Les Nations Unies avaient commandé ce rapport dans le cadre d’un changement de politique relative à la sécurité : envisager des façons de continuer à mener des programmes dans des environnements à haut risque, plutôt que définir des seuils à partir desquels l’aide est tout simplement coupée. « Plus le programme est crucial pour la survie et le bien-être des populations, plus on peut accepter un taux de risque élevé, » a dit Valérie Amos, l’actuelle Coordinatrice des secours d’urgence, en présentant les résultats du rapport à l’Institut norvégien des affaires internationales en mars 2011.
Jan Egeland, le directeur de l’Institut et coordinateur du rapport, contacté à New York par IRIN à l’occasion de la publication, a qualifié l’approche des agences en matière de sécurité au cours des deux dernières décennies d’« inconscience, suivie d’une période de bunkérisation [liée en partie à l’attaque du 19 août 2003 contre le siège de l’ONU en Irak] ; ce qui nous a menés à la gestion des risques actuelle. »
Cette nouvelle démarche met l’accent sur la réduction des risques de façon à ce que les programmes puissent être poursuivis, plutôt que sur l’environnement opérationnel, a dit Robert Painter, spécialiste des questions de sécurité au Département des Nations Unies de la sûreté et de la sécurité (UNDSS). « Cette approche est mieux ciblée, moins lourde et nous permet d’être plus efficaces, » a t-il dit à IRIN.
L’amélioration de la sécurité des personnels pose de plus en plus de problèmes aux agences humanitaires, étant donné les dangers toujours plus grands auxquels les travailleurs humanitaires sont confrontés : une centaine d’entre eux meurent chaque année et 200 sont enlevés ou blessés au cours d’attaques qui sont de plus en plus dues à des motivations politiques ; ce qui constitue une augmentation significative par rapport à la situation telle qu’elle était il y a dix ans, souligne l’étude. Les pays les plus dangereux pour l’assistance humanitaire sont l’Afghanistan, le Soudan et la Somalie.
Se faire accepter, et non pas diviser
Au cours des dernières années, la tendance parmi certaines organisations humanitaires a été, face à de nouvelles menaces, la « bunkérisation » : des bureaux cloîtrés dans des quartiers entourés de murs, des véhicules blindés et des gardes armés. Mais ce genre d’approche risque de semer la division et de renforcer les perceptions erronées concernant les humanitaires et leurs visées occidentales, expliquent les auteurs du rapport, Adele Harmer et Abby Stoddard.
Exemples de bonne pratiques concernant la sécurité | |
Travailler ensemble : En Cisjordanie dans les Territoires palestiniens occupés, une équipe spéciale d’OCHA a négocié l’accès au nom de tous les travailleurs humanitaires enregistrés. |
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En Somalie, des ONG ont mis au point des règles collectives de base sur la livraison de l’aide humanitaire, interdisant tout paiement pour assurer l'accès aux humanitaires, ainsi que les transferts de denrées humanitaires aux parties prenantes du conflit pour pouvoir distribuer. |
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Recrutement créatif : En Somalie, des ONG ont recruté du personnel dans la diaspora. Le Centre d’action antimines des Nations Unies en Afghanistan a formé des locaux au déminage. |
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Suivi de programme à distance : Le Programme alimentaire mondial utilise des responsables de suivi des programmes locaux en Afghanistan, au Yémen et en Somalie, pour évaluer la qualité. L’Agence des Nations Unies pour les réfugiés, le HCR, a établi en Irak un système de suivi par Internet : les partenaires locaux publient des photos de projets de reconstruction des maisons dans une base de données collective pour que les responsables puissent évaluer [les projets]. |
Selon Harmer et Stoddard, être capable d’identifier qui détient le pouvoir et pourquoi peut aider les agences à mieux cibler leur stratégies pour se faire accepter. En Afghanistan en 2005, l’ONG Save the Children avait obtenu de bons résultats en reconnaissant les anciens traditionnels comme ceux qui avaient les rênes en main. Elle préparait des protocoles d’accord dans lesquels les anciens définissaient les rôles et responsabilités de chaque partie.
Pour favoriser l’acceptation de façon efficace, les groupes humanitaires doivent conserver leur capacité à négocier avec toutes les parties d’un conflit, a dit M. Egeland, une pratique à laquelle certains Etats-membres de l’ONU ont pris l’habitude de mettre un frein. Le Hezbollah, le Hamas, les talibans et Al Shabab ont été étiquetés comme « terroristes » et sont de ce fait devenus inacceptables comme interlocuteurs. « Soudainement, l’ancien principe de toute action en zone de conflit - « s’entretenir avec le diable pour aider les victimes de l’enfer » - n’a plus cours. Il nous faut revenir aux principes humanitaires pour avoir accès à toutes les parties [du conflit], » a t-il insisté.
Une protection intelligente
Certes les principes humanitaires et les efforts pour se faire accepter sont des objectifs essentiels, mais les groupes humanitaires doivent aussi réfléchir soigneusement au genre de message que les protocoles de sécurité peuvent envoyer [à la population] : les escortes armées et les véhicules blindés peuvent être des symboles de division et de différence, font remarquer Harmer et Stoddard.
Plutôt que de faire appel à des gardes armés, les agences humanitaires pourraient envisager de louer les services de policiers locaux en civil ; plutôt que de voyager dans des véhicules blindés, elles pourraient louer des taxis ou retirer les signes distinctifs de leurs véhicules, comme l’ont fait certaines au Pakistan.
Une protection intelligente, dit le rapport, implique également de protéger des zones plutôt que des individus, justifiant le changement d’approche adopté par l’UNDSS. C’est ce qu’ont fait les ONG internationales au Nord Darfour, en négociant avec les autorités et la police locales pour installer des points d’observation, en multipliant les patrouilles de police, en installant plus de postes de contrôle et en augmentant le nombre des zones sans armes. « Ce genre de protection intelligente devient une proposition gagnant-gagnant.. quand elle satisfait à la fois les normes de sécurité des autorités nationales et l’objectif de discrétion des organisations humanitaires, » a dit Mme Amos dans son discours de mars.
Mais quelquefois, la meilleure protection est de retirer carrément le personnel international, comme beaucoup d’agences humanitaires ont dû le faire en Somalie. La qualité des programmes et la sécurité du personnel n’ont pas à en souffrir, si les agences font une priorité de la formation de personnel et du développement au niveau national, et si elles contribuent à l’amélioration de la sécurité du personnel national en l’aidant à faire profil bas, par exemple en travaillant chez soi.
Malgré un grand nombre de rapports soulignant ce problème, la sécurité des personnels nationaux continue à être négligée par les ONG internationales, dit le rapport. Beaucoup d’acteurs de terrain reçoivent, aujourd’hui encore, moins de formation que les directeurs qui travaillent aux sièges. « On investit souvent très peu dans les personnels nationaux, et encore moins dans les ONG locales, » a dit M. Egeland. Ceci nous amène à une question éthique et stratégique : Les organisations humanitaires seraient-elles réticentes à prendre des risques avec leur propre personnel international, alors qu’elles n’hésiteraient pas à en prendre quand il s’agit de partenaires et d’ONG locaux ?
Pour mettre en oeuvre ces changements, entre autres, bon nombre d’agences humanitaires vont devoir changer d’attitude, a dit M. Egeland. Et la gestion des risques sécuritaires doit faire partie intégrante de la planification et de l’établissement des coûts de tout programme quel qu’il soit, notamment dans les zones dangereuses.
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