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Des fermiers blancs zimbabwéens à la conquête de nouvelles exploitations agricoles au Nigeria

[Nigeria] Zimbabwean farmer John Sawyer (pictured right) taking a tour of the farmland allocated to them in Nigeria. Zimbabwean farmers, kicked off their land back home, have been invited to share their farming expertise in West Africa. IRIN
John Sawyer (à droite) en compagnie d’autres fermiers zimbabwéens faisant le tour de l’exploitation agricole qui leur a été attribuée dans la région centrale du Nigeria
Le temps est lourd et l’atmosphère moite. Dans cette chaleur étouffante, quatre fermiers blancs inspectent leurs nouvelles exploitations agricoles, construisent des maisons et creusent des forages. Au Zimbabwe, leur pays d’origine, ils ont été dépossédés de leurs fermes et ont choisi de s’installer dans la région centrale du Nigeria où ils comptent bien se construire une nouvelle vie.

Ce groupe de fermiers a choisi d’émigrer vers le nord de l’Equateur, à plus de 4 000 km du Zimbabwe, et l’agriculture est ce qu’ils savent faire de mieux.

"Nous sommes très heureux d’avoir ces terres. Le sol est riche", indique John Sawyer, en montrant l’étendue de sable noir qui borde le fleuve Niger, près de la ville de Shonga.

Sawyer et ses trois compagnons ont été dépossédés de leurs fermes au Zimbabwe par des partisans du président Robert Mugabe qui avait fait de la redistribution des terres un des axes majeurs de sa politique très controversée.

Persuadés qu’ils ne retrouveront jamais plus leurs fermes, de nombreux fermiers blancs ont abandonné l’agriculture et se sont exilés en Australie ou en Nouvelle-Zélande dans l’espoir d’une vie meilleure. D’autres ont choisi d’émigrer vers des pays d’Afrique australe comme la Zambie et le Mozambique et de se lancer à nouveau dans l’exploitation agricole. Sawyer et ses amis sont les premiers fermiers blancs zimbabwéens à tenter l’aventure en remontant vers le nord, à l’ouest de l’Afrique.

Leur destination : l’Etat de Kwara au Nigeria. Le gouverneur de la région y a cédé 16 000 hectares de terrain à 15 fermiers zimbabwéens pour un bail de 25 ans.

Sawyer et ses trois collègues sont les pionniers d’un groupe d’autres fermiers blancs qui arriveront plus tard avec leurs familles, 50 ouvriers agricoles noirs zimbabwéens et quelque 2 000 têtes de bétail. Sur ces terres, ils créeront des fermes laitières, cultiveront du maïs, du riz et du soja.

Les autorités et les nouveaux fermiers ont convenu de tout mettre en œuvre pour éviter les tensions entre les nouveaux arrivants et la population locale nigériane.

"Nous leur avons conseillé de se comporter comme des immigrants, mais pas comme de simples propriétaires terriens", a déclaré sur Radio Nigeria le ministre de l’agriculture Adamu Bello. "Nous voulons bénéficier de leur très grande expérience, mais nous ne tolérerons pas qu’ils se comportent en seigneurs devant nos citoyens".

Un centre de formation

Outre les 15 fermes zimbabwéennes, une seizième ferme sera utilisée comme centre de formation financé par les autorités nigérianes. Les fermiers zimbabwéens y formeront des agriculteurs nigérians aux techniques modernes de gestion de grandes exploitations agricoles.

"Je pense que le projet sera couronné de succès et nous comptons transmettre notre savoir-faire aux paysans locaux", a déclaré Sawyer.
Un paysan pratiquant une agriculture de subsistance à Shonga


Pour Busola Saraki, le gouverneur de l’Etat de Kwara, ce projet permettra de créer des emplois pour la population locale et d’augmenter la production agricole du Nigeria.

Selon certains officiels nigérians, avec la culture du maïs, du riz et du soja, cette région pourrait devenir le grenier de l’Afrique de l’ouest. Avant l’indépendance, et avant que le pétrole ne vienne changer les orientations de l’économie nigériane, l’essentiel des richesses du pays provenait de l’agriculture.

Les fermiers zimbabwéens ont l’expérience requise pour réaliser ce changement. Pour les travailleurs humanitaires, la pénurie alimentaire au Zimbabwe serait due à l’éviction de ces fermiers de leurs exploitations agricoles dont la production suffisait à nourrir les populations de la sous-région et était exportée dans le monde entier.

Chez les quelque 8000 habitants de Shonga, il y a aussi de bonnes raisons d’espérer. Les exploitations agricoles des fermiers zimbabwéens vont créer des emplois et accroître les revenus des habitants.

"Nous sommes prêts à abandonner nos champs et à travailler pour ces fermiers en échange d’un salaire mensuel", indique Idris Hassan, un paysan qui pratique une agriculture de subsistance sur un lopin de terre, comme c’est souvent le cas au Nigeria. En travaillant pour les fermiers zimbabwéens, Hassan veut se familiariser avec les outils et techniques agricoles les plus récents.

Les nouveaux fermiers ont promis d’embaucher des centaines de nigérians, mais n’ont donné aucune indication précise pour le moment.

En dehors de l’impact direct sur l’emploi, les habitants de Shonga espèrent aussi que l’arrivée des zimbabwéens incitera les autorités nationales à améliorer les infrastructures et les services publics de base.

"Nos fermes ne sont pas rentables car nous avons des difficultés à acheminer nos récoltes vers les villes", ajoute Hassan.

Améliorer les infrastructures et les services publics de base

La seule route pavée de Shonga est celle qui mène à la capitale Ilorin. Elle est d’ailleurs en mauvais état et cabossée par endroits.

Située à 400 km au nord de la capitale économique Lagos, la ville vit sans électricité depuis dix ans que le projet agricole initié par un précédent gouvernement s’est arrêté.
A Shonga, les villageois boivent encore l’eau des rivières et des puits. Tout cela doit changer, explique Halina Yahaya, le chef coutumier de Shonga.

"Nous espérons que ce projet permettra de développer le village", a-t-il ajouté.




Mais les précédents projets n’incitent pas à l’optimisme. A la fin des années 70, le projet de construction de la raffinerie de sucre de Bacita s’était effondré à cause des nombreux scandales de corruption et de mauvaise gestion.

"Notre population a été très déçue par l’échec du projet de Bacita", explique Yahaya. "J’espère que cette fois-ci, le projet du gouvernement ne sera pas détourné de son objectif par des personnes corrompues".

Et nombreux sont ceux qui doutent de la réelle implication des fermiers zimbabwéens. Selon Tayo Olagoke, un homme d’affaires originaire de Shonga qui vit à Lagos, les Nigérians peuvent faire le travail des fermiers étrangers s’ils sont aidés par le gouvernement.

"En faisant venir des fermiers blancs, le gouvernement nous fait passer pour des bons à rien" explique Olagoke. "Si les routes étaient en bon état et si j’avais pu bénéficier de prêts à des conditions avantageuses pour acquérir du matériel agricole, je ne me serai pas allé tenter ma chance à Lagos".

Et Olagoke prévient que si les fermes des exploitants zimbabwéens ne répondent pas aux attentes des villageois, le mécontentement gagnera rapidement la population de Shonga.

Des troubles en perspective ?

Tous les habitants de Shonga n’adhèrent pas au projet d’exploitation agricole des fermiers zimbabwéens. Craignant que ces étrangers ne deviennent des propriétaires terriens, des villageois ont adressé aux autorités fédérales d’Abuja une lettre de protestation contre ce projet.

L’autre source de conflit possible : les nomades foulanis. Ces bergers avaient l’habitude de faire paître librement leur bétail sur les terres attribuées aux zimbabwéens.
Un berger foulani faisant paître son bétail sur des terres attribuées aux fermiers zimbabwéens



Mohammed Kanga, le porte-parole de l’Etat de Kwara, a reconnu que des fermiers zimbabwéens s’étaient déjà plaints de la présence des bergers nomades sur leurs exploitations. "Nous avons tenu plusieurs réunions avec les responsables de la communauté foulani et ils ont promis qu’ils n’empiéteront plus sur les exploitations agricoles s’ils disposent d’un espace pour faire paître leur bétail", a-t-il ajouté.

La loi sur le foncier adoptée en 1978 par décret sous le régime d’Obasanjo, alors chef d’Etat militaire du Nigeria, était déjà impopulaire. Selon cette loi, l’Etat pouvait exercer son droit de préemption sur l’ensemble des terres au Nigeria.

L’Etat pouvait ainsi acquérir des terres en versant uniquement des dédommagements pour les cultures et les bâtiments érigés sur ces terres.

A ce jour, la loi a été appliquée essentiellement dans la région pétrolifère du delta du Niger, au sud du Nigeria, en dépit des vives protestations des habitants.

Elle reste toutefois une source majeure de conflit entre les locaux et les multinationales exploitant le pétrole dans la région du delta. Certains observateurs craignent d’ailleurs que le même type de conflit ne surgisse dans la région centrale du Nigeria où des terres ont été attribuées à des fermiers zimbabwéens.

"Si tout se passe bien, nous réaliserons les objectifs que le gouvernement s’est fixés en invitant des fermiers blancs à s’installer à Shonga", explique Val Okeke, avocat spécialisé en droit foncier. "Mais si la présence de ces fermiers suscite le mécontentement de la population locale, Shonga connaîtra alors les mêmes troubles qui secouent la région pétrolifère".


This article was produced by IRIN News while it was part of the United Nations Office for the Coordination of Humanitarian Affairs. Please send queries on copyright or liability to the UN. For more information: https://shop.un.org/rights-permissions

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