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L’hôpital de Panzy panse les plaies de la guerre

[DRC] Women waiting at Panzi hospital in Bukavu, South Kivu. [Date picture taken: July 2006]
Laudes Mbon/IRIN
Women waiting at Panzi Hospital in Bukavu - one of only two hospitals with 'safe blood' in South Kivu
Lorsqu’Anna [un nom d’emprunt] s’est rendue à l’hôpital de Panzi, dans le Sud-Kivu, en République démocratique du Congo (RDC), elle avait 40 ans et attendait un enfant. Un jour, des éléments d’une des 20 milices armées qui sévissent dans la région du Sud-Kivu se sont introduits à son domicile, ont attaché son mari et ses deux fils, puis ont commencé à violer Anna et ses quatre filles, devant les autres membres de la famille. L’un des fils a réussi à se défaire de ses liens et s’est jeté sur l’agresseur qui l’a abattu d’une balle. Ses quatre filles ont été tuées à leur tour après avoir été violées.

Les miliciens ont ensuite emmené Anna, son mari et son fils cadet dans une forêt, puis ont exécuté son mari.

Lorsqu’elle est arrivée à l’hôpital de Panzi, Anna était dans un état préoccupant : elle souffrait de malnutrition, présentait des blessures graves au niveau de ses organes génitaux – des lésions dues aux nombreux viols qu’elle avait subis lors de sa captivité - et elle était enceinte.

Après l’accouchement, Anna a décidé de garder le bébé, a expliqué le docteur Denis Mukwege Mukengere, gynécologue et directeur de l’hôpital de Panzi, seul établissement du pays à être spécialisé dans la prise en charge des personnes victimes de violence sexuelle.

« Il faut beaucoup de courage pour accepter de garder un enfant né d’un viol », a souligné le docteur Mukengere. « Le père de son enfant a tué son mari et cinq de ses enfants », a-t-il rappelé.

Le viol, une arme de guerre

Depuis sa création en 1999, l’hôpital de Panzi a soigné quelque 10 000 patientes. Le docteur Mukengere a décidé d’ouvrir cet établissement après avoir constaté une augmentation des cas de mutilation sexuelle, à une époque où les diverses factions rebelles et les troupes gouvernementales utilisaient et continuent d’utiliser le viol comme arme de guerre.

« Les rapports sexuels ne sont pas les principales motivations des auteurs de viols. Ils veulent détruire la victime. Ils ne cherchent pas à tuer, mais à détruire », a-t-il signalé.

Selon les divers témoignages recueillis par le docteur Mukengere, il y a plusieurs manières de détruire une personne.
Le plus souvent, lorsque le viol est utilisé comme arme de guerre, la femme est violée devant les membres de sa communauté et son mari, qui est lui aussi humilié car contraint d’assister à la scène sans pouvoir intervenir.

« Puis, une fois la femme violée, les [agresseurs] commencent à mutiler ses parties génitales, à l’aide d’un fusil ou d’un couteau, ce qui entraîne une fistule entre la vessie et le vagin », a-t-il expliqué.

« Leur but est de détruire leur victime, une femme qui est détruite à la fois sur le plan psychologique et physique et qui court le risque d’être contaminée par le VIH », a-t-il poursuivi.

Selon le docteur Mukengere, le taux de prévalence du VIH/SIDA enregistré parmi les femmes accueillies à l’hôpital avoisinait les cinq pour cent. Bien que ce pourcentage semble peu élevé, la plupart des femmes soignées au sein de son établissement provenaient de régions rurales, éloignées des villes où l’épidémie de VIH/SIDA est plus répandue, a-t-il rappelé.

Soigner une fistule, une opération délicate

Beaucoup de femmes économisent pendant des mois pour pouvoir faire le chemin jusqu’à l’hôpital de Panzi, où des soins leur sont prodigués gratuitement. Certaines parcourent plusieurs kilomètres à pied jusqu’à l’établissement hospitalier, un tissu entre les jambes pour absorber l’urine, les matières fécales et le sang qui s’écoulent de leur vagin.

Cela fait 20 ans que le docteur Mukengere travaille comme gynécologue dans la région, mais depuis les six dernières années, il se consacre aux patientes souffrant de fistules et forme d’autres médecins à ce type d’opération. Compte tenu des ravages de la guerre civile, descendre jour après jour au bloc opératoire serait certainement moins pénible dans un autre pays.
« Je ne peux pas être indifférent à cette situation », a-t-il confié. « Je serais un lâche si j’arrêtais d’opérer, car je sais que je peux aider ces femmes », a-t-il ajouté.
Il a expliqué que pour une prise en charge efficace, il devait se concentrer sur les soins physiques et laisser aux membres de son équipe le soin d’apporter un soutien psychologique aux patientes et de les accompagner dans leur réinsertion sociale.

« A un moment donné, je suis senti fragile et psychologiquement affecté », a confié le docteur Mukengere, un homme marié et père de cinq enfants. « La situation est encore plus pénible lorsque le patient pleure et que le médecin se met à pleurer aussi. Et pour un patient qui vient chercher du réconfort, voir un médecin pleurer ne lui apporte plus le soutien qu’il attend. »

Les patientes ont besoin d’un soutien psychologique, qu’elles reçoivent à Panzi. Cependant, la guérison physique est un processus extrêmement long, a déclaré le docteur Mukengere.

« Lorsque vous découvrez qu’une femme a reçu une balle dans le vagin et qu’elle a la vessie et le rectum détruits, vous devez procéder à une colostomie », a-t-il expliqué.

« Les parties génitales doivent être nettoyées car elles ont été souillées par des écoulements de matières fécales, cela peut prendre entre deux et trois mois. Ensuite, il faut pratiquer une intervention chirurgicale au niveau de l’appareil génital, des voies urinaires et digestives. Certaines femmes subissent entre cinq et six opérations », a-t-il ajouté. Certaines malades, malheureusement, succombent à leurs blessures.

L’opération de la fistule est délicate et les patientes doivent subir deux voire trois interventions. En outre, près de 10 pour cent des cas de fistule ne guérissent pas, a fait savoir le docteur Mukengere. Ainsi, sur les 1 500 patientes qu’il a opérées, près de 150 continuent de souffrir d’une fistule.

« Elles sont rejetées par leur mari à cause de leur incontinence. Personne ne veut d’elles. Le processus de réinsertion est extrêmement difficile », a-t-il reconnu. Dans le cadre de l’assistance psychologique proposée par le personnel de l’hôpital Panzi, les maris des patientes sont informés sur le processus de guérison et apprennent à accepter la tragédie dont sont victimes leurs femmes.

Le processus de guérison

Jan Egeland, Secrétaire général adjoint aux affaires humanitaires des Nations Unies, a déclaré qu’une organisation non gouvernementale avait répertorié 41 000 cas de viols, soit une moyenne de 21 cas par jour, en RDC.

Il s’est entretenu avec le président nouvellement élu Joseph Kabila, qui lui a promis, avant la tenue des élections, que s’il était élu, il se rendrait à l’hôpital de Panzi et « lancerait une croisade » contre les abus sexuels dans la société congolaise.

Le Président Joseph Kabila avait également promis à M. Egeland de mettre un terme à la culture de l’impunité qui prévaut dans son pays, « en faisant limoger immédiatement tout responsable des forces armées, de l’administration ou d’institution de l’Etat dont certains agents seraient impliqués dans des affaires d’abus sexuels. Je lui rappellerai son engagement », a ajouté Jan Egeland.

Le docteur Mukengere est optimiste et pense que le viol, en tant qu’arme de guerre, est une pratique qui disparaîtra bientôt en RDC, comme du reste la culture de l’impunité. Selon lui, un changement s’est opéré non seulement au sein des médias, mais également au sein de la communauté congolaise.

« En 2000, la plupart des gens ne voulaient pas entendre parler de chirurgie vaginale, personne n’en parlait. Aujourd’hui, en revanche, les femmes savent que si elles n’en parlent pas, elles peuvent être marginalisés et de mourir d’une fistule. Il est préférable d’en parler, si elles veulent qu’on les aide », a-t-il conclu.

La société civile devrait être unanime à condamner les auteurs de viols. Elle devrait leur infliger des sanctions sociales au lieu de punir les victimes de cette tragédie, a poursuivi le docteur Mukengere.

« Des lois doivent être non seulement votées, mais appliquées », a-t-il dit. Avec l’aide des groupes internationaux de défense des droits de l’homme, la société congolaise peut tirer un trait définitif sur l’utilisation du viol comme arme de guerre, a-t-il souligné.

This article was produced by IRIN News while it was part of the United Nations Office for the Coordination of Humanitarian Affairs. Please send queries on copyright or liability to the UN. For more information: https://shop.un.org/rights-permissions

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