1. Accueil
  2. East Africa
  3. Kenya

Quand les animaux font partie de la famille

Abdille Muhamed with his dead cow in Garse Koftu village, 120km from Wajir in northeastern Jaspreet Kindra/IRIN
Abdille Muhamed with his dead cow in Garse Koftu village, 120km from Wajir in northeastern
Dans son village de Kiliwehiri, situé au nord-est du Kenya, Abdullah Mohamed est « cet homme atteint de troubles mentaux ».

« Il est difficile de retourner à la normale quand on a vu les économies de toute une vie disparaître sous ses yeux », a dit Ibrahim Abdi, l’adjoint du chef du village. « Nous sommes Somaliens, nous veillons les uns sur les autres », a expliqué M. Abdi, don le village partage ses rations de nourriture avec la famille de M. Mohamed.

Il y a un mois, M. Mohamed était confronté à des températures en forte hausse et à la sécheresse tout comme les autres éleveurs du district aride de Mandera qui, à l’instar d’autres zones de la Corne de l’Afrique, a été identifié par les Nations Uniescomme étant dans une situation proche de la famine, sur une échelle de cinq points. Cela fait plus d’un an qu’il n’a pas plu dans son village.

En l’espace de dix jours, M. Mohamed a vu 40 de ses animaux mourir subitement –les uns après les autres–alors qu’ils attendaient leur tour pour boire à un point d’eau, le long de la frontière entre le sud de l’Éthiopie et le nord du Kenya, à quelques kilomètres de son village.

Pour les populations de Mandera et du district voisin de Wajir, les animaux ne représentent pas seulement un investissement, ils font partie de la famille.

« Ces carcasses représentaient tout pour quelqu’un », a dit Kennedy Agoi Lumadede, un responsable de Vétérinaires Sans Frontières-Suisse (VSF-Suisse), en montrant les tas d’os le long de la piste poussiéreuse qui relie les deux districts.

« Ils [les animaux] sont comme des membres de notre famille », a dit d’une voix émue Abdille Muhameddu village de Garse Koftu alors qu’il était agenouillé à côté du cadavre de sa dernière vache. « J’ai mis 20 ans à constituer ce troupeau [composé de 40 têtes de bétail et de 270 chèvres] –on les élève comme des enfants.

Nous partagions l’aide alimentaire que nous recevions avec cette vache », a-t-il dit. Dès le départ, ils n’avaient pas suffisamment de nourriture. M. Muhamed, ses deux femmes et ses 12 enfants, étaient revenus dans son village alors qu’il ne lui restait plus qu’une vache.

La population du village survit grâce à l’aide alimentaire depuis près d’un an. « Mais au moins cinq ou six familles reviennent au village chaque jour, une fois que leurs animaux sont morts », a indiqué un habitant. « Chaque famille voit sa ration alimentaire diminuer chaque jour–nous avons suffisamment de nourriture pour une semaine seulement [à partir du jour où elle est distribuée] ».

Comme beaucoup d’autres, M. Muhamed avait marché de quatre à cinq heures par jour pour récupérer les œufs dans les nids des quelques rares arbres restants et nourrir sa vache. « C’est le dernier coin de verdure dans le désert. Mes animaux ont travaillé avec moi et m’ont suivi sur de longues distances–c’était mon devoir ».

Abdullah Mohamed from Kiliwehiri village in Mandera distrct in Kenya's North Eastern province lost his entire herd (40 cattle) to the drought
Photo: Jaspreet Kindra/IRIN
Abdullah Mohamed du village de Kiliwehiri
La famine menace

Wajir se trouve également dans une situation proche de la famine. Les deux dernières vaches du village de Garse Koftu tirent sur un morceau de tissu et un sac de nourriture vide. « Nous avons même entendu parler de vaches qui essayaient de manger du sable », a dit Muna Ahmed de l’organisation non gouvernementale (ONG) Arid Lands Development Focus Kenya, basée à Wajir.

M. Muhamed a dit : « Aujourd’hui [le jour où il a perdu sa dernière vache] est un jour très triste, mais je savais que cela arriverait –le plus dur a été la fois où j’ai perdu 17 chèvres en un seul jour. »

« Maintenant que ces membres de ma famille sont morts, je m’inquiète pour mes autres enfants ». Comme l’on pouvait s’y attendre, ses 12 enfants ne sont pas en bonne santé non plus. Cela fait presqu’un an qu’ils n’ont pas bu de lait et depuis le début de l’année, ils mangent rarement plus d’un repas par jour.

Tout l’argent qu’il avait mis de côté grâce à la vente du lait et de ses chèvres a été investi dans l’achat d’autres animaux. Cette année, le prix des vaches s’est effondré, passant de près de 8 000 shillings kenyans (environ 88,50 dollars) à environ 5 800 shillings (64 dollars) pour une vache. Sa vache, émaciée, ne lui aurait même pas rapporté cette somme.

Mais si M. Muhamed avait eu accès à un programme de déstockage, comme celui mis en œuvre par VSF, il aurait pu mettre fin à la vie de ses animaux d’une manière plus humaine, et recevoir de l’argent.

VSF-Suisse met en œuvre les Normes et directives pour l’aide d’urgence à l’élevage (LEGS) lors d’interventions telles que le déstockage. « Mais malheureusement, nous ne couvrons qu’une petite partie du district de Mandera –tout le monde travaille avec des ressources limitées », a dit M. Lumadede.

De toute façon, convaincre les éleveurs de se séparer de leur bétail est extrêmement difficile, « en raison de leur relation avec les animaux et du fait que les éleveurs sont d’incorrigibles optimistes –ils pensent toujours qu’il pleuvra peut-être le lendemain et que la situation s’améliorera », a ajouté M. Lumadede.

Les pâturages de Mandera et Wajir étant complètement épuisés, les bergers sont partis vers l’Éthiopie avec leurs troupeaux dans l’espoir de trouver des herbages et de l’eau.

« Mais leurs animaux sont trop faibles–ils vont probablement mourir avant d’être arrivés là-bas », a dit M. Muhamed.

Alors que M. Mohamed racontait son histoire à Mandera, les informations diffusées par une radio faisaient état des contraintes budgétaires dans le cadre du régime des retraites publiques en Italie.

« Tout le monde souffre sur cette planète », a dit un Kenyan présent dans notre entourage. Mais les animaux de M. Muhamed et de M. Mohamed représentaient bien plus que de simples économies.

jk/js/mw – mg/og


This article was produced by IRIN News while it was part of the United Nations Office for the Coordination of Humanitarian Affairs. Please send queries on copyright or liability to the UN. For more information: https://shop.un.org/rights-permissions

Partager cet article

Get the day’s top headlines in your inbox every morning

Starting at just $5 a month, you can become a member of The New Humanitarian and receive our premium newsletter, DAWNS Digest.

DAWNS Digest has been the trusted essential morning read for global aid and foreign policy professionals for more than 10 years.

Government, media, global governance organisations, NGOs, academics, and more subscribe to DAWNS to receive the day’s top global headlines of news and analysis in their inboxes every weekday morning.

It’s the perfect way to start your day.

Become a member of The New Humanitarian today and you’ll automatically be subscribed to DAWNS Digest – free of charge.

Become a member of The New Humanitarian

Support our journalism and become more involved in our community. Help us deliver informative, accessible, independent journalism that you can trust and provides accountability to the millions of people affected by crises worldwide.

Join