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Contraints à vendre leur rein

Pervaiz Masih, 32 ans, accorde une attention particulière à son régime alimentaire, ces jours-ci. « J’essaie de manger un peu de viande et de boire au moins un verre de jus de fruits par jour. Je dois être en bonne santé, comme ça, j’aurai plus de chances que quelqu’un m’achète un rein », a-t-il expliqué à IRIN.

M. Masih, manœuvre de son métier, gagne environ 4 000 roupies (environ 50 dollars) par mois. Avec trois enfants à charge, il lui est impossible, affirme-t-il, de survivre avec ses revenus (et ceux de son épouse, qui empoche 2 000 roupies par mois en travaillant comme aide domestique).

La famille a accumulé de lourdes dettes, auprès de voisins, de parents et de commerçants.

« Le seul moyen pour moi de rembourser ces dettes d’environ 100 000 roupies [1 250 dollars], c’est de vendre un rein », a-t-il dit. « J’ai pris contact avec plusieurs agents d’un hôpital de Lahore et on m’a dit que cela pouvait me rapporter 200 000 roupies [environ 2 500 dollars] voire plus si un Pakistanais fortuné ou un étranger m’achetait mon rein ».

Jusqu’en septembre 2007, le Pakistan était réputé pour être un des principaux centres de « tourisme rénal » du monde. En raison du vide juridique qui entourait la question du don et de la transplantation de reins, il était facile pour les personnes ayant besoin d’un nouvel organe de se rendre au Pakistan pour s’en procurer un, généralement auprès d’indigents, prêts à tout pour de l’argent.

« Mon neveu –âgé de 24 ans à l’époque- a vendu un rein en 2004, bien que sa famille lui ait conseillé de ne pas le faire. Il voulait s’acheter une moto », a raconté Sumera Khatoon, 60 ans, originaire d’un village situé près de la ville de Sargodha, dans le centre de la province du Punjab.

« Aujourd’hui, quatre ans plus tard, il n’a toujours pas d’emploi et il est encore pauvre. Il a beaucoup de problèmes de santé et ne peut pas faire de travaux physiques lourds », a expliqué Mme Khatoon.

Ces récits sont confirmés par diverses études académiques.

En juillet 2007, les chercheurs de l’Institut d’urologie et de transplantation du Sindh (SIUT), à Karachi, ont écrit dans Transplant International, le journal officiel de la Société européenne pour la transplantation d’organes, qu’au cours d’une enquête menée auprès de 239 vendeurs de rein du Punjab (dont 90 pour cent étaient illettrés), 88 pour cent des sondés n’avaient fait état d’aucune amélioration économique dans leurs vies et que 98 pour cent avaient fait état d’une aggravation de leur état de santé.

Soixante-neuf pour cent des vendeurs travaillaient dans des conditions de servitude ; 93 pour cent d’entre eux avaient besoin de cet argent pour rembourser leurs dettes.

Une nouvelle loi

L’adoption, en septembre 2007, de l’Ordonnance sur la transplantation de tissus et organes humains a laissé entrevoir l’espoir d’un changement dans ce domaine.


Photo: IRIN
Un rein en moins, mais pas d'amélioration de la situation financière et une aggravation de l'état de santé
En vertu de cette nouvelle loi, l’achat et la vente d’organes humains sont désormais des crimes, et les conditions autorisant la transplantation de reins entre deux personnes sans liens familiaux sont désormais strictes. On ignore néanmoins encore si cette loi a été efficace.

« J’ai des collègues qui continuent de se livrer au trafic de reins parce que c’est un secteur très lucratif, mais depuis l’adoption de cette loi, il est plus difficile de se procurer des reins. Certains médecins que je savais impliqués dans ce type de pratiques ont été menacés d’avoir affaire à la police », a rapporté Jaffar Malik (un nom d’emprunt), un urologue de Lahore.

« Même aujourd’hui, les gens viennent du Moyen-Orient ou d’Europe pour acheter des reins ici, bien que les coûts soient plus élevés qu’auparavant », a-t-il ajouté.

L’on craint toutefois que les progrès réalisés grâce à la loi de 2007 ne risquent bientôt d’être réduits à néant. Plusieurs membres du Parlement pakistanais ont en effet proposé des amendements qui ouvriront la voie à un nouvel essor du trafic de reins, craignent les experts.

Selon Adibul Hasan Rizvi, directeur du SIUT, qui avait fait campagne en faveur de la loi de 2007, certains parlementaires veulent voir ajouter les termes « demi-frère » et « demi-sœur » à la définition de « proches parents biologiques », ce qui créerait une brèche juridique facilitant les ventes illégales.

On ignore le nombre de reins vendus illégalement chaque année au Pakistan.

Jusqu’en 2007, selon les estimations de l’Organisation mondiale de la santé, on comptait environ 1 500 ventes annuelles aux « touristes rénaux ». D’autres estiment que le chiffre était bien plus élevé.

Les agents, liés aux hôpitaux, sillonnent les régions rurales pour trouver des donneurs, percevant une commission sur chaque vente.

« Ces intermédiaires viennent aussi chez nous. Jusqu’ici, aucun membre de notre famille n’a vendu son rein. Mais, qui sait ? Les temps sont tellement durs que nous serons peut-être finalement amenés à le faire », a déclaré Abdul Rehman, 35 ans, qui vit dans le quartier de Shahdra, à Lahore.

Oxfam, l’association caritative britannique, a rapporté dans le courant de ce mois-ci que 17 millions de Pakistanais de plus étaient désormais touchés par la pauvreté en raison de l’augmentation du prix des denrées alimentaires.

kh/at/cb/nh/ail


This article was produced by IRIN News while it was part of the United Nations Office for the Coordination of Humanitarian Affairs. Please send queries on copyright or liability to the UN. For more information: https://shop.un.org/rights-permissions

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