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La faim éteint la soif d’apprendre

A première vue, on ne remarque pas que les élèves d’apparence impeccable et en bonne santé de l’école secondaire de Moruthane – quelque 80 kilomètres au sud de Maseru, capitale du Lesotho – ont faim, mais à mesure que la matinée avance, ils deviennent amorphes et ne parviennent plus à se concentrer.

« Ce ne sont pas de mauvais élèves ; ils sont intelligents, mais ils ont faim », a expliqué à IRIN leur professeur, Yemi Ajijedidun, un Nigérian de 32 ans.

Les élèves, âgés de 14 à 16 ans, sont enthousiastes à l’idée de s’instruire : bondée, la salle de classe rudimentaire en blocs de béton, équipée d’un petit nombre de pupitres mais sans électricité, témoigne de leur soif d’apprendre ; toutefois les éducateurs du Lesotho reconnaissent que le premier obstacle à l’apprentissage est la faim.

Le Lesotho, un pays montagneux, entouré de toutes parts par l’Afrique du Sud, connaît actuellement l’une des sécheresses les plus dévastatrices de ces trente dernières années : près d’un quart de la population, soit 400 000 personnes, vivent dans une situation d’insécurité alimentaire.

« Cette année, la sécheresse a privé les familles [de ces] enfants de leurs cultures. Ils viennent à l’école le ventre vide. Honnêtement, je ne sais pas où ni quand ils sont nourris. Ce sont ceux-là qui s’endorment en classe ; ils n’ont pas d’énergie », a raconté à IRIN le directeur de l’école, Francis Adewale, un Nigérian de 39 ans.

M. Adewale a récemment convaincu la communauté de l’aider à construire un nouveau bâtiment scolaire, l’ancien étant sur le point de s’effondrer. Les quatre professeurs habitent à environ un kilomètre de l’école, mais la distance qu’ils parcourent chaque jour à pied pour se rendre sur leur lieu de travail n’est rien comparée à l’itinéraire emprunté par les élèves, dont certains doivent parcourir jusque 30 kilomètres par jour.

« Nous construisons [le nouveau bâtiment] juste au bord de la route, pour permettre aux élèves de prendre le bus plus facilement. Nous n’avons pas construit de cuisine, toutefois, parce que nous n’avons pas prévu de programme nutritionnel pour les enfants. Nous n’avons que 41 élèves, et cette école est trop petite », a indiqué M. Adewale. « Nos élèves sont de bons éléments. Ils sont travailleurs, mais ils ont faim ».

L’école permet à un marchand ambulant de leur vendre des encas. « Ce ne sont que des roulés à la saucisse, des chips et des crêpes – certains élèves payent jusqu’à six rands (0,95 dollar) par jour, ceux qui ont de l’argent – mais ça ne nourrit pas », a estimé M. Ajijedidun. Quant au trou de forage de l’école, il s’est asséché il y a environ deux ans.

Programmes nutritionnels

L’établissement d’enseignement secondaire de Moruthane, situé sur les plaines arides du sud-ouest du Lesotho, illustre parfaitement les difficultés habituellement rencontrées dans les écoles rurales, dans le sillage des pénuries alimentaires de cette année.

En matière d’aide alimentaire, le gouvernement a donné la priorité aux établissements d’enseignement primaire, mettant en place divers programmes nutritionnels au bénéfice des élèves des basses terres du sud, tandis que le Programme alimentaire mondial (PAM) lançait des programmes nutritionnels ciblés sur les élèves des écoles primaires du nord montagneux du pays.

« Nous avons de l’expérience dans le domaine de la distribution alimentaire, et le nord est une région difficile en termes d’accessibilité. Nous y resterons jusqu’à ce que le gouvernement soit lui aussi en mesure de distribuer de la nourriture dans les écoles primaires », a indiqué à IRIN Hassan Abdi, responsable de programmes au PAM.

Aucun programme nutritionnel n’a encore été lancé dans les établissements secondaires, bien que les besoins alimentaires des élèves soient reconnus.

« Nous avons beaucoup d’orphelins dans cette école. La moitié des élèves sont même doublement orphelins - leurs parents sont morts du sida »   
Le ministère de l’Education a envoyé aux élèves de l’établissement secondaire de Moruthane un questionnaire leur demandant d’énumérer leurs besoins. La nourriture était un dénominateur commun aux réponses de chacun. « De la nourriture », a répondu une fillette ; « de la nourriture et des chaussures », a écrit une autre fillette, en notant que ses deux parents étaient décédés. « De la nourriture et un moyen de transport », a indiqué un jeune garçon ; « de la nourriture et des vêtements », a répondu un autre.

Au total, 60 pour cent des élèves ont cité la nourriture comme besoin principal. « Nous avons beaucoup d’orphelins dans cette école. La moitié des élèves sont même doublement orphelins - leurs parents sont morts du sida », a rapporté un des professeurs.

Selon l’ONUSIDA, au Lesotho, 23,2 pour cent des habitants âgés de 15 à 49 ans sont séropositifs, et environ 100 000 enfants de moins de 17 ans ont été privés de leurs parents par la pandémie du sida.

« Les orphelins vivent chez des membres de leur famille, qui ne leur donnent pas à manger. Certains ont été abandonnés et finissent dans des foyers d’accueil ; eux non plus ne sont pas nourris. Ils viennent à l’école et rentrent chez eux le ventre vide », a raconté M. Adewale.

Les frais scolaires des orphelins sont couverts par le ministère de l’Education à l’aide de subventions accordées par une organisation confessionnelle allemande. « Nous ne pouvons pas servir de repas à nos élèves, [mais au] moins, notre école ne fait pas partie de ces établissements où des élèves mécontents font grève pour protester contre la mauvaise qualité de la nourriture », a plaisanté le directeur de l’école, pour tenter d’atténuer la gravité de la situation. « Mais bon, il faut vraiment faire quelque chose ».

L’antre du désespoir

Il a été reconnu que l’incapacité du Lesotho à atteindre ses objectifs en matière d’éducation était liée à la situation d’insécurité alimentaire croissante. Selon le dernier indice de développement humain du PNUD, entre 1991 et 2004, le taux de scolarisation des enfants en âge d’aller à l’école primaire a augmenté au Lesotho, passant de 71 à 86 pour cent, tandis que le nombre d’inscriptions à l’école secondaire est passé de 15 à 23 pour cent.

En revanche, le nombre d’élèves poursuivant leur cursus jusqu’à l’âge de 11 ans n’a pas augmenté en parallèle ; il a même légèrement diminué, pour tomber de 66 à 63 pour cent.

 « La plupart des hommes boivent du matin au soir. La bière locale est très bon marché. Ce ne sont pas des ivrognes, mais ils ne savent pas trop quoi faire d’autre »
Plus de la moitié de la population vit avec deux dollars ou moins par jour et cette pauvreté alimente le sentiment de désespoir qui règne au sein de la société. « Les mères ne travaillent pas. Les pères ne travaillent pas. Les hommes sont revenus des mines sud-africaines ; là-bas, les Basothos trouvaient toujours du travail, mais aujourd’hui on les a licenciés pour des questions de budget », a raconté Puleng Masiphole, qui habite dans une case de terre rudimentaire située près de l’école secondaire de Moruthane.

« La plupart des hommes boivent du matin au soir. La bière locale est très bon marché. Ce ne sont pas des ivrognes, mais ils ne savent pas trop quoi faire d’autre », a-t-il expliqué à IRIN. Les fermes des villages qui constellent la vaste vallée annoncent la présence de différents produits ou le déroulement de divers événements en arborant des fanions colorés : les drapeaux blancs annoncent qu’un mariage a lieu dans la ferme concernée, les drapeaux verts indiquent la vente de légumes, tandis que les jaunes signalent la vente de bière maison.

Aucun drapeau blanc n’avait été hissé le jour où le journaliste d’IRIN s’est rendu sur place. Un habitant lui a également expliqué qu’aucun drapeau vert n’avait été aperçu depuis plusieurs mois. Les drapeaux jaunes, en revanche, parsemaient la vallée comme autant de petites fleurs de tournesols.

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This article was produced by IRIN News while it was part of the United Nations Office for the Coordination of Humanitarian Affairs. Please send queries on copyright or liability to the UN. For more information: https://shop.un.org/rights-permissions

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