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En région forestière, les jeunes filles sont de plus en plus vulnérables

[Guinea] A Liberian woman - an urban refugee - who works as a prostitute in Conakry, Guinea. IRIN
Nombreuses sont les femmes et les jeunes filles qui se prostituent pour nourrir leurs enfants
A 12 ans, Fatou n'a jamais été à l'école, mais elle sait une chose : jamais elle ne gagnera sa vie en allant dans les bars et les hôtels, comme le fait sa mère depuis toujours. Fatou est guinéenne mais a toujours vécu en Côte d'Ivoire, le riche voisin qui a longtemps fait figure d'eldorado pour les populations frontalières. Son père y était peintre en bâtiment et sa mère travaillait «dans les bars». La jeune fille tire fébrilement sur le bas de sa jupe. Elle garde les yeux baissés tandis qu'elle raconte la fuite de Duékoué, la ville de l'ouest ivoirien où les cinq enfants sont nés, après que le père ait été tué en septembre 2002 par des combattants venus du Liberia, juste après le déclenchement de la guerre civile. Depuis, sa mère est retournée dans les bars de Nzérékoré, une ville de 500 000 habitants lovée au cœur de la dense forêt guinéenne. Dans cette région, le taux de prévalence du VIH/SIDA est le plus élevé du pays. Selon la première enquête nationale de séroprévalence conduite en 2002, 2,8 pour cent de la population guinéenne est infectée par le virus, un taux qui grimpe à sept pour cent dans les grandes villes de Guinée forestière. «J'ai peur de ça... J'ai peur de ce que fait ma mère, j'ai peur de ce que je pourrais devenir si je devais aller dans les bars moi-aussi», murmure Fatou. Sa mère n'est pas la seule Guinéenne à avoir fait ce choix. Selon les travailleurs sociaux, elles sont de plus en plus nombreuses à avoir investi les bars, les hôtels et les rares boîtes de nuit de la ville pour gagner quelques francs CFA et nourrir leur famille. «Environ 60 pour cent des filles qui sont dans la rue sont Guinéennes», explique Emily Sloboh à PlusNews. Cette jeune femme, venue du Liberia en 1990 pour fuir la guerre, dirige la seule association qui tente de sortir les filles des bars de Nzérékoré. «Ce phénomène est relativement récent. Quand nous avons commencé, il y a deux ans, c'étaient les Libériennes qui étaient les plus nombreuses», dit Sloboh. Emily Sloboh a créée Twin (Today's Women International Network) en 2002, après avoir vécu plus de dix ans le quotidien de ses compatriotes libériennes. «Des prostituées de la pauvreté» «Quand nous sommes arrivés en Guinée, fuyant la guerre au Liberia, la plupart des filles est allée dans les hôtels pour trouver de l'argent auprès des hommes», raconte Sloboh. «Beaucoup étaient battues, violées par les clients qui, souvent, ne leur donnaient pas d'argent. J'étais avec elles, je voyais ça et c'était insupportable... 90 pour cent des filles sont des prostituées de la pauvreté.» La grave crise économique qui secoue le pays depuis trois ans a considérablement affaibli la Guinée forestière et ses habitants. En ville, le sac de riz, la principale denrée alimentaire des populations locales, est devenu hors de prix et les emplois, comme la terre à cultiver, sont rares. En outre, les quelque 100 000 Guinéens de retour de Côte d'Ivoire entre septembre 2002 et décembre 2003 ont considérablement aggravé la situation économique des familles d'accueil, selon l'Office de coordination des Nations unies pour les affaires humanitaires. Ces rapatriés sont venus grossir les rangs des populations pauvres de la Guinée forestière, une région enclavée entre la Sierra Leone, le Liberia et la Côte d'Ivoire, des pays qui sortent péniblement de conflits meurtriers et où les taux d'infection, compris entre sept et neuf pour cent, sont parmi les plus élevés d'Afrique de l'Ouest. «C'est la pauvreté qui poussent les filles dans la rue», explique Sloboh. «Elles sont de plus en plus jeunes et n'ont aucune éducation, surtout les Guinéennes.»
La Sierra Leone, le Liberia et la Côte d’Ivoire connaissent des taux d’infection au VIH compris entre sept et neuf pour cent, les plus élevés en Afrique de l’Ouest
Son association, supportée par des organisations internationales et le Fonds des Nations Unies pour l'enfance (Unicef), forme désormais plus de quatre cents filles par an. Elles sortent du centre avec des notions de base en comptabilité et écriture et sont sensibilisés aux modes de transmission et de prévention des infections sexuellement transmissibles (IST), comme le sida. «Ce sont des filles en situation vulnérable», explique Chuchu Nelson, une des formatrices du centre. «Nous avons des filles seules, abandonnées et des filles qui refusent d'avoir recours à la prostitution pour vivre. Mais la plupart sont des travailleuses du sexe.» «Elles sont si nombreuses en ville, des milliers certainement», poursuit Nelson. «Elles n'ont aucune idée de la manière de se protéger, elles ne savent pas utiliser les préservatifs et elles n'ont pas d'argent pour l'hygiène et les soins. Certaines meurent d'IST ou à la suite de violences sexuelles.» Des repas chauds pour attirer les filles Pour éviter que les élèves aient à choisir entre la prostitution et les études, trois repas chauds sont offerts par jour aux enfants et aux filles. Une crèche pour les plus petits jouxte les classes de broderie ou de boulangerie, tandis que les enfants plus âgés sont envoyés gratuitement à l'école. Les soins de santé sont également pris en charge par l'association. Du coup, la demande ne cesse de croître : 115 filles ont reçu une formation professionnelle de six mois en juin 2004, contre 28 en 2002. Elles étaient près de 250 à suivre la deuxième session l'année dernière, afin d'apprendre un métier et ouvrir, enfin, leur propre commerce : coiffure, couture, savonnerie, boulangerie, broderie ou informatique, la liste des métiers proposés par Twin est longue. Fatou, elle, a choisi les cours de coiffure. «Quand je serai grande, j'aurai un salon», affirme t-elle. En attendant, après les cours du matin, elle regagne la maison pour s'occuper de ses frères et soeurs, faire le ménage et laver le linge. Sa mère, elle, tente de gagner de l'argent auprès des clients des bars. «Elle n'a jamais voulu que j'aille à l'école, c'est moi qui ai insisté pour venir ici», raconte t-elle. «Maintenant, je connais les risques qu’elle court mais j'ai tellement peur de lui en parler.» Katherine les connaît aussi. Les clients des hôtels où elle continue à se rendre le soir, après les cours de coiffure, lui proposent bien souvent des rapports non protégés. «Mais maintenant je demande toujours des préservatifs même si je sais que les clients risquent de me frapper pour ça», dit cette élégante Libérienne de 25 ans, qui dit gagner entre cinq et six dollars par passe. Katherine avait 17 ans quand elle est arrivée avec ses deux soeurs à Nzérékoré, fuyant les combats au Liberia. A l'époque, l'agence des Nations Unies pour les réfugiés n'avait pas installé les camps pour accueillir les populations qui fuyaient les combats ; elles se sont tout de suite rendues dans un hôtel, où elles lavent toujours le linge des clients. Malgré huit ans de prostitution et de violences, de maladies et de coups, il n'a pas été facile de la convaincre de venir suivre les cours de Twin. «Ce n'est pas agréable d'entendre la vérité, de comprendre les risques que l'on court. Je n'ai jamais utilisé de préservatifs : comment savoir si ma vie n'est pas déjà derrière moi ?» Les organisations de lutte contre le VIH/SIDA développent des programmes à l'attention des populations locales depuis seulement trois ans. Avant 2002, les efforts pour contrôler la propagation de la pandémie se sont focalisés sur les camps de réfugiés, où des campagnes d'information et de prévention continuent d'être menées. Selon Mark Poubelle, le coordinateur du programme VIH/SIDA d'ARC International à Nzérékoré, la «Guinée est vraiment en retard, loin derrière sur des questions essentielles comme le dépistage. Il y a un grand besoin d'assistance chez les Guinéens, notamment parmi la population qui a été touchée par les conflits.» Aucun centre de dépistage volontaire n'existe à Nzérékoré. Seul l'hôpital public offre ce service, mais les médecins hésitent à le proposer parce qu'ils ne disposent d'aucune mesure d'accompagnement ou de traitement pour les personnes vivant avec le virus. Marie le sait et, comme Fatou, elle est convaincue d'une chose : Twin l'a sauvée. «Sans Twin, je serais toujours dans la rue, peut-être morte», dit-elle. A 23 ans, après des années de prostitution et deux enfants, elle a décidé de quitter la rue pour devenir professeur au centre de formation. Elle y gagne 39 dollars par mois, alors qu'un week-end avec un client de l'hôtel pouvait lui rapporter jusqu'à 50 dollars. «Beaucoup de mamans font ça pour rapporter de l'argent», raconte cette jeune Guinéenne. «Mais quand j'ai vu mes amies tomber malades les unes après les autres, j'ai eu peur. Et puis mon homme me frappait, il m'envoyait à l'hôtel et ne me donnait jamais à manger. J'ai dit stop !... Et j'encourage mes soeurs à en faire autant.»

This article was produced by IRIN News while it was part of the United Nations Office for the Coordination of Humanitarian Affairs. Please send queries on copyright or liability to the UN. For more information: https://shop.un.org/rights-permissions

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