
• Vote par le parlement d’une loi d’amnistie pour les prisonniers politiques et autres, et libération de plus de 6 500 prisonniers en octobre 2011, y compris des prisonniers d’opinion ;
• Aide financière aux paysans ;
• Assouplissement de la censure imposée aux médias. Le responsable de l’autorité de censure a appelé à la levée de la censure dans un avenir proche ;
• Établissement d’une commission des droits de l’homme afin de « promouvoir et garantir les droits fondamentaux des citoyens » ;
• Proposition de modification des lois électorales, visant à encourager la LND à participer aux prochaines élections.
Réactions
Les changements ont suscité des réactions allant de la méfiance à l’optimisme prudent.
M. Sein Win, directeur de la rédaction de l’agence Mizzima News, basée à New Delhi, s’est dit à la fois sceptique et rassuré par les changements.
« Après avoir applaudi, je me suis assis dans mon fauteuil [pour réfléchir] au raisonnement qui sous-tend les décisions prises par le gouvernement de M. Thein Sein », a-t-il dit.
M. Sein Win a dit que certains de ces changements étaient positifs, mais qu’il se demandait pourquoi les prisonniers politiques se trouvaient toujours derrière les barreaux. Il réclame l’amnistie juridique pour les personnes exilées et la levée des restrictions qui pèsent contre les médias.
Richard Horsey, spécialiste du Myanmar et représentant de l’OIT dans le pays de 2002 à 2007, a dit qu’il trouvait ces réformes « très encourageantes ». « Ce sont les changements les plus significatifs de ces 50 dernières années », a-t-il dit à IRIN. « Il reste beaucoup à faire et le pays a encore beaucoup de défis à relever, mais on va dans la bonne direction et l’impulsion semble forte. »
Quelle dynamique ?
Mais le président peut-il maintenir cette cadence et poursuivre les réformes ?
Mais M. Sein Win a indiqué que la situation était toujours « totalement imprévisible à ce stade de transition délicat ».
Beaucoup va dépendre « des qualités de dirigeant, de la sagesse et de la tolérance face aux opinions divergentes » de M. Thein Sein, a-t-il ajouté, avant d’émettre une mise en garde : on pourrait « assister à nouveau à un revirement, sous la forme d’un coup d’état militaire, pour contrer une opposition constituant un défi inopportun pour le gouvernement ».
« Changer de direction politique dans n’importe quel pays, mais plus particulièrement dans un pays qui est resté sous régime autoritaire pendant de longues années, est une très lourde tâche », a dit M. Horsey.
M. Tonkin a reconnu que la transition vers la démocratie allait être « périlleuse », ce qui renforce la nécessité de résoudre « les sérieux problèmes internes liés aux ressortissants non birmans qui revendiquent un certain degré d’autonomie ».
Selon M. Sein Win, les obstacles les plus importants sont « le manque de confiance de l’opinion publique envers le gouvernement – les habitudes ont la vie dure – les dynamiques de pouvoir au sein du gouvernement et le manque de ressources ».
U Shwe, un ancien fonctionnaire du gouvernement âgé de 55 ans et qui a maintenant une entreprise familiale àYangon, a dit à IRIN qu’il avait vu peu de signes de changement jusqu’à présent.
« Nous connaissons toujours les mêmes difficultés. Certaines personnes disent que les choses ont évolué, mais je n’ai pas l’impression que notre vie a changé. Les lois et règlements anciens nous imposent toujours des restrictions. Les zones ethniques sont toujours affectées par des conflits. Elles ne connaissent pas la paix. Tant que ces régions ne connaîtront pas la paix, elles ne connaîtront pas la sécurité.
« Si vous interrogez les membres des différentes ethnies sur les améliorations apportées par le nouveau gouvernement dans leurs régions, ils vous riront au nez ».
Selon d’autres personnes, la cadence des réformes n’est pas suffisamment rapide.
« Si le gouvernement veut changer le pays rapidement, il va devoir mettre en place de nombreuses réformes en s’appuyant sur les conseils d’experts », a dit un vendeur d’accessoires de téléphone dans un centre commercial local.
Mais il y a peu d’experts, a dit M. Horsey. « Le risque le plus important aujourd’hui est lié à la capacité : mettre en place de nombreuses réformes d’une manière coordonnée nécessite de fortes capacités administratives et des conseils techniques avisés, ce dont le pays manque ».
L’administration, qui est un élément clé de la mise en œuvre des réformes, représente un autre obstacle, a dit Renaud Egreteau, enseignant-chercheur à l’université de Hong-Kong. « La structure de l’État et de l’administration ... est plutôt mal en point [et] et manque d’autonomie et d’expertise ».
Selon les politologues, l’une des grandes questions est de savoir si les amendements proposés aux lois sur les partis politiques pourraient favoriser le retour de la LND dans le processus électoral, et ainsi redonner une légitimité nationale et internationale au pays. Cela pourrait également faciliter un assouplissement ou une levée des sanctions imposées par les États-Unis et l’Union européenne.
Aung San Suu Kyi a dit publiquement que la LND pourrait participer à des élections si les changements sont approuvés par la chambre basse.
« Participer aux élections permettrait à la LND d’entrer au parlement, où il s’est passé beaucoup de choses, mais cela contrarierait également une partie de ses soutiens. La LND doit faire un choix difficile », a dit un analyste politique de Yangon.
Photo: Wikimedia Commons |
Aung San Suu Kyi |
« Si une majorité de prisonniers politiques ne bénéficient pas de l’amnistie, la LND pourrait se retrouver dans une situation inextricable », a-t-il ajouté.
Les États-Unis et l’Union européenne – qui étaient en 2009 les deuxième et troisième donateurs les plus importants d’Aide publique au développement (APD) au Myanmar – ont pendant de longues années conditionné l’assouplissement des sanctions à l’amélioration des droits de l’homme, notamment la libération des prisonniers d’opinion.
Bénéficiaire de l’APD, le Myanmar a reçu environ 7 dollars par habitant en 2009, contre 66 pour le Laos et 48 pour le Cambodge, selon l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) et les données démographiques fournies aux Nations Unies.
Le fait que le Myanmar ne reçoive qu’une part infime d’APD en comparaison avec le Laos ou le Cambodge, qui ont chacun un revenu national brut plus élevé, est une conséquence évidente de « pressions politiques », a dit Frank Smithuis, fondateur de l’ONG Medical Action Myanmar, qui travaille avec des ONG médicales dans le pays depuis 1994.
« La rétention d’aide affecte les pauvres ; ce sont eux qui font les frais de ce jeu politique immoral », a indiqué M. Smithuis.
M. Egreteau a dit que les élites militaires du Myanmar reconnaissaient que le temps du changement était arrivé. « Ils ne sont pas aveugles. Ils savent que la région est en train de changer rapidement, que la situation économique birmane est désastreuse et que la politique nationale continue à entraver fortement le développement du pays ».
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