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Du danger de promettre la protection

A man holds his child who has been wounded by an explosion in recent fighting, at an Outreach Therapeutic Centre Programmes (OTPs) on the edge of the African Union (AU) peacekeeping military base on April 3, 2010 in Mogadishu Siegfried Modola/IRIN
A man holds his child who has been wounded by an explosion in recent fighting in Mogadishu
Le Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR) et le Comité International de la Croix-Rouge (CICR) protègent les civils depuis des décennies. Toutefois, la protection en tant que réponse de la communauté humanitaire est relativement récente et définie approximativement : certains experts mettent ainsi en garde contre les dangers de faire des promesses qui ne peuvent pas être tenues.

Les cinq premières ONG ont fait de la protection une de leurs principales activités ; un groupe de responsabilité sectorielle protection dirigé par des membres du HCR a été mis en place dans le cadre des réformes humanitaires ; et la protection fait partie de la plupart des appels humanitaires.

Ce qui pose problème, c’est que la définition de ce terme varie selon les organisations : les mandats de protection du HCR et du CICR sont définis par le droit international ; d’autres organisations humanitaires ont tendance à se concentrer sur la protection des personnes contre la violence, la maltraitance et l’exploitation ou à adopter une approche plus globale en vue de protéger les droits des civils, notamment le droit à un abri, l’accès à l’eau et à l’éducation ; d’autres encore adoptent ces deux approches. IRIN a interrogé plusieurs spécialistes de la protection humanitaire afin de faire le point sur ces différentes approches.

Marc DuBois, directeur général de la section britannique de l’organisation médicale mondiale Médecins sans frontières, a longuement écrit et débattu sur les dangers pour les travailleurs humanitaires de promettre un certain niveau de protection et de risquer par là-même de minimiser la responsabilité des auteurs de violence et de mauvais traitements dans les situations de crise.

Il a récemment exprimé son point de vue sur « les feuilles de vigne et les autres illusions de la protection » [Fig leaves and other delusions of protection] dans le magazine Humanitarian Exchange, publié par la cellule de réflexion britannique Overseas Development Institute.

Bo Viktor Nylund, spécialiste de la protection de l’enfance du Fonds des Nations Unies pour l'enfance (UNICEF), a guidé la réflexion sur l’approche de l’organisation en Haïti et au Darfour, entre autres, et a rédigé de nombreuses publications sur le sujet.

Bill Forbes, directeur adjoint de la branche protection de World vision international, une ONG confessionnelle qui intervient dans le domaine de l’urgence, dirige les programmes pour les enfants des rues, les enfants touchés par les conflits armés, l’exploitation sexuelle et la violence sexiste, ainsi que les programmes de lutte contre la traite des enfants.

Ruvendrini Menikdiwela, directrice adjointe de la Division de la protection internationale du HCR, coordonne le groupe mondial de responsabilité sectorielle protection composé de 40 organisations de protection d’urgence, qui est intervenu en Côte d'Ivoire, en Colombie, en Éthiopie, au Liban, au Pakistan, dans la Corne de l’Afrique et en Haïti.

QUESTION : Comment définissez-vous le rôle de protection de votre organisation et ses limites ?

RÉPONSE : Marc DuBois, MSF Grande-Bretagne – Nous avons du mal à définir le terme-même de « protection ». Au sein de MSF, il existe différentes approches et il n’y a pas de consensus. Répondre aux crises humanitaires implique davantage que la simple distribution de biens et de services ; si un peuple est confronté à des violences, il a besoin de davantage que de l’aide et les travailleurs humanitaires devraient se féliciter de franchir la barrière de l’ « aide seulement ».

Les limites de la protection proposée par MSF ne sont pas absolues. Nous pouvons essayer d’empêcher les gens placés aux postes de contrôle de harceler les patients qui passent les frontières pour obtenir une aide médicale ; nous pouvons concevoir nos propres programmes pour réduire la violence, [comme] fournir des tentes aux haïtiens de manière à éviter les émeutes, mais nous ne pouvons pas intervenir et mettre fin aux violences et aux maltraitances physiques – la limite est claire.

RÉPONSE : Bo Viktor Nylund, UNICEF – Notre définition du terme « protection » diffère sensiblement. La stratégie de protection de l’enfance de l’UNICEF de [2008] indique [qu’elle a pour objectifs de] « prévenir les situations de violence, d’exploitation et de maltraitance et d’y répondre afin de garantir les droits des enfants en matière de survie, de développement et de bien-être ». Au sein du groupe de responsabilité sectorielle protection, l’UNICEF adhère également à une définition inter-agences plus large et fondée sur les droits.

Lorsque que nous collaborons avec un gouvernement ou des acteurs non-étatiques sur la question de la protection des civils contre la violence ou les maltraitances, nous ne devons pas oublier leur responsabilité. Nous sommes là pour les aider, pour voir comment ils protègent leur peuple de la violence.

Nous ne pouvons pas... être l’organisation qui prend ces responsabilités. En Haïti, lorsque la police n’était pas présente et que les personnes déplacées subissaient des violences, nous ne pouvions pas rester les bras croisés et ne rien faire, nous avons donc essayé d’aider les forces de police encore présentes à intervenir.

Nous les avons aidées à mettre en place des équipes. C’est ainsi que la police a commencé à surveiller les aéroports afin de s’assurer que les enfants avaient les documents nécessaires pour quitter le pays et n’étaient pas victimes de traite d’enfants.

Au Sri Lanka, nous avons recommandé que les enfants recrutés au sein des forces armées gouvernementales soient relâchés, mais nous n’avons pas envoyé de fournitures pour aider les forces de police ou donné de l’argent qui pourrait être utilisé d’une façon qui aggraverait le conflit. La frontière est mince ici.

Il peut se révéler plus difficile d’encourager... les acteurs non-étatiques à s’occuper des violations... Ainsi, comme le mouvement des LTTE (Tigres de libération de l’Eelam tamoul) au Sri Lanka est un groupe rebelle organisé, le gouvernement du pays n’accepterait pas que des personnes étrangères apportent leur aide aux LTTE afin qu’ils renforcent leur capacité de protection.

RÉPONSE : Bill Forbes, World vision – World vision s’est engagée à faire tout son possible afin que ses activités ne mettent pas les enfants en danger. Nous nous définissons comme une « organisation sans danger pour les enfants »... [qui] agit notamment au niveau de la prévention, de la réponse et de la protection dans le domaine des violences, des négligences et des autres formes de violence faites aux enfants.

Nous ne pouvons pas promettre que les enfants qui font partie des communautés que nous ciblons seront en sécurité. Nous ne prenons pas d’engagement en matière de sécurité, sauf celle de ne pas mettre les personnes qui participent à nos activités en danger. Cependant, étant donné que nous travaillons dans des cadres instables, cela doit être souligné dans chaque situation de crise.

RÉPONSE : Ruvendrini Menikdiwela, HCR – Nous définissons ce mot à la fois [en fonction] du contenu et des personnes auxquelles nous apportons de l’aide, à savoir les réfugiés, les apatrides, les rapatriés et les personnes déplacées. Nous n’avons pas de définition générique du terme protection.

En ce qui concerne la protection des réfugiés, nous respectons l’ensemble des droits définis dans la convention de 1951 relative au statut des réfugiés ainsi que dans les Conventions de 1954 et 1961. Pour ce qui est des personnes déplacées, il n’y a pas de traité international légalement contraignant, nous nous fondons donc généralement sur les principes directeurs de 1988.

Les quelques 40 membres du groupe de responsabilité sectorielle protection ont adopté une définition qui précise que les activités de protection doivent respecter les droits des individus à la lettre et dans l’esprit des lois pertinentes, notamment le droit humanitaire international, les droits humains et les droits des réfugiés.

QUESTION : Sachant que seules quelques organisations ont la même définition du terme « protection humanitaire », faudrait-il l’abandonner ? Les organisations devraient-elles simplement définir les activités que ce terme recouvre – l’aide à la santé mentale, les rapports sur les violations des droits de l’homme, etc. ?

RÉPONSE : M. DuBois, MSF Grande-Bretagne – Il n’y a pas de raison de l’abandonner. Ce terme nous aide en interne et nous incluons la protection dans nos projets. Nous savons ce que nous entendons par protection humanitaire, mais le public a une interprétation différente. Il pense que nous proposons principalement une protection physique, comme lorsque les forces armées empêchent les méchants de faire du mal aux gentils.

[Dans le magazine Humanitarian Exchange, M. DuBois a posé la question suivante : « Si vous marchez dans la rue et que vous voyez un groupe de personnes battre un enfant, laquelle de ces actions considéreriez-vous comme une action de protection » ?

1. Traverser la rue en courant et contrôler l’agresseur.
2. Continuer à marcher. Demander à ce que la rue soit mieux éclairée.
3. Rentrer chez vous en courant et noter les faits dont vous avez été témoin afin de faire une déclaration.
4. Rendre visite à la famille de la victime et lui proposer des vêtements pour remplacer ceux qui ont été abîmés.

Selon M. DuBois, les travailleurs humanitaires ont considéré que toutes ces actions relevaient du domaine de la protection humanitaire, tandis que le public a principalement cité la première réponse.]

RÉPONSE : M. Nylund, UNICEF – [Si le terme de protection humanitaire est abandonné], nous risquons de perdre les 20 années passées à [lui] donner du sens. Les organisations ont toutes une définition différente de ce que le terme recouvre, mais il faut espérer que nous nous complétons sur le terrain. Si nous faisions tous la même chose, nos actions ne seraient pas suffisantes.

RÉPONSE : Mme Menikdiwela, HCR – Quelle que soit l’aide apportée, elle est liée aux droits humains fondamentaux et à la protection. On ne peut pas l’abandonner. Chaque organisation interprète les paramètres en fonction de son domaine d’intervention : la protection des enfants pour l’UNICEF, la protection des droits humains pour le Haut commissariat aux droits de l’homme (HCDH), la protection des réfugiés pour le HCR. Tout l’intérêt vient de la diversité.

En tant qu’organisations, nous sommes encore loin d’être parfaites, mais la diversité a du bon. Notre défi consiste à s’assurer que les réponses proposées en matière de protection couvrent les différents aspects... [et] que les personnes déplacées, les femmes exposées au risque de violence sexuelle et les enfants seuls soient tous pris en charge en période de crise.

QUESTION : Selon M. DuBois, les organisations humanitaires définissent trop le mot protection par ce qui peut être accompli et ce qui ne peut pas l'être, et la responsabilité des auteurs de violence est oubliée. Qu’en pensez-vous ?

RÉPONSE : M. Forbes, World vision – Je pense que sa remarque est pertinente, car les ONG prennent parfois trop de responsabilités vis-à-vis de la situation, comme si leur manque d’efficacité en était la cause, ce qui est une illusion et une erreur.

Cependant, je pense aussi que la dichotomie entre ce que les ONG peuvent faire et la situation dans la communauté est fausse, puisque le but d’une grande partie du travail de protection est de renforcer l’environnement protecteur dans les communautés ou de plaidoyer pour lutter contre les causes de la violence.

Les ONG qui accomplissent un bon travail de protection renforcent en fait la capacité des communautés et des acteurs à aborder les questions de protection, et notamment à répondre aux agresseurs et à les arrêter.

RÉPONSE : Mme Menikdiwela, HCR – Je ne suis pas d’accord [avec M. DuBois]. Si vous analysez l’action des travailleurs humanitaires en République démocratique du Congo, dans l’est tchadien, au Darfour et au Sud-Soudan, vous constatez que les situations politiques étaient complexes. Cependant, aucun travailleur humanitaire ne dit « voilà ce que nous pouvons faire pour résoudre la crise ».

Ils font simplement de leur mieux. Amener les auteurs de violence devant la justice ne fait pas partie de la mission d’une organisation humanitaire. En le faisant, nous compromettrions le mandat humanitaire. Nous devons toujours maintenir le domaine humanitaire à l’écart de la branche politique des Nations Unies – cela concerne toutes les organisations humanitaires –, mais nous impliquer davantage dans le domaine de la protection est une bonne chose.

QUESTION : Certains soutiennent que les donateurs financent une bureaucratie de la protection qui prend davantage d’ampleur au lieu de s’engager dans d’autres types de protection, les écartant jusqu’à un certain point. Qu’en pensez-vous ?

RÉPONSE : M. DuBois, MSF Grande-Bretagne – Les États qui ont le devoir d’intervenir doivent tenir compte de la politique mondiale. Ainsi, en déclarant qu’ils financent les activités de protection, ils se protègent de la même façon qu’ils pouvaient autrefois dire qu’ils fournissaient une aide humanitaire pour répondre à une crise politique plutôt que d’y répondre en la considérant comme un problème politique.

Financer la protection n’est pas une mauvaise idée – nous avons besoin de militants et d’organisations des droits humains qui s’expriment sur les violences commises – mais cela ne représente qu’une pièce d’un grand puzzle.

RÉPONSE : M. Forbes, World vision – Je pense qu'à la fois les fonds liés à la sécurité et la protection liée à la bureaucratie [la place grandissante de l’administration dans le travail de protection, y compris dans le groupe de responsabilité sectorielle protection et les services de protection au sein des ONG] ne sont pas assez financés. Peut-être les ONG utilisent-elles les fonds disponibles au niveau bureaucratique car elles n’ont pas suffisamment de fonds pour faire davantage ? Il incombe en partie aux ONG de fournir des preuves et de démontrer leurs bonnes pratiques pour obtenir davantage de fonds.

RÉPONSE : M Nylund, UNICEF – Je n’ai pas lu d’études comparant les dépenses effectuées pour la protection liée à la sécurité [comme les opérations de maintien de la paix] et pour les activités de protection humanitaire, mais je confirme que notre travail de protection des enfants ne se fonde pas que sur des logiciels et qu’il peut se révéler très onéreux. Au Soudan, nous avons soutenu la police pour mettre en place des unités de protection des enfants et de la famille ; ces unités sont désormais présentes dans chaque État et la police a investi davantage que l’UNICEF ; cela a représenté un investissement considérable.

Les organisations doivent s’adresser aux donateurs de manière cohérente et proposer une estimation raisonnable pour le financement de la protection ; nous devrions également trouver une solution pour demander davantage de fonds. Il ne s’agit pas pour l’instant d’une priorité stratégique pour les Nations Unies.

QUESTION : Quelles sont selon vous les lacunes les plus importantes dans le domaine de la protection ?

RÉPONSE : M. Forbes, World vision – En ce qui concerne la protection des enfants, je dirais que l’exploitation par le travail, la violence domestique et les pratiques traditionnelles dangereuses sont les domaines les plus critiques.

RÉPONSE : M. Nylund, UNICEF – La plus grande lacune dans le domaine de la protection est liée au problème d’échelle. Les programmes de protection de l’UNICEF et d’autres organisations manquent… d’envergure. Certains donateurs se montrent fermes et s’assurent que les fonds vont à la protection, mais ce domaine n’est généralement pas suffisamment financé lorsque des appels humanitaires sont lancés.

RÉPONSE : Mme Menikdiwela, HCR – Tous les problèmes sont abordés. Il y a 10 ans, les gouvernements ne parlaient même pas de la « responsabilité de protéger ».

Dans certains cas, lorsque les États ne remplissent pas leurs devoirs... il s’agit plutôt de traduire les concepts exposés au niveau politique [aux Nations Unies] à Genève et New York au niveau des opérations sur le terrain, passer de la théorie à la pratique sur le terrain.

aj/he/gd/ail

This article was produced by IRIN News while it was part of the United Nations Office for the Coordination of Humanitarian Affairs. Please send queries on copyright or liability to the UN. For more information: https://shop.un.org/rights-permissions

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