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Battre et violer les femmes, une pratique « normale » au Niger

Les experts des droits humains au Niger n’ont pas été surpris d’apprendre que 70 pour cent des femmes dans certaines régions du pays trouvent normal que leurs maris, leurs pères et leurs frères les battent, les violent et les humilient régulièrement.

« Les femmes d’ici sont endoctrinées par leurs familles, par les dignitaires religieux, par la société, qui leur font croire qu’il s’agit d’un phénomène normal », a expliqué Lisette Quesnel, conseillère en violence sexiste à Oxfam - Niger, qui a obtenu cette statistique à partir d’une enquête menée en 2006 auprès des femmes de la région reculée de Zinder, dans l’est du Niger.

La fréquence de ces crimes et l’impunité accordée à leurs auteurs expliquent en partie l’acception sociale générale dont fait l’objet ce phénomène, selon les activistes. Les viols sont de plus en plus courants à Niamey, la capitale.

Au Niger, les voies de fait et les maltraitances psychologiques et physiques font « souvent » partie de la vie des familles polygames moyennes, d’après Fatima Ibrahima, qui conçoit des projets visant à prévenir ce type de violence au Niger.

Et les femmes sont souvent plongées dans la misère du jour au lendemain quand leurs époux polygames les mettent à la porte de chez elles. Quant aux juges, ils prononcent les divorces sans même entendre « un seul mot » de la part des femmes concernées.

Le tabou

La véritable ampleur de ces maltraitances n’est pas connue, aucune statistique nationale sur la fréquence des violences envers les femmes n’ayant jamais été établie par la police ou les services médicaux.

Les registres des hôpitaux et des centres de santé indiquent les différentes blessures soignées chez les patients, mais pas si ces blessures ont été causées par des violences ; et ce, même lorsque le visage contusionné et les fractures d’une patiente sont visiblement le résultat d’une agression physique, expliquent les activistes.

« La violence contre les femmes reste un tabou absolu au Niger », a indiqué Mme Ibrahima.

« Nous en parlons en consultations, mais le phénomène est rarement reconnu publiquement ».

« Si une femme se rend à la police, ils lui disent qu’elle a dû mal se conduire et lui demandent ce qu’elle a fait pour mériter cela », a ajouté Mme Quesnel d’Oxfam.

« Si une femme se rend à la police, ils lui disent qu’elle a dû mal se conduire et lui demandent ce qu’elle a fait pour mériter cela... »
Il est même mal vu de parler à sa famille des violences subies, particulièrement lorsque l’accusé est l’époux choisi par les parents de la femme dans le cadre d’un mariage arrangé.

« Lorsqu’une femme est battue, elle ne peut même pas le dire à sa mère », a déploré Mariama Moussa, présidente de l’organisation non-gouvernementale (ONG) nigérienne SOS femmes et enfants victimes de violence familiale.

« Si elle en parle à sa mère, bien souvent celle-ci la force à ne rien dire à personne et l’envoie arranger les choses avec son époux ». Dans certains cas, cette insistance à voir l’épouse retourner auprès de son mari violent a abouti au décès de celle-ci – des cas où les hommes responsables n’ont pas été arrêtés.

Impulser le changement

Les défenseurs des droits humains, qui ont tenté d’ouvrir des centres pour femmes battues au Niger, ont découvert que la plupart d’entre elles les évitaient de peur qu’on les voie ne serait-ce que se rendre aux centres.

Aujourd’hui, SOS femmes et enfants, et un groupe d’autres ONG nigériennes, s’efforcent d’apporter, en toute discrétion, une aide sur mesure aux femmes, du conseil juridique aux soins médicaux. Ces ONG ont ouvert un centre d’information dans un des principaux marchés de Niamey.

Selon les activistes, pour qu’un véritable changement se produise, il doit être impulsé au plus haut niveau décisionnel politique, et appliqué par les autorités religieuses et judicaires.

« Pour aider les femmes, nous avons besoin d’une direction politique solide, sinon leurs droits ne seront jamais respectés », a estimé Salamatou Traoré, éminente défenseuse nigérienne du droit des femmes.

Les activistes souhaitent que le Niger adopte des lois sans équivoque qui interdisent toute forme de violence contre les femmes, et notamment les viols, les mariages précoces, les maltraitances physiques et les divorces arbitraires.

Les filles doivent également être informées de leurs droits et se voir fournir les outils intellectuels nécessaires pour survivre au sein d’une société dominée par les hommes, d’après les activistes. A l’heure actuelle, au Niger, seules 15 pour cent des femmes savent lire et écrire, contre 43 pour cent des hommes.

Les femmes ont également besoin d’un coup de pouce pour entrer dans la vie active. Aujourd’hui, un peu moins de sept pour cent des femmes exercent une activité rémunératrice officielle, contre 81 pour cent des hommes. Conséquence de ce déséquilibre, le Niger affiche un des taux de chômage les plus élevés du monde.

Les hommes à la traîne

Outre quelques mesures symboliques, le gouvernement du Niger, majoritairement composé d’hommes, s’est abstenu d’intervenir en matière de droit des femmes, selon les activistes.

En dépit du quota fixé par la loi pour assurer la bonne représentation des femmes au sein du gouvernement, seuls 13 pour cent des sièges à l’Assemblée nationale sont occupés par des femmes.


Photo: IRIN/ G. Cranston
Les femmes nigériennes sont de plus en plus conscientes de leurs droits

Selon l’Agence nationale pour l’emploi (ANPE), à peine 22 pour cent des 46 906 agents de l’Etat, appelés localement « fonctionnaires », sont des femmes.

En 1999, lorsque le Niger a signé la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes, l’accord de lutte contre la discrimination des Nations Unies, il avait émis des réserves sur certains articles clés portant sur le droit de la femme mariée à choisir son propre lieu de résidence et à demander le divorce.

Les négociations engagées sur la création d’un code de la famille qui devait accorder plusieurs nouveaux droits aux femmes du Niger se sont soldées par ce que Mme Traoré, défenseuse des droits de la femme, a qualifié de « farce » lorsque, le dernier jour de rédaction, l’Assemblée est revenue sur ses promesses d’accorder aux femmes de nouveaux droits, de grande portée.

« Les hommes ont commencé à dire que nous voulions faire adopter ces lois dans le seul but de permettre aux femmes d’épouser d’autres femmes, et que le lesbianisme et les femmes prendraient désormais le contrôle du Niger », a expliqué Mme Traoré. « C’était ridicule ; bien sûr que non, ce n’était pas ce que nous voulions ».

Des progrès

Bien que les chances ne soient pas du côté des femmes, les défenseurs des droits humains du Niger disent constater chez certaines d’entre elles une prise de conscience progressive de leurs droits – même si les hommes, pour leur part, ne s’en montrent pas aussi respectueux.

« Au cours d’un séminaire auquel j’ai assisté dans une école, une fillette a levé la main et a demandé pourquoi ses parents voulaient qu’elle se marie et si elle devrait le faire », a rapporté Mme Quesnel, d’Oxfam.

Le 25 novembre, à l’occasion de la journée internationale pour l’élimination de la violence contre les femmes, des centaines de femmes se sont rendues dans le centre de Niamey pour participer à une marche.

« Les femmes ont traversé le centre de Niamey, et certaines avaient les larmes aux yeux, lorsqu’elles se sont aperçues pour la première fois qu’elles n’étaient pas toutes seules à subir ce qu’elles subissaient », a expliqué Mme Quesnel. « Pour moi, cela signifie qu’un changement est possible ».

nr/np/nh/ads/ail


This article was produced by IRIN News while it was part of the United Nations Office for the Coordination of Humanitarian Affairs. Please send queries on copyright or liability to the UN. For more information: https://shop.un.org/rights-permissions

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