Les Etats-Unis sont le premier donateur de vivres du monde et le seul pays développé à n’avoir pas encore dissocié l’aide alimentaire internationale du soutien à ses propres agriculteurs, mais selon les ONG américaines, l’opinion est en train de basculer en faveur d’une réforme de la politique américaine d’aide alimentaire, l’intérêt étant progressivement porté à l’achat de l’aide alimentaire dans le pays bénéficiaire plutôt que sur l’envoi de vivres depuis les Etats-Unis.
« En choisissant l’achat exclusivement local de l’aide alimentaire américaine, on s’exposerait davantage à une réduction du soutien politique en faveur de l’aide alimentaire, ce qui se traduirait, à terme, par une réduction des budgets », selon M. Natsios, qui a dirigé l’Agence américaine d’aide au développement international (USAID) pendant cinq ans. Il suggère un système mixte d’achats locaux et d’achats aux Etats-Unis.
Presque toute l’aide alimentaire accordée par les Etats-Unis est « liée » aux exigences nationales en matière d’achats, de traitement et de transport maritime. « Le fret représente une bonne partie des frais occasionnés par l’aide alimentaire », selon Chris Barrett, professeur d’économie du développement à l’université Cornell et rédacteur en chef de l’American Journal of Agricultural Economics.
L’acheminement d’un dollar de vivres achetés en nature coûte aux contribuables plus de deux dollars, et une aide ‘déliée’ « ne deviendrait pas forcément un outil de développement utile pour encourager l’agriculture dans les pays du sud, parce qu’elle permettrait à d’autres grands exportateurs agricoles de faire des offres pour l’obtention des contrats d’aide alimentaire, ce qui n’aiderait pas nécessairement les marchés locaux », a expliqué M. Natsios.
« L’achat local de l’aide alimentaire permettrait [en revanche] de concentrer dans les pays du sud l’achat des vivres qui seront utilisés en situation d’urgence dans les pays voisins, et de stimuler et renforcer les marchés agricoles locaux. Notre objectif devrait être les achats à l’échelle locale, et non le déliement de l’aide ».
Un vent de changement
Gawain Kripke, directeur des politiques et de la recherche chez Oxfam Amérique, organisation humanitaire, a noté que « les achats locaux étaient désormais activement encouragés par plusieurs initiatives du Congrès ».
Dans leur Feuille de route pour mettre fin à la faim dans le monde, Oxfam Amérique ainsi que d’autres ONG américaines ont proposé une approche flexible en matière d’aide, prévoyant le recours au versement de fonds, à la distribution de coupons et à un système mixte d’achats de vivres à l’échelle locale et aux Etats-Unis.
Cette feuille de route orientera l’élaboration d’une législation qui devrait être bientôt présentée à la Chambre des représentants des Etats-Unis. La Feuille de route jouit du soutien des Amis du Programme alimentaire mondial et du Fonds américain pour l’UNICEF (Fonds des Nations Unies pour l'enfance), deux lobbies américains.
Un texte législatif sur la sécurité alimentaire mondiale, introduit pendant le mandat du président George Bush, en 2008, pendant la crise mondiale des prix alimentaires, appelait à la création d’un fonds d’urgence utilisable pour l’achat local de vivres ou l’octroi de fonds, afin d’assurer une intervention rapide et de débloquer les fonds nécessaires pour aider les pays en voie de développement à améliorer leurs infrastructures agricoles. Le projet de loi est en cours d’examen au Sénat.
Le passage à une aide partiellement déliée s’accélère au Congrès américain, à en croire David Kauck, conseiller technique principal et expert de la sécurité alimentaire à CARE, une des ONG en faveur de la Feuille de route. « Ces deux textes législatifs sont nés d’une préoccupation croissante à l’égard de la crise économique et de la crise des prix alimentaires », a-t-il indiqué. « La crise économique a amené beaucoup de gens à remettre en question la rentabilité de l’aide ».
Aujourd’hui, en vertu de la loi américaine, 50 pour cent des produits doivent être traités et emballés aux Etats-Unis avant d’être expédiés, et 75 pour cent de l’aide alimentaire gérée par l’USAID, ainsi que 50 pour cent de l’aide alimentaire gérée par le ministère américain de l’Agriculture, doivent être transportés à bord de navires « nationaux », immatriculés aux Etats-Unis.
« Un mouvement est en train de se lancer en vue d’une restructuration plus vaste de l’aide internationale américaine, et en réformant en profondeur la Loi de 1961 sur l’aide internationale, je pense que nous allons observer un réalignement plus général de l’aide alimentaire par rapport à l’aide au développement international, ainsi que le déliement et l’assouplissement des restrictions liées au trafic réservé, qui vont de pair, mais il faudra probablement compter deux ou trois ans de plus avant d’y parvenir », a prédit M. Barrett de l’université Cornell.
« Pour engager une réforme significative de l’aide internationale américaine, il faudra se focaliser sur la question ; or, la crise économique, ainsi que d’autres questions de politique étrangère plus médiatisées éclipsent, pour l’instant, ce problème ».
« Aux Etats-Unis, d’importants groupements d’intérêt sont opposés à toute réforme, mais j’espère que le gouvernement [de Barack] Obama poursuivra la politique de l’administration Bush en faisant pression pour une réforme partielle », a dit M. Natsios.
Le projet de loi 2008 sur l’agriculture, qui couvre l’aide alimentaire américaine et est mis à jour tous les cinq ans, prévoyait pour la première fois le déblocage de fonds à utiliser en liquidités pour l’achat de vivres dans les pays bénéficiaires ou à l’échelle régionale, en lieu et place de l’envoi de fruits et légumes depuis les Etats-Unis.
Cette somme - 60 millions de dollars sur quatre ans - ne représente néanmoins qu’une petite partie des 300 millions de dollars sollicités par le président Bush pour l’achat de vivres pour une année fiscale, et sera dépensée pour financer un programme pilote.
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