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Politique de l’identité, le conflit de Jos – Analyse

Home destroyed in religious violence, Jos Obinna Anyadike/IRIN
Une maison détruite lors d’une flambée de violences intercommunautaires dans le Nord (photo d’archive)
Le révérend Zang Tengong est certain qu’une guerre de religions est sur le point d’être livrée pour l’âme du Nigeria et pense que la ville de Jos, dans le centre du pays, est le front où sera freinée l’expansion de l’Islam vers le sud.

L’église qu’il a fondée à Bukuru, dans le sud de Jos, est sortie relativement indemne de l’attaque menée contre la communauté chrétienne, le 19 janvier. Ses murs sont noircis autour des fenêtres, où les assaillants ont enfoncé des chiffons imbibés d’essence, mais son haut toit de zinc a en grande partie survécu à la chaleur des flammes.

Les habitations environnantes ont eu moins de chance : rasées au cours de l’attaque, une vingtaine d’entre elles au moins sont aujourd’hui abandonnées, leurs propriétaires vivant désormais dispersés dans d’autres quartiers.

Bukuru a été l’un des théâtres d’une vendetta entre les communautés de l’Etat du Plateau, qui a fait des centaines de morts depuis le mois de janvier. La situation tendue est sous la surveillance de militaires présents en grand nombre, mais les « massacres silencieux » se poursuivent et selon M. Tengong, la reprise d’affrontements de grande ampleur n’est qu’une question de temps.

Comme bien d’autres dignitaires chrétiens de la ville, M. Tengong est convaincu que l’Eglise se heurte au djihad – écho de la campagne menée au 19e siècle par Ousman Dan Fodio, aristocrate foulani, pour la conquête islamique et la conversion des populations à l’Islam, une entreprise finalement freinée par la zone forestière du sud du Nigeria et les collines de l’Etat du Plateau.

M. Tengong prêche auprès de sa congrégation depuis 52 ans, mais en ce moment, la paix n’est pas un thème qu’il aborde dans ses sermons. Il prend au contraire un plaisir sinistre à observer qu’au sein de sa communauté, située le long de l’autoroute très fréquentée qui mène à la ville, bien plus de musulmans que de chrétiens ont trouvé la mort pendant les flambées de violences de janvier.

« Je sais ce que dit Jésus, mais l’Islam est une religion démoniaque », a-t-il dit à IRIN. « Ces gens sont très dangereux, nous les connaissons ; c’est une guerre de religions … nous nous battrons jusqu’à la dernière goutte de sang ».

Toutefois, la religion ne suffit pas à expliquer la crise qui touche Jos. Les appartenances ethniques, les pouvoirs politiques, la discrimination et les craintes d’une extinction des cultures sont autant d’autres facteurs de poids qui échauffent les esprits dans cette ville cosmopolite, autrefois considérée comme tranquille.

« Le vrai clivage oppose les populations indigènes, qui revendiquent la propriété des terres, et ceux qu’elles surnomment les colons », a dit Nelson Ananze, de Community Action for Popular Participation (CAPP), une organisation non gouvernementale (ONG).

L’histoire

L’église de M. Tengong se situe à quelques kilomètres du grand marché de Bukuru, et du domicile d’Ali Muhammed, chef de la communauté haoussa de Jos Sud. La demeure de ce dernier a été construite par son arrière-grand-père, et M. Muhammed fait passer autour de lui la copie du certificat qui lui a été remis en 1942, alors qu’il occupait la fonction de chef du village de Bukuru, par le roi George de Grande-Bretagne, en reconnaissance de ses 33 années de « bons et loyaux services ».

Les Haoussas, presque tous musulmans, représentent l’un des trois principaux groupes ethniques du Nigeria. Ethnie majoritaire dans le nord, ils ont commencé à s’installer à Jos au début des années 1900, attirés par les emplois que leur offrait le secteur de l’extraction d’étain. Durant la première moitié du siècle, l’Etat du Plateau était placé sous l’autorité de l’émirat haoussa-foulani voisin, comme cela convenait à l’administration coloniale de l’époque ; il a continué à faire partie du nord jusqu’à l’adoption d’un système fédéral au Nigeria, en 1967.

Ce que M. Muhammed se demande, comme d’autres leaders haoussas, c’est jusqu’à quand il faut remonter pour pouvoir prétendre au statut d’indigène ? Leurs ancêtres vivaient au Plateau avant que le Nigeria existe, et ils se donnent eux-mêmes le nom de Jasawa (« peuple de Jos »). Selon eux, le droit de citoyenneté étant garanti par la Constitution, l’origine ne devrait pas importer.

Chair melted in the heat of the blaze in a Jos church, torched in religious violence
Photo: Obinna Anyadike/IRIN
Les églises et les mosquées ont été incendiées
Les trois groupes ethniques « originaux » qui se revendiquent les habitants légitimes de Jos (les Beroms, les Anagutas et les Afizeres, en grande partie chrétiens) insistent au contraire pour qu’elle entre en ligne de compte. Le haoussa est la lingua franca acceptée dans l’Etat du Plateau, les habitants portent souvent l’habit haoussa, mais « on reconnaît le vrai Haoussa, et on l’assimile à l’Islam », a dit M. Ananze.

Fondamentalement, les trois groupes indigènes craignent leur extinction, face aux Haoussas, qui dominent le secteur du commerce et sont plus nombreux, ce qui se traduira inévitablement par un pouvoir politique, a expliqué Ezekiel Gomos, président par intérim du Conseil régional de gestion et d’apaisement des conflits (CMMRC).

« Ils s’inquiètent pour l’avenir de leurs enfants », a dit M. Ananze. « Un Haoussa peut toujours retourner rapidement à Kano [la plus grande ville du nord du pays] s’il arrive quoi que ce soit ; tandis qu’un habitant du Plateau n’a nulle part où aller ». Les colons yorubas et igbos (les deux autres principaux groupes ethniques nigérians) ont aussi migré à Jos avant l’indépendance, mais ne revendiquent pas de droit de propriété indigène.

Le contrôle politique par les Haoussas de Jos Nord, cœur économique de l’Etat, s’est heurté à une résistance farouche, élément déclencheur des émeutes qui ont eu lieu en 2008 et auraient fait 700 morts ; la zone restera probablement une poudrière à l’approche des élections de 2011.

Bien que les Haoussas constituent probablement l’ethnie la plus nombreuse de toutes, les populations refusent d’accepter la nomination à Jos Nord d’un chef suprême haoussa, qui aurait un statut égal à celui du chef traditionnel local actuellement en fonction ; une expression plus que symbolique de leur identité ethnique.

La politique

M. Muhammed et la communauté haoussa expriment eux aussi d’importants griefs. « A Bukuru, aucun musulman ne travaille pour le gouvernement local ; ils ne nous emploient pas, ne nous délivrent pas de documents pour indigènes [qui permettent de bénéficier d’un accès préférentiel à l’emploi dans les secteurs de l’enseignement et de l’administration publique], ne nous donnent pas de contrats [d’affaires] », s’est-il plaint. « Nous n’avons pris les terres de personne, nous respectons leur chef suprême ».

La communauté musulmane a retiré tous ses candidats aux élections municipales de 2008, à Jos Sud, dans « l’intérêt de la paix », et s’attendait à en être récompensée. Mais les autorités régionales et municipales semblent au contraire lui avoir serré la vis ; un exemple extrême : elles souhaitent réinstaller le marché de Bukuru dans un cimetière musulman.

« La plupart des membres de notre communauté sont en train d’aiguiser leurs couteaux en prévision de la prochaine crise », a dit M. Muhammed. Les non-Haoussas chassés du marché et des alentours par l’incendie, et dont les boutiques et les églises ont été rasées, ne sont pas revenus. « Comment garantir leur sécurité quand on ne peut même pas assurer la nôtre ? ».

Les flambées de violence qui ont eu lieu cette année ont éclaté le 17 janvier, lorsqu’un musulman s’est vu empêché de reconstruire sa maison dans un quartier majoritairement chrétien. Le commissaire de la police d’Etat a déclaré – à tort - qu’une église avait également été la cible d’une attaque, et la ville a été paralysée par les troubles. Une escalade de massacres sanglants s’est ensuivie : un village foulani a notamment été attaqué à Kuru Karama, et un raid de représailles a été lancé sur une communauté berome, à Dogo Nahauwa, en février. Trois bergers foulanis ont trouvé la mort au cours des dernières flambées de violence, qui se sont déroulées le 23 mai, et l’on craint des représailles.

Les Foulanis et les Haoussas sont de culture commune, mais les vrais Foulanis restent nomades – leur bétail est considéré comme un bonus au cours des échauffourées. Les vols de bétail ajoutent à leur rancœur et à la complexité du problème, les Foulanis pouvant appeler à l’aide les membres de leur famille qui vivent dans les pays voisins.

Selon Boniface Igomu, du projet de l’USAID pour la lutte contre les conflits par le biais de la médiation locale, la possibilité d’une reprise des troubles est évidente. Toutefois, malgré l’existence de structures de paix, il manque une intervention efficace de la part des autorités locales et étatiques. « Le gouvernement porte un intérêt croissant à ce problème, mais son degré d’impartialité est un facteur important ».

Extrémisme

A en croire Muhammad Sani Mudi, porte-parole de la communauté musulmane de Jos, le gouverneur Jonah Jang est lui-même la source du problème. M. Mudi, politicien de carrière, accuse M. Jang, premier Berom à gouverner le Plateau, d’être un extrémiste partisan qui n’a pas encore condamné l’attaque menée à Kuru Karama et n’encourage pas les efforts de paix sincères.

Frisking civilians at check point, Jos
Photo: Obinna Anyadike/IRIN
L’armée tente de contenir les troubles
« Dans la mentalité extrémiste, le meilleur moyen de régler la question Haoussa/Berom, c’est d’appliquer toutes les formules, y compris la force, destinées à chasser les Haoussas », a déclaré M. Mudi à IRIN. « Ce n’est pas un gouvernement pour tous : il s’exprime au nom de l’autre communauté ».

Pour le révérend Tengong, en revanche, M. Jang est un « commando ; s’il n’était pas là, ces gens [les Haoussas] auraient causé notre perte ». Selon de nombreux Beroms, M. Jang est un homme prêt à tenir tête à ses ennemis non seulement au Plateau, mais aussi au sein de la direction nationale de son propre parti, le Parti démocratique du peuple, au pouvoir, et à un gouvernement fédéral dont l’action est traditionnellement jugée comme discriminatoire envers les populations indigènes.

« Nous avons des choix difficiles à faire, des décisions délicates à prendre », a dit M. Gomos du CMMRC. « Avant, je pensais [à propos des “colons”] comme la majorité des gens, mais je me suis rendu compte qu’il faudrait alors que nous nous battions sans cesse ».

Selon lui, le conflit actuel masque la question de la responsabilité ; sans le facteur d’unité que représentent les Haoussas, les trois peuples indigènes se disputeraient probablement entre eux le statut de « propriétaire suprême » de Jos, et l’affectation des ressources de l’Etat. Son opinion est pragmatique : le pouvoir économique des Haoussas est une réalité, et leur contrôle politique à Jos Nord devrait être accepté, et non considéré comme un jeu à somme nulle.

« Les gens disent “plutôt mourir”, mais ça arrivera, c’est de l’histoire ancienne. En revanche, le point sur lequel nous ne pouvons pas faire de compromis, ce sont les chefferies. La représentation politique repose sur une volonté démocratique, mais ce n’est pas le cas des chefferies ; les institutions traditionnelles devraient rester aux mains des peuples indigènes », a dit M. Gomos.

Il est quasi certain que la force militaire opérationnelle conjointe, reconnaissable par ses uniformes de camouflage spécialement adaptés au désert – adoptés après qu’il fut signalé que des tueurs se faisaient passer pour des soldats -, restera au Plateau à court terme. Néanmoins, de nombreux facteurs jouent en défaveur de la paix à Jos : avant tout, les gangs de jeunes sans emploi qui ne trouvent guère d’intérêt à la stabilité, la culture politique de l’impunité, les allégations d’ingérence d’importantes personnalités politiques, et les élections cruciales de l’année prochaine.

Optimist Habila, de CAPP, n’est pas aussi optimiste que son nom l’indique. « C’est une situation très, très difficile », a-t-il dit à IRIN. « Nous devons sensibiliser les populations ; leur dire “ces assoiffés de pouvoir, ces politiciens se servent de vous ; qu’est-ce que la violence vous apporte ?” Et nous devons créer des emplois pour permettre à cette multitude de gens qui s’impatientent de trouver quelque chose à faire ».

oa/mw/nh/ail

This article was produced by IRIN News while it was part of the United Nations Office for the Coordination of Humanitarian Affairs. Please send queries on copyright or liability to the UN. For more information: https://shop.un.org/rights-permissions

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