Le 4 mars, la chambre préliminaire de la CPI a lancé des mandats d’arrêt à l’encontre de M. Bashir, accusé de crimes contre l’humanité et crimes de guerre. L’accusation de génocide n’a pas été incluse, mais la cour n’exclue pas la possibilité d’un amendement ultérieur.
Les observateurs craignent que cette annonce renforce l’hostilité locale envers les ONG, considérées comme étant pro-occidentales ou du côté de la CPI, et aboutisse à des expulsions – une crainte confirmée immédiatement après l’annonce de l’inculpation, avec la décision du président soudanais d’expulser 10 organisations internationales travaillant au Darfour.
Certains personnels humanitaires ont quitté le Soudan avant même que cette annonce soit faite ; les agences de l’ONU et les ONG ont d’ores et déjà révisé leurs protocoles de sécurité, décidant dans certains cas d’envoyer les familles à l’étranger. Les casques bleus de l’ONU ont eux aussi élaboré des plans d’urgence.
Six organisations d’aide humanitaire, dont Oxfam et Médecins sans Frontières, ont évacué le personnel international des camps de déplacés et des villes, pour leur propre sécurité.
Retombées politiques et sécuritaires
L’inculpation de M. Bashir pourrait par ailleurs compromettre la mise en œuvre de l’Accord global de paix (CPA, en anglais) de 2005 et affecter les élections de juillet prochain. Selon plusieurs analystes, la rupture du CPA se traduirait par une aggravation des tensions qui déchirent le Nord et le Sud.
« Cette mise en accusation peut potentiellement entraver le processus de paix en cours, étant donné que M. Bashir et son administration étaient signataires du CPA », a affirmé Timothy Othieno, de l’Overseas Development Institute, basé à Londres. « Avec l’inculpation de M. Bashir... la capacité de ce dernier à poursuivre le CPA pourrait être réduite à néant ».
Des analystes ont laissé entendre que la décision de la CPI pourrait par ailleurs déchirer le National congress party (NCP) au pouvoir, ou inciter les rebelles à multiplier les attaques contre le gouvernement.
Franklin Graham, directeur exécutif de l’ONG Samaritan’s Purse, a indiqué que « la destitution du président pourrait également inciter les fidèles de M. Bashir ou d’autres forces à recourir aux représailles à l’encontre de la population civile, des casques bleus de l’ONU ou des personnels humanitaires internationaux... Son retrait viendrait compliquer davantage les négociations visant à mettre un terme à la crise soudanaise ».
Photo: UNICEF |
Le conflit au Darfour, une région située dans l’ouest du Soudan, a connu un regain de violence en 2003 |
« Cela pourrait expliquer la réticence du gouvernement du Sud-Soudan à soutenir la mise en accusation de M. Bashir, étant donné que le contrôle exercé par ce dernier sur le recours à la violence ainsi que le pouvoir pourrait donner lieu à une situation d’anarchie », a-t-il ajouté.
Un gouvernement défiant
Le gouvernement soudanais maintient qu’il rejettera toute décision de la CPI à l’encontre de ses dirigeants. « Ils souhaitent que nous nous préoccupions de leurs problèmes, leurs accusations... Les Soudanais sont un peuple fier, un peuple qui n’accepte pas l’insulte, qui n’accepte pas l’humiliation », a affirmé M. Bashir à ses partisans le 3 mars.
Osman al-Aghbash, porte-parole de l’armée, a déclaré à la radio officielle Omdurman : « Les forces armées réagiront avec fermeté contre quiconque coopérerait avec la prétendue Cour pénale internationale, et l’utiliserait comme une plateforme de chantage politique afin de compromettre la sécurité et la stabilité du pays ».
La position du Soudan Nord est soutenue par l’Union africaine, qui a confié à l’ancien président sud-africain, Thabo Mbeki, la responsabilité de diriger un processus visant à trouver une solution globale au conflit du Darfour et à régler la question de l’impunité judiciaire.
Le statut de la CPI ne lie pas les organisations régionales telles que l’Union africaine, mais invite ces dernières à travailler en collaboration avec la cour et le parquet. Selon les experts, dans la mesure où la charte de l’UA reconnaît la lutte contre l’impunité, celle-ci se doit de respecter le statut, même si le Soudan ne figure pas parmi les 30 pays africains signataires.
Points de vue divergents, partis pris et doubles standards ?
L’archevêque émérite Desmond Tutu a condamné, dans un article du New York Times, la position africaine. « La justice sert les intérêts des victimes, et les victimes de ces crimes sont africaines », a-t-il fait remarquer.
Lire aussi (en anglais) |
SUDAN: Southerners prefer diplomatic route |
SUDAN: The conflict in Darfur |
SUDAN: The case against Bashir |
Le professeur Andre Thomashausen, de l’université d’Afrique du Sud, a estimé que la CPI se positionnait en « partisane » vu la façon dont elle avait mené ses enquêtes et abordé les principes juridiques internationaux.
« Les gens ont le sentiment qu’il doit y avoir une justice internationale », a-t-il dit à IRIN le 4 mars. « Dans ce cas précis, ceux qui ont tout perdu sont bien trop nombreux... mais la CPI ne doit pas contrevenir aux principes juridiques internationaux ».
« Nous craignons de plus en plus de voir la CPI devenir un instrument des processus politiques de pays [africains] individuels, et ne pas se préoccuper de ce que stipulent leurs Constitutions ou en pense l’Union africaine ».
La CPI, a ajouté M. Thomashausen, a sapé sa propre autorité en prenant parti dans le conflit soudanais. « Les ONG ne souhaitent pas assister à une aggravation de la situation, et le CPI doit prendre conscience que cela ne doit pas mener à davantage de souffrances ».
Les activités de la CPI en Afrique suscitent également de la défiance. « La question que nous devons nous poser est la suivante : d’autres chefs d’Etat non africains en exercice ont-ils commis, ou sont-ils soupçonnés d’avoir commis, des atrocités similaires ? », a ajouté M. Othieno. « L’absence de preuves ou de suspicions pointant dans cette direction poserait sans aucun doute d’intéressantes questions quant à l’impartialité de la CPI ».
Les casques bleus sur leur garde
Lors d’une conférence de presse organisée à New York, le Secrétaire général adjoint aux opérations de maintien de la paix, Alan Le Roy, a déclaré avoir été assuré que les casques bleus déployés au Darfour ne seraient pas menacés.
« Le gouvernement soudanais a indiqué qu'il remplirait son obligation de protéger les missions des Nations Unies au Soudan contre tout impact négatif potentiel résultant d'une décision de la CPI contre les dirigeants politiques soudanais », a-t-il rapporté le 2 mars.
« Bien évidemment, nous travaillons actuellement à l’élaboration de plusieurs plans d’urgence, comme le ferait tout pays pour tenter de réagir face à une quelconque situation », a ajouté M. Le Roy. Les Nations Unies ont déployé 25 000 personnels au Soudan.
« Pour les millions de victimes du Darfour, cette décision historique constitue une reconnaissance juridique indépendante des crimes massifs commis à leur encontre, et confirme qu’il y a des motifs raisonnables de croire que M. Bashir est pénalement responsable », a affirmé Nick Grono, président adjoint de International Crisis Group.
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