1. Accueil
  2. West Africa
  3. Guinea-Bissau

Entretien avec Bernard Lututala Mumpasi, recteur de l’université de Kinshasa

Fondée en 1954 par Mgr Luc Gillon, l’université de Lovanium a longtemps été considérée comme le phare des universités africaines.

Mais son histoire mouvementée l’a fait sombrer dans le déclin : révolte d’étudiants en 1969 pour l’africanisation de l’université, nationalisation en 1971, enrôlement des étudiants dans l’armée, suspension de la coopération belge en 1991 suite au massacre sur le campus de l’université de Lubumbashi, deux guerres internationales.

Rebaptisée entre-temps Unikin, et forte de 10 facultés, elle tente aujourd’hui de remonter la pente, avec l’appui des bailleurs de fonds, principalement belges. Entretien lors de son passage à Bruxelles avec Bernard Lututala Mumpasi, recteur depuis le 5 mars 2005.

Q : Qu’est devenue l’Unikin depuis la chute du maréchal Mobutu ?

R : L’université n’a jamais cessé de fonctionner, en dépit de la guerre. La guerre, c’était à l’est, pas chez nous. A part la coupure volontaire de courant depuis le barrage d’Inga, on n’en a jamais subi les conséquences.

Q : L’université était prévue pour accueillir 5000 étudiants. Combien y en compte-t-elle aujourd’hui?

R : Environ 21.000... Je ne peux pas être plus précis car pour être enrôlé comme étudiant, il faut payer des frais d’études. Or beaucoup n’en ont pas les moyens. Certains même ne paient qu’à la fin de l’année académique après de multiples pressions !

Q : Les frais d’inscription sont-ils élevés ?

R : Cela dépend d’une année à l’autre. L’année académique passée, il fallait payer 140 dollars pour les classes de recrutement (soit la première année
d’université) et 120 dollars pour les classes montantes. Pour cette année, je dois convoquer les représentants des étudiants, des professeurs, du personnel, etc. Sur base d’un budget global, on détermine les frais d’études Ce sont des négociations très longues vu le niveau de pauvreté des étudiants.

Q : Les professeurs sont-ils payés ?

R : Oui, depuis toujours, mais c’est depuis peu qu’ils sont payés de façon correcte. C’est l’Etat congolais qui assure le paiement des salaires des professeurs et du personnel. Avant, un professeur recevait l’équivalent de 50 dollars et une prime de 300 dollars du « partenariat », c’est-à-dire des frais payés par les étudiants. Depuis cinq mois, et c’est là un signal fort du gouvernement, les salaires ont été multipliés par dix. Aujourd’hui, un professeur d’université perçoit une moyenne de 500 dollars, plus 300 dollars ce qui fait 800 dollars. Cela dit, si le salaire est payé chaque mois, la prime n’a été octroyée que sept mois cette année-ci.

Q : On dit que certains professeurs continuent de « ponctionner » les étudiants…

R : Des cas me sont effectivement rapportés à propos de professeurs qui trafiquent les notes ou qui exigent de l’argent dans le cadre des travaux de fin d’étude, mais c’est l’exception. Nous avons 530 professeurs et docteurs à l’Unikin et je ne pense pas qu’il y ait plus de 10% de profs qui s’adonnent à de telles pratiques. De toute façon, on les sanctionne. Cette année, j’ai dû suspendre trois professeurs de médecine. Cela peut aller jusqu’à la suspension du salaire et la révocation.

Q : Et qu’en est-il des infrastructures ?

R : Malheureusement, nous recevons très peu de moyens pour l’entretien des infrastructures, qui donc se sont détériorées, notamment les dortoirs où les étudiants doivent s’entasser. Depuis que je suis recteur, je n’ai reçu qu’un million de francs congolais, soit 2500 dollars… Il y a parfois des appuis ponctuels, comme ce financement de la Banque mondiale qui nous a permis de réhabiliter des homes d’étudiants. Dernièrement, la fondation Rawji a décidé de réhabiliter une cinquantaine d’auditoires. Heureusement, nous avons des partenaires étrangers, revenus depuis peu, car entre 1991 et 2000, ce fut le blocage total à part quelques relations personnalisées.

Q : Qui sont ces partenaires ?

R : Principalement le CIUF (Conseil interuniversitaire de la Communauté française de Belgique) et son homologue flamand, le VLIR (Vlaamse Interuniversitaire Raad), ainsi que la coopération belge. La France nous octroie également des montants importants.

Q : Quels sont les grands défis pour les prochaines années ?

R : Premier défi : assurer la relève académique. L’âge moyen des professeurs tourne autour de 56 ans. Cela signifie que d’ici quatorze ans la moitié des professeurs sera à la retraite ! Il faudra donc former au moins 250 professeurs dans les quinze années à venir. Deuxième défi : redonner à la recherche toute son importance, et ne pas se focaliser seulement sur l’enseignement. Cela suppose des équipements et une stabilisation des professeurs qui sont souvent très mobiles vu qu’ils enseignent dans d’autres universités. Troisième défi : parvenir à former de futurs cadres du pays qui soient différents de l’actuelle génération. Peut-être l’université a-t-elle mal joué son rôle auparavant ? Il faudra revoir notre programme d’enseignement pour former des cadres qui soient plus créatifs, plus nationalistes, et moins enclins à des velléités guerrières… Bref, le meilleur investissement qu’on puisse faire en RDC est de redonner à l’enseignement, du primaire à l’universitaire, toute sa priorité.


This article was produced by IRIN News while it was part of the United Nations Office for the Coordination of Humanitarian Affairs. Please send queries on copyright or liability to the UN. For more information: https://shop.un.org/rights-permissions

Partager cet article

Get the day’s top headlines in your inbox every morning

Starting at just $5 a month, you can become a member of The New Humanitarian and receive our premium newsletter, DAWNS Digest.

DAWNS Digest has been the trusted essential morning read for global aid and foreign policy professionals for more than 10 years.

Government, media, global governance organisations, NGOs, academics, and more subscribe to DAWNS to receive the day’s top global headlines of news and analysis in their inboxes every weekday morning.

It’s the perfect way to start your day.

Become a member of The New Humanitarian today and you’ll automatically be subscribed to DAWNS Digest – free of charge.

Become a member of The New Humanitarian

Support our journalism and become more involved in our community. Help us deliver informative, accessible, independent journalism that you can trust and provides accountability to the millions of people affected by crises worldwide.

Join