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Un système judiciaire pour mineurs en ruine

Adolescent accusé de viol, Abraham regarde à travers les barreaux rouillés de la cellule où il languit depuis deux mois. Avec ses grands yeux et ses manières enfantines, il n’a pas l’air d’avoir pu commettre le crime dont on l’accuse.

« Je n’aime pas être le plus jeune », explique à IRIN l’adolescent de 14 ans. « Parfois, les autres détenus me font faire des choses que je ne veux pas faire ».

Les premiers temps, s’est souvenu Abraham, il ne pouvait pas dormir. « Parfois parce que j’avais peur, d’autres fois parce que je n’avais pas de place pour m’allonger ». Le jeune garçon partage sa cellule sale et étroite avec huit autres mineurs accusés de crimes semblables. La nuit, ils se battent pour s’approprier l’unique matelas de mousse de la cellule.

Les enfants n’ont ni moustiquaire ni système d’assainissement convenable.

Ce qui leur manque également, c’est un jugement en bonne et due forme. Abraham, comme 27 des 28 mineurs détenus à la prison centrale de Monrovia, l’établissement carcéral le plus surpeuplé du Liberia, n’a pas encore été jugé.

La plupart des enfants n’ont même pas vu de juge spécialisé dans les crimes et délits commis par des mineurs.

Un système en ruine

Quatre ans après la fin de la guerre sanglante qui a ravagé le Liberia pendant 14 ans, la justice des mineurs est à peine fonctionnelle. Ses problèmes reflètent l’effondrement de la justice dans son ensemble, qui selon les Nations Unies, est une des principales menaces à la stabilité du pays.

« Tant que l’armée et la police ne pourront pas fonctionner en toute indépendance et que le système judiciaire ne sera pas réhabilité et accessible à tous les Libériens, le pays restera exposé au risque de replonger dans l’anarchie », a déclaré le Secrétaire général des Nations Unies, Ban Ki-Moon, dans un rapport publié le 8 août. Dans ce rapport, le Secrétaire général qualifie l’état de la justice des mineurs de « source de vives préoccupations ».

Alan Doss, le chef de la mission des Nations Unies au Liberia (MINUL), a récemment déclaré que le renforcement du système judiciaire serait une des conditions les plus essentielles à l’instauration d’une paix durable au Liberia, lorsqu’à terme, la mission se retirerait progressivement.

Toutefois, selon plusieurs experts juridiques, reconstruire la justice des mineurs sera une tâche colossale.

« Au Liberia, la justice des mineurs est un problème sur lequel on commence à se pencher », a expliqué Kitty van Gagnide, responsable de la protection de l’enfance au sein de la division des droits humains de la MINUL.

La prison centrale de Monrovia compte 661 détenus, soit cinq fois plus de prisonniers qu’elle n’est censée en accueillir. Si les enfants sont détenus dans des cellules séparées, ils sont néanmoins en contact avec des délinquants majeurs pendant les heures d’exercice et de repas, et aux douches.
Dans les régions rurales, la situation est encore plus grave, selon Mme van Gagnide. « Parfois, les mineurs ne sont séparés des adultes que par un banc ou un mur de fortune ».

En février, un garçon de 14 ans détenu à la prison de Sanniquelle, dans le comté de Nimba, a révélé à des responsables des Nations Unies qu’on lui donnait de la drogue et de l’alcool, et qu’il était forcé de travailler pour les détenus majeurs avec lesquels ilpartageait sa cellule.


Photo: Shelby Grossman
Jeunes détenus dans une prison de Monrovia, la capitale libérienne
Une loi stricte, sur le papier

Le droit libérien comprend un « code des procédures à l’encontre des mineurs », qui, de l’avis des experts judiciaires, constitue une base solide pour le développement d’un système de justice pleinement adapté aux mineurs. « [Ce code] est même meilleur que ceux élaborés dans bien d’autres pays d’Afrique de l’Ouest », a expliqué Mme van Gagnide de la MINUL.

« Le problème, c’est qu’il est rarement appliqué ».

La division des droits humains de la MINUL forme les magistrats, le personnel judiciaire et les policiers à la législation concernant les mineurs, chapitre après chapitre.

« La majorité des magistrats ne connaissent pas bien la loi sur les mineurs », a révélé Mme van Gagnide. Conformément au code, les mineurs en attente d’être jugés ne doivent pas être considérés comme des prévenus et l’incarcération doit être considérée comme une mesure protectrice, destinée à prévenir tout autre acte de délinquance jusqu’à ce que les tuteurs du mineur puissent être contactés.

Les magistrats ne sont souvent pas conscients du fait que bon nombre de délinquants juvéniles ne devraient pas être en prison, selon Mme van Gagnide, même si la guerre a eu pour conséquence, entre autres, de priver de nombreux jeunes de leurs parents ou tuteurs légaux.

Autre problème : les tribunaux pour enfants du Liberia devraient avoir une compétence exclusive pour juger les moins de 18 ans, mais étant donné qu’un seul tribunal pour enfants est opérationnel dans le pays, les tribunaux d’instance des comtés prennent souvent le relais.

« Eux non plus n’ont pas assez de ressources », a expliqué à IRIN Anthony Valcke, directeur national de l’American Bar Association (ABA) - Afrique. « Et quand les enfants sont jugés dans des tribunaux d’instance, cela engendre une toute nouvelle série de problèmes ».

Les problèmes, a-t-il expliqué, vont de la perte de documents aux demandes de caution injustifiées, en passant par les sévices sexuels infligés par les autorités.

Cette année, un magistrat de la ville rurale de Zorzor a notamment fait l’objet d’une enquête pour avoir exigé des faveurs sexuelles d’une adolescente jugée dans son tribunal pour le vol d’un téléphone portable.

Des systèmes judiciaires en concurrence

Selon Luther Sumo, un avocat spécialiste de la protection [des droits humains] qui travaille auprès d’International Rescue Committee, il y a un fossé entre le droit écrit et le droit coutumier en matière de traitement des mineurs. Et de nombreux enfants dont les affaires sont traitées dans les tribunaux d’instance n’ont pas d’acte de naissance. Dès lors, il n’est pas rare qu’ils soient jugés en tant que majeurs.

« Personne ne sait combien d’enfants détenus dans les prisons du Liberia sont innocents ».
L’ABA travaille actuellement aux côtés de l’UNICEF pour identifier, suivre et contrôler les progrès des jeunes dans les prisons. Leur priorité première est de faire en sorte que des programmes de réinsertion se substituent à la détention.

« Personne ne sait combien d’enfants détenus dans les prisons du Liberia sont innocents. Les incarcérer à cause de la lenteur du système justice est contre-productif et les rend même plus susceptibles d’enfreindre la loi à leur sortie de prison », a estimé Mme van Gagnide de la MINUL.

S’il n’y a pas de foyer de réinsertion officiel au Liberia, d’autres structures telles que le Centre Don Bosco pour enfants, à Monrovia, font office de système d’appoint pour traiter les cas de délinquance juvénile les moins graves (ex : vol) ; toutefois, ce type de centres ne s’occupent pas des jeunes accusés de viol ou de meurtre.

La MINUL et le gouvernement des Etats-Unis soutiennent la construction d’une nouvelle aile pour détenus majeurs, à la prison centrale de Monrovia, qui pourra ainsi réserver plus de cellules aux mineurs. Enfin, d’autres espoirs reposent sur Henrietta Mensa-Bonsu, la nouvelle envoyée adjointe des Nations Unies au Liberia, qui a acquis une solide expérience en matière de justice des mineurs au Ghana.

En attendant, Abraham et ses semblables n’ont rien d’autre à faire que patienter. « J’ai déjà l’impression d’être là depuis très, très longtemps », a-t-il dit, en tirant impatiemment sur les barreaux de sa cellule.

kt/np/dh/nh/ads


This article was produced by IRIN News while it was part of the United Nations Office for the Coordination of Humanitarian Affairs. Please send queries on copyright or liability to the UN. For more information: https://shop.un.org/rights-permissions

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