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Les dignitaires musulmans tentent de trouver une explication au sida

L’appel à la prière du cheikh Muhamade Aboulai Cheba s’élève au-dessus des maisons de chaume et de corail, derrière leurs barrières de bambou de quatre mètres de haut. L’océan Indien miroite entre les troncs grands et fins des palmiers, le long des méandres des chemins étroits et sablonneux qu’ils abritent du soleil. Nous sommes à Paquitequete, le plus vieux quartier de Pemba, la capitale de Cabo Delgado, la province située tout au nord du Mozambique.

Le quartier animé retrouve son calme les vendredis après onze heures, à mesure que s’emplit de monde la mosquée vert et blanc qui se dresse entre la colline et la plage. A la mosquée, le sermon porte souvent sur le sida. « Nous apprenons aux gens à se protéger et à faire face à la maladie, s’ils l’ont déjà contractée », a expliqué le cheikh Cheba à IRIN/PlusNews.

A Cabo Delgado, une région limitrophe de la Tanzanie, le taux de séroprévalence est de 8,6 pour cent, le taux le plus faible du pays, la moyenne nationale étant de 16,2 pour cent.

Les commerçants arabes ont amené l’islam sur la côte est de l’Afrique aux alentours du huitième siècle. Environ 80 pour cent des 2,5 millions d’habitants que compte Cabo Delgado sont musulmans, comme environ un quart des près de 20 millions de personnes qui vivent au Mozambique.

Le poids des mots

M. Cheba est conscient du poids de ses paroles : « Dans un lieu de culte, les gens sont plus attentifs », de même que dans un lieu d’apprentissage. M. Cheba est le directeur provincial de 139 madrasas (écoles islamiques) agréées, dont les élèves commencent à être sensibilisés au sida dès l’âge de six ans, « d’une manière appropriée, par le biais de métaphores, pas en montrant un préservatif ».

Conformément aux enseignements de l’islam, M. Cheba insiste sur la fidélité au sein des couples et sur l’abstinence avant le mariage. Il ne recommande pas le port du préservatif.

De nombreuses mosquées ont créé des équipes chargées de rendre visite aux malades et aux orphelins à domicile, et Medicos do Mundo, une association caritative portugaise de médecins, a formé une douzaine de femmes, dont l’épouse de M. Cheba, à prodiguer des soins à domicile. Les orphelins sont dispensés de payer les frais de scolarité de leur madrasa, qui s’élèvent à 5 contos (0,20 dollars) par mois, et reçoivent en outre de la nourriture et des vêtements.

Les musulmans séropositifs sont encouragés à se joindre à des groupes de soutien, explique Nassurulahe Dula, président du Congrès islamique de Cabo Delgado, la plus vaste congrégation musulmane de la province.

Tout cela est utile, toutefois à Pemba, les déclarations de M. Cheba hérissent souvent certains activistes de la lutte contre le sida : « Cette maladie est un châtiment divin ; le Prophète a dit qu’une maladie incurable suivie d’une mort subite était le châtiment infligé en cas d’adultère », dit-il.

« Comme le tsunami en Indonésie, le sida est un châtiment infligé à ceux qui font le bien comme à ceux qui font le mal. Les gens doivent se repentir et retourner vers Dieu », s’empresse-t-il d’expliquer.

Une bonne musulmane

Maria de Fatima Bacar, 44 ans, est une femme ronde et sympathique qui vit dans un hameau, situé à 20 kilomètres de Pemba, plus à l’intérieur des terres ; elle a un fils encore en vie, trois fils décédés et deux petits-enfants qu’elle adore.

« Le sida ne cible pas les musulmans, les chrétiens ni les païens ; le sida, c’est comme le paludisme, on est tous égaux devant cette maladie »

En juin 2003, son mari, policier, est tombé malade à la suite du décès de sa première femme, survenu quelque temps auparavant. Mme Bacar et son mari, déclarés séropositifs, ont alors rapidement commencé un traitement antirétroviral ; ils étaient alors parmi les premiers de la province à le faire. Mme Bacar avait occupé le poste d’assistante dans un centre de santé local pendant de nombreuses années, et son expérience a aidé le couple à faire face au virus.

Le couple a créé un groupe de soutien, l’Association d’aide à ton voisin, qui compte aujourd’hui 22 membres et s’occupe de 12 enfants séropositifs. Ils se rendent auprès des malades, apportent leur aide aux enterrements, s’assurent que les orphelins vont à l’école et encouragent la population à faire des tests de dépistage du VIH au centre de santé local. « Cinquante-sept le mois dernier », annonce fièrement Mme Bacar.

Mme Bacar n’aime pas ce qu’elle entend dans les mosquées. « Le sida n’est pas un châtiment divin ; quiconque dit que le sida est un châtiment le dit par ignorance », note-t-elle fermement.

« Je suis une musulmane respectable. Je ne suis jamais allée à l’encontre de ma foi. J’ai été une épouse honnête et fidèle, et j’ai contracté le VIH par l’intermédiaire de mon mari. Au lieu [de nous] accepter, ils nous rejettent ».

Le lien entre le sida et le sexe est depuis longtemps un sujet épineux pour les organisations religieuses qui promeuvent des principes et un comportement sexuels stricts. « Nous encourageons le sida avec notre manière de nous vêtir, de montrer notre ventre et de tenter les hommes », explique Awash Ingles, une éminente dignitaire musulmane qui fréquente la mosquée de Paquitequete.

Comme le paludisme

L’Islam a des « difficultés énormes » à faire face au sida à Cabo Delgado, selon Diquessone Rodrigues, coordinateur provincial de MONASO, l’entité nationale qui chapeaute les prestataires de services en matière de sida.


Photo: Mercedes Sayagues/PlusNews
Fatima Bacar : "je suis une bonne musulmane"

« Nous devons tenter de faire évoluer cette croyance selon laquelle le sida serait un châtiment divin, parce que les filles portent des tchuna-babes [jeans serrés] et ont des rapports sexuels avant le mariage ».

MONASO rencontre des groupes de femmes associées aux mosquées pour tenter de faire évoluer leurs perceptions et s’assurer leur soutien en vue d’impulser le changement. « Elles peuvent parler [du sida] dans les mosquées et les madrasas », explique Diquessone Rodrigues.

Autre allié potentiel : le conseil provincial de lutte contre le sida, qui prévoit de rencontrer les autorités islamiques. « Nous souhaitons travailler avec les dignitaires musulmans pour modifier leur discours, car il est douloureux, pour les personnes séropositives, de s’entendre dire que le sida est un châtiment divin », selon Teles Manuel Jemuce, le directeur du conseil.

Il s’agit de donner un petit coup de coude à la pensée musulmane diffusée à Cabo Delgado, pour trouver un terrain d’entente avec Mme Bacar, selon qui « le sida ne cible pas les musulmans, les chrétiens ni les païens ; le sida, c’est comme le paludisme, on est tous égaux devant cette maladie ».

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This article was produced by IRIN News while it was part of the United Nations Office for the Coordination of Humanitarian Affairs. Please send queries on copyright or liability to the UN. For more information: https://shop.un.org/rights-permissions

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