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L’ablation du prépuce, un rite fondamental pour devenir un homme

Silvestre João a des souvenirs mitigés de sa circoncision. « Allons manger du miel dans la brousse », avait dit le père de famille à son garçon alors âgé de neuf ans. Il y avait effectivement beaucoup de miel, mais plus encore : le kumbi, le rite traditionnel des Makhuwas, une ethnie de la côte nord du Mozambique.

Le garçon est resté dans la brousse pendant six mois avec d’autres enfants et des adultes, tous de sexe masculin. On lui a coupé le prépuce et il s’est imprégné de sa culture.

Son plus mauvais souvenir touche à « l’horrible souffrance des premiers jours : j’ai eu une infection qui a mis deux mois à se cicatriser », a-t-il raconté. Les bons souvenirs, c’était lorsque « nous jouions nus dans la brousse, cueillions des noix de cocos, nagions dans la lagune et quand nos aînés nous enseignaient des chants et des légendes ».

Son « padrinho », un parent masculin qui assume le rôle de parrain, n'a pas de relations sexuelles et ne rentre pas chez lui tant que le garçon n’est pas rétabli, est resté tout ce temps auprès de lui, tenant les mouches à l’écart de sa cicatrice.

Quand João a pu retourner chez lui, ses parents et ses voisins l’ont célébré en lui achetant des livres et des stylos pour l’école. Maintenant, il fait partie, en tant qu’homme et musulman, des Makhuwas, la plus grande ethnie du nord du Mozambique.

C’était en 1972. João, qui a aujourd’hui 44 ans, est devenu infirmier et vit à Pemba, la capitale de la province de Cabo Delgado, dans le nord. D’octobre à février, les mois traditionnels dédiés au kumbi, les sollicitations pour la circoncision sont beaucoup plus importantes, mais la manière dont il opère est désormais bien plus sûre que celle qu’il a endurée.

« La valeur de la circoncision reste importante », a-t-il dit à IRIN/PlusNews. Désormais, l’initiation qui a lieu dans la campagne dure moins longtemps et un médecin de la ville est présent lors de l’ablation, mais sa triple signification – appartenance ethnique, religion et virilité – fait qu’ici, la circoncision masculine est toujours un acte qui revêt une importance particulière.

Plusieurs significations

Rafael de Conceição, un anthropologue à l’Université Eduardo Mondlane située à Maputo, la capitale, auteur d’un livre sur les identités culturelles du nord du Mozambique, a indiqué que la circoncision était un rituel de passage essentiel vers la virilité.

Un homme qui n’est pas circoncis est exclu de toutes les principales activités culturelles qui sont réservées aux hommes, tels que les enterrements et les rites ancestraux.

« Ce qui signifie qu’il sera exposé à l’agression des mauvais esprits ou des ancêtres fâchés », a indiqué M. Conceição. « Il ne sera pas pleinement intégré dans le monde des hommes ».

Les femmes du nord du Mozambique apprécient que leur partenaire soit circoncis.

« Un pénis qui n’est pas circoncis n’est pas bon. Le prépuce sent mauvais, même si l’homme se lave, et les femmes d’ici n’aiment pas avoir de relations sexuelles avec des hommes non circoncis », a indiqué Marta Januario Licuco, une militante musulmane des droits des femmes.

Si une femme d’ici a un rendez-vous avec un homme du sud, sa grand-mère la mettra en garde sur l’éventualité que l’homme pourrait ne pas être circoncis. Une campagne pour persuader les jeunes hommes de se faire circoncire est en préparation. Cela prendra peut-être des années, mais la pression, subtile tout en étant constante, sera maintenue.

« Les hommes qui ne sont pas circoncis auront honte d’ôter leurs vêtements, ils éteindront la lumière avant de rentrer dans leur lit, ils se sentiront anormaux », a affirmé Mme Licuco.

Mme Licuco porte un foulard turquoise éclatant et une longue robe qui lui tombe sur les chevilles. Marisia Jacinto, 20 ans, porte des jean’s serrés et un débardeur, et toutes les deux ont le même avis sur les hommes non circoncis.

« Je n’accepterai pas un homme non circoncis. Je l’amènerai chez le docteur », a dit Mme Jacinto.

La province de Cabo Delgado est en majorité musulmane, et l’Islam préconise la circoncision, ce qui entraîne une étroite correspondance entre le rituel de la circoncision et la religion.

Cheik Muhamade Abdulai Cheba, directeur provincial des écoles musulmanes madrasas, voit beaucoup d’avantages dans la circoncision : « Cela empêche de contracter des maladies et des lésions ; ça améliore le mariage car les deux partenaires ont plus de sensations et c’est plus hygiénique », a-t-il résumé. 

Pour en savoir plus
 sur le thème de la circoncision et du VIH/SIDA
 AFRIQUE: Une prévention à double tranchant: circoncision masculine et VIH/SIDA
www.irinnews.org/fr/ReportFrench.aspx?ReportId=73446
 AFRIQUE: Circoncision masculine, quel avantage pour les femmes ? www.irinnews.org/Report.aspx?ReportId=73463
 SÉNÉGAL: La communauté gay réservée sur la circoncision  www.irinnews.org/fr/ReportFrench.aspx?ReportId=73515
 Circoncision masculine et VIH/SIDA, le dossier complet (en anglais): www.plusnews.org/InDepthMain.aspx?InDepthId=61&ReportId=73184

Rendre la circoncision plus sûre

Le kumbi a des avantages, mais comporte aussi des dangers. Les nekangas (les maîtres de circoncision) peuvent n’utiliser qu’une seule lame pour plusieurs garçons à la suite, sans la stériliser. Et s’il y a des complications médicales, les nekangas ont recours à la médecine traditionnelle.

« Le traitement à base d’herbes marche quelquefois, mais cela peut aggraver les choses », a indiqué le docteur Egidio Langa, directeur de l’Hôpital central de Pemba, une ville d’environ 100 000 habitants. Les complications post-opératoires liées à la circoncision sont plus fréquentes dans les postes sanitaires des zones péri-urbaines que dans ceux qui se trouvent au centre.

En 2006, M. Langa était le directeur sanitaire du district de Montepuez, situé à 170 km de Pemba à l’intérieur des terres, lorsque les dirigeants de la communauté, inquiétés par les conditions de sécurité de la circoncision, l’ont approché.

« Ils m’ont parlé d’hémorragies, de fièvres, et quelquefois, de cas de personnes qui sont décédées », a-t-il dit.

M. Langa a envoyé des équipes d’infirmières à travers toute la zone. Pendant les deux mois qui ont suivi, ils ont formé les nekangas aux conditions sanitaires nécessaires, leur ont fourni des instruments médicaux, leur ont demandé de dresser une liste des enfants qui allaient se faire circoncire et de l’apporter au poste sanitaire le plus proche où des infirmières qualifiées font tous les jours des interventions sur 50 à 60 garçons âgés de 11 à 13 ans.

« Cette expérience a été bien perçue », a dit M. Langa. « Avec un budget réduit, nous avons travaillé à la réduction de grands risques, nous avons réduit les risques d’infections sexuellement transmissibles et la circoncision est désormais plus sûre ».

Suite à ce succès, le conseil provincial de lutte contre le sida prévoit de former entre juillet et septembre les nekangas sur le sujet de la prévention du VIH.

« Kumbi est un moment de transmission culturelle intense mais jusqu’ici, nos messages de prévention ne s’étaient pas positionnés sur ce créneau », a indiqué le président du conseil, Toles Manuel Jemuce.

Quelle corrélation ?

Selon les chiffres du gouvernement, 56 pour cent des hommes du pays sont circoncis. Dans la plupart des provinces musulmanes du Nampula, de Cabo Delgado et de Niassa, là où vivent les Makhuwas, c’est une pratique quasiment omniprésente. Les groupes ethniques Chope et Bitonga, dans la province principalement chrétienne de Inhambane, la pratiquent aussi.

M. Langa, qui vient de la province d’Inhambane et qui a été circoncis lorsqu’il était enfant, a indiqué que cette pratique se répandait à fur et à mesure que les mariages intercommunautaires augmentaient.

Des études récentes en Ouganda et en Afrique du Sud ont indiqué que les hommes circoncis avaient 60 pour cent de chances en plus de ne pas contracter le VIH, et les spécialistes ont souligné que le taux de prévalence faible des provinces du Mozambique coïncidait avec les régions où il y avait un fort taux de circoncision.

Cependant, une consommation d’alcool réduite ainsi que les lois sociales musulmanes qui séparent les hommes des femmes peuvent aussi être un facteur déterminant.

Elias Cossa, responsable des médias au Conseil national de lutte contre le sida, a indiqué que le Mozambique développerait sa politique nationale sur la circoncision masculine avant la fin de l’année, et que cela serait suivi d’une étude de faisabilité.

Certains militants ont soutenu que l’extension des programmes sanitaires sur le sujet de la circoncision entraînerait un détournement des rares ressources humaines et financières d’un système de santé publique déjà fortement surchargé par le problème du sida, et ce dans un pays qui compte moins de 10 chirurgiens et encore moins d’urologues.

« [Le traitement antirétroviral] reste la priorité. Traiter une personne est plus important que de la circoncire, car une personne en bonne santé pourra s’occuper de sa famille et la protéger du VIH », a estimé Julio Ramos Mujojo, le secrétaire exécutif de l’Association nationale des personnes vivant avec le VIH/SIDA.

Les autres se préoccupent de l’aspect culturel et ethnique de cette extension. « Cela pourrait être perçu comme si on les obligeait à modifier leur religion », a dit Antoninho Cheia Inglês, coordinateur du FOCADE, un réseau qui regroupe les organisations non gouvernementales dans la provice de Cabo Delgado. 

Trente ans après le kumbi de João vint le tour de Buane Chande, 11 ans. Lui aussi a des souvenirs mitigés sur ces trois mois passés dans la brousse en 2001.

Les mauvais souvenirs sont à propos de « la douleur avant qu’elle ne parte, être éloigné de ma mère, et les moustiques ». Les bons souvenirs sont « lorsque nous allions nous baigner dans la rivière et quand nous écoutions les histoires et chants des aînés ».

Lorsque Buane est retourné chez lui, « tout le monde était content », les femmes chantaient, un poulet a été tué et ils ont fait une fête.

« Sans le kumbi, les hommes ne sauraient pas affronter la vie », a-t-il dit à IRIN/PlusNews. « Un camarade qui n’aurait pas fait son kumbi ne serait pas vraiment accepté. Il resterait un enfant, même s’il a 18 ans ».

Chande a maintenant 17 ans et termine ses études au collège à Pemba. Il n’est pas encore temps de penser à avoir des enfants, mais pour lui il n’y a pas de doute : son fils fera son kumbi.

ms/he/kn/sm/ail


This article was produced by IRIN News while it was part of the United Nations Office for the Coordination of Humanitarian Affairs. Please send queries on copyright or liability to the UN. For more information: https://shop.un.org/rights-permissions

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